Gabon. Le Mvet inscrit au patrimoine de l’Unesco: «C’est la consécration d’une civilisation orale», parole de philosophe

Une stelle du Mvet en plein centre ville à Libreville

Le 20/12/2025 à 15h34

VidéoFallait-il attendre que l’Unesco inscrive le Mvet Oyeng sur sa liste du patrimoine culturel de l’humanité pour se rappeler que les expressions artistiques du Gabon sont aussi variées que son histoire est riche? Mais ne boudons pas notre plaisir: le Mvet, art musical, rituel et narratif n’appartient plus aux seuls peuples Ekang, mais à tous les férus d’histoire et de culture.

Le Mvet Oyeng, art musical, rituel et narratif emblématique de la communauté Ekang au Gabon, a été inscrit, le 10 décembre 2025 en Inde, sur la liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO.

Cette reconnaissance mondiale couronne plus de deux décennies de combat mené par des gardiens de cette culture, dont le conteur Tsira Etoughe, porteur d’une histoire personnelle de résilience et de transmission.

Très jeune, Tsira Etoughe Ndong a dû prendre la relève de son père, Ndong Essono, grand diseur de Mvet disparu en 1989, et fut consacré par ses oncles paternels comme héritier légitime d’un art alors menacé.

Pour se rendre à la cérémonie de New Delhi, le conteur a dû compter sur le soutien de mécènes privés, l’État gabonais ayant déclaré son incapacité financière à soutenir sa mission. Un paradoxe pour une victoire qui, selon lui, appartient à tout un pays.

Le Mvet Oyeng est bien plus qu’une simple musique. C’est une pratique culturelle du peuple Ekang, associant le chant d’épopée, la danse et le jeu d’un instrument à cordes traditionnel. L’Unesco souligne que le terme désigne à la fois les histoires, le conteur, l’instrument et le musicien.

Cette tradition se décline en deux formes distinctes: une forme sacrée, utilisée lors d’événements importants et transmise par un processus d’initiation strict et une forme populaire, plus flexible, présentée lors de célébrations publiques et de spectacles modernes.

Cette pratique mobilise toute une communauté, des performeurs aux artisans qui fabriquent les instruments, en passant par les sponsors qui organisent les événements. Elle se transmet principalement de manière informelle, par l’apprentissage rituel et la pratique.

Dans le salon de sa maison, où quelques airs de Mvet ont résonné avant l’entretien, Tsira Etoughe Ndong raconte le chemin parcouru. Sa motivation est née d’un constat amer fait sur les bancs de l’université en 1997. «Quand je suis allé à l’Université en 1997, j’avais constaté du risque de disparition des diseurs du Mvet connus. Je me suis dit ce n’est pas possible. Pour sauver du déclin ce patrimoine culturel, j’ai entrepris une démarche auprès de l’Unesco pour immortaliser le Mvet. C’est donc l’aboutissement de plus de 20 ans de combat. L’inscription du Mvet au patrimoine immatériel de l’Unesco n’est pas l’affaire d’une communauté, c’est pour tout le Gabon», explique le conteur.

Cette inscription ouvre la porte à de nouveaux projets. Thérèse Etoughe, Mvettophile, voit dans cette reconnaissance un levier formidable pour ancrer la tradition dans l’éducation des jeunes générations.

«Les attentes sont nombreuses. Le président le disait dans l’un de ses discours: il faut qu’on retourne aux sources. Un peuple sans culture est un peuple sans vie. Alors, si au nombre des cultures que nous détenons au Gabon par la pluralité des ethnies, on pouvait réussir à les sauvegarder, je pense que c’est le Gabon qui gagnera. Donc le Mvet finalement reconnu par l’Unesco nous offre la possibilité proposer l’enseignement de cet art dans les programmes scolaires», espère-t-elle.

Son souhait rejoint l’une des valeurs fondamentales du Mvet identifiées par l’Unesco: la transmission de l’histoire locale, de la langue et des valeurs communautaires, qui favorise le respect, la coopération et la paix.

Au-delà des frontières gabonaises, cette inscription est perçue comme une reconnaissance philosophique. Pour le journaliste et anthropologue Louis-Philippe Mbadinga, elle dépasse le simple cadre culturel.

«C’est la consécration d’une civilisation de la parole. C’est également la reconnaissance que le peuple africain n’est pas sans histoire, il n’est pas sans philosophie, mais bien au contraire, le peuple africain est particulier. Même si le Mvet appartient à l’Afrique, c’est également le rendez-vous de l’universel. Dans ce village planétaire, il faut que l’Afrique soit présente avec son identité», analyse-t-il.

Cette perspective résonne avec le rôle social du Mvet, qui renforce les liens communautaires et contribue à préserver l’identité et la mémoire partagée du peuple Ekang.

Un spectacle total

Une séance de Mvet est une expérience sensorielle et narrative immersive. Elle met en scène un homme, seul et debout, capable d’un spectacle en solitaire pouvant durer plus de dix heures.

Son apparence est saisissante. Il est vêtu d’une tenue de scène composée d’un panache de plumes d’oiseaux multicolores sur la tête, de grands colliers en diagonale sur le torse et de brassards en peaux de bêtes tachetées qui accentuent chaque mouvement. Un grand pagne, noué à la taille, descend jusqu’aux chevilles. Chaque balancement du corps fait virevolter ces ornements, et chaque pas est rythmé par le crépitement des sonnailles attachées à ses chevilles.

Cette performance n’est pas un monologue. Comme le précise la description de l’Unesco, le public y participe activement en tapant des baguettes de tambour ou en frappant dans ses mains, en chantant et en dialoguant avec le conteur.

Les récits du Mvet Ekang, dont le thème principal est la quête de l’immortalité dans un monde mythique où les mortels occupent les trois quarts de la planète Mvett, trouvent ainsi une nouvelle forme d’éternité grâce à cette inscription au patrimoine mondial. Une victoire qui, pour ses gardiens, est le début d’une nouvelle ère de transmission et de fierté partagée.

Par Ismael Obiang Nze (Libreville, correspondance)
Le 20/12/2025 à 15h34