Pour son centenaire, le cinéaste Sembène retourne à l’affiche au Sénégal

Le réalisateur Sénégalais Ousmane Sembène dans son bureau a Dakar en 2005.

Le réalisateur sénégalais Ousmane Sembène dans son bureau à Dakar en 2005.. 2005 AFP

Le 12/12/2023 à 10h10

Quand la lumière s’éteint et que l’écran s’allume, la salle remonte le temps pour plonger dans l’univers du Sénégalais Ousmane Sembène, le «père» du cinéma africain qui aurait eu cent ans cette année.

L’artiste est à l’honneur dans les cinémas de Dakar, où une rétrospective retransmet ses plus grands films comme «Le Mandat» (1968), «Ceddo» (1976), «Camp de Thiaroye» (1988) ou «La Noire de...» (1966).

Plusieurs initiatives célèbrent celui qui était autant écrivain que scénariste et réalisateur et qui a, jusqu’à sa mort en 2007 à l’âge de 84 ans, placé son engagement politique, social et artistique au cœur de son travail.

Son cinéma est marqué par une oeuvre critique volontiers féroce, visant notamment le racisme («La Noire de...»), l’hypocrisie sociale («Le Mandat»), les ingérences religieuses («Ceddo»), ou l’instrumentalisation des hommes (les tirailleurs sénégalais dans «Camp de Thiaroye»).

Des voix regrettent l’absence d’hommage national porté par l’Etat pour cette «figure de référence» qui a «posé les jalons du cinéma africain», «montré le chemin à toute une génération d’artistes», et contribué à redonner à la culture africaine la place qu’elle mérite, selon le critique de cinéma Baba Diop qui l’a interviewé à plusieurs reprises.

Dans son bureau dakarois, l’Italien Marco Lena, directeur exécutif du Fonds d’archives africain pour la sauvegarde des mémoires, manipule avec soin les négatifs d’anciennes photos de la seconde moitié du XXe siècle pour les numériser.

Des dizaines d’images du réalisateur ont été retrouvées grâce à son équipe. Certaines le montrent la pipe à la bouche, casquette sur la tête, tels qu’il est habituellement représenté; d’autres, concentré, derrière sa caméra.

«Audace africaine»

«Nous avons été invités à montrer ces images au Burkina Faso, en France, en Italie», raconte Katlyn Liliou, coordinatrice des activités du Fonds. «Il voulait faire du cinéma par les Africains pour les Africains. Il est pour moi le symbole de l’audace africaine», dit-elle.

Avec ces photos inédites et des entretiens de la famille et de collaborateurs, les éditions Vives voix ont publié en 2023 «Ousmane Sembène, le fondateur», qui dresse le portrait de l’homme, du militant, et du legs qu’il a laissé.

Il fut une source d’inspiration pour une génération d’artistes. Des cinéastes, des écrivains, mais aussi des plasticiens, comme Cheikh Ndiaye, qui expose jusqu’au 25 février son travail à la galerie Le Manège de l’Institut français de Dakar dans le cadre de Partcours, festival artistique annuel.

«Tout m’inspire chez Sembène. De sa figure de gamin de Casamance au cinéma. Il a fait l’armée, a été maçon, docker, syndicaliste, écrivain, réalisateur. Il est un exemple de persévérance», explique M. Ndiaye.

Il déambule entre ses toiles qui représentent d’anciens cinémas dakarois, «des lieux à la croisée des chemins», qui allient «architecture et expérience collective». Le cinéma comme système d’information populaire, comme lieu d’apprentissage, vecteur de liberté, de justice politique et sociale.

Cheikh Ndiaye a appelé son exposition «Cours du soir», en référence à Ousmane Sembène, qui pensait que le cinéma «allait faire progresser l’enseignement des masses», et parce qu’il se rattachait à la tradition orale de transmission des Africains, souligne-t-il.

Dignité

Cheikh Ndiaye a croisé Sembène une fois. Il garde de lui l’image d’un artiste qui voulait donner une place à la culture africaine, qui croyait en la justice sociale et en la dignité de l’homme.

«La défense de la dignité des hommes et des femmes» sont parmi les mots qui reviennent le plus parmi ceux qui l’ont côtoyé, comme Clarence Thomas Delgado, qui fut l’un de ses principaux assistants.

«Dans chacun de ses films, il voulait dénoncer beaucoup de choses. Je lui disais de choisir», se souvient son ami. Il évoque la confiance qui les liait, le sens de l’humour de Sembène, sa capacité de travail et sa grande exigence sur le plateau.

«Sembène, c’était la compétence ou rien. Si tu n’étais pas compétent, tu étais viré. Son temps de travail n’était pas son temps de palabre», raconte à l’AFP Makhete Diallo, un autre de ses assistants. Il était «caractériel, rigoureux et très à l’écoute», se remémore-t-il.

Parmi ses proches, tous regrettent qu’aucune rue ne porte le nom du cinéaste, qu’aucune statue n’ait été érigée.

«Comment le 100ème anniversaire de Sembène Ousmane a pu passer inaperçu au Sénégal?», a résumé sur X, anciennement Twitter, Alioune Tine, figure de la société civile. «Sembène c’est un peu notre Victor Hugo et notre Godard. (Il faut) donner le nom de Sembène à la Place de la Nation», grande esplanade de la capitale, estime-t-il, en se désolant du désintérêt croissant des politiques pour la culture.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 12/12/2023 à 10h10