Côte d’Ivoire: faux ongles, faux cils, mèches, bobaraba… les Abidjanaises sous l’emprise du corps artificiel

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Le 11/02/2017 à 16h31, mis à jour le 11/02/2017 à 16h36

Elles sont de plus en plus nombreuses, dans la capitale économique ivoirienne, à consacrer d’importantes ressources financières aux composants artificiels du corps humains. Leur corps, leurs yeux… prennent souvent des proportions étonnantes.

Quelques battements de cils et la beauté s’affiche avec l’effet voulu: l’intensité du regard. Après une demi-heure d’intervention, à l’allure de chirurgie esthétique, Sandrine Bilé, 27 ans, a pu se faire poser 40 cils sur chaque œil, au grand marché de Marcory (sud d’Abidjan). «Cela met mes yeux en évidence», se réjouit-elle, passant le doigt dans le coin de l’œil pour ajuster un cil isolé. Le service lui revient à 2.000 Fcfa, mais il est loin de lui causer un souci, puisque cette étudiante doit aussi se faire poser des faux ongles à 1.000 Fcfa.

«Chaque semaine, je dois voir une esthéticienne pour me changer les cils, ainsi qu’une prothésiste pour les ongles. C’est parfois pour des sorties, mais c’est plus souvent pour un simple entretien de mon corps», justifie Bilé, la tête déjà couverte de mèches humaines, dont le coût du paquet avoisine 25.000 FCFA, soit 38,11 euros. «J’en prends généralement trois ou quatre à la tresse et je peux les garder un à deux mois», ajoute-t-elle, dans un éclat de rire.

Devant l’un des cent boxes d’esthéticiennes, où elle s’est installée, une dizaine d’autres femmes, venues de différents quartiers d’Abidjan, attendent impatiemment de retoucher leur beauté. Parmi elles, des dames, dont les exigences font doubler voire tripler la facture.

«La femme coûte cher»

«Nous avons l’expérience de la beauté haut de gamme. Nous demandons donc des cils de qualité, qui sont presque humains (pour ne pas sentir une différence) sur les yeux, ainsi que des objets décoratifs pour les doigts», relève Albertine, 50 ans. Femme d’affaires, elle se prépare à transformer ses ongles en un terrain de jeu orné de couleurs. Pour ce deuxième passage du mois chez l’esthéticienne, Albertine déboursera 17.000 FCFA, soit près de 26 euros. «Vous comprenez pourquoi il est dit que la femme coûte cher», lâche-t-elle avec un brin d’ironie.

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Pour Hervé-Justin Kouamé, étudiant chercheur en sociologie de l’université de Cocody, ce phénomène, inspiré du look des stars occidentales (telles Beyonce, Lady Gaga) et auquel s’adonneraient plus de sept femmes sur dix en Côte d’Ivoire, à «des enjeux beaucoup plus mercantiles».

«Théoriquement, elles se font plus belles pour le plaisir, mais nombreuses sont celles qui se font vendre. Cependant, ce qui semble plus inquiétant et ce sur quoi les spécialistes ne cessent d’attirer l’attention, ce sont les problèmes de santé auxquels ces femmes s’exposent», note Kouamé...

Risques encourus

Ophtalmologue dans une clinique privée d’Adjamé (centre d’Abidjan), Jean-François Ossiri dit recevoir régulièrement des cas d’ulcération, d’accolement de cils, de picotement de l’œil, dus à la pratique des faux cils.

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«Nous n’en sommes pas encore à des situations de kératite (inflammation de la cornée), mais il y a urgence que les femmes modèrent cette pratique, comme bien d’autres à la mode. Il y a risque de graves complications, surtout quand cela concerne l’œil», prévient Ossiri.

Une alerte qui a peu de chance de faire changer les habitudes. «En amont déjà, nous identifions très souvent des allergies chez des patientes, dont le corps n’est pas adapté pour recevoir l’artificiel. Dans ces cas, nous leur recommandons de ne pas en faire usage fréquemment. Malheureusement, beaucoup sont devenues dépendantes», révèle Eddy Irié, tatoueur. 

Le bobaraba adoré

Outre les cheveux et le corps, les abidjanaises sont adeptes de grosses fesses, communément appelées «Bobaraba». A l’aide de produits importés, dont les conditions de conservation laissent à désirer, elles se font grossir le postérieur. «Il y en a certaines qui utilisent le cube d’assaisonnement de cuisine. Mais cette pratique est souvent dangereuse», relate Ami Konaté, commerçante au marché de Treichville (sud d’Abidjan). Une danseuse bien connue en serait morte il y a quelques années.

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«Moi j’ai grossi mes fesses pour faire plaisir à mon homme. Il dit qu’il aime cela et pour le garder je n’ai pas hésité à utiliser les produits vendus au marché. Je respecte les normes d’utilisation et pour le moment cela me convient», assure Korotoum Bamba, 28 ans, dont le postérieur prend de plus en plus un volume inquiétant, selon certaines de ses connaissances.

Qu’importe, elle et bien d’autres Abidjanaises, sont de plain-pied dans la pratique. Imitées de plus en plus par leurs cadettes.

Par Georges Moihet (Abidjan, correspondance)
Le 11/02/2017 à 16h31, mis à jour le 11/02/2017 à 16h36