L’éditeur du livre «Le Frankenstein tunisien», illustré par une caricature de M. Saied, a rouvert son stand en fin de matinée, assurant à l’AFP avoir «dissipé des incompréhensions» avec les organisateurs de la Foire.
Vendredi, des agents de sécurité avaient saisi tous les exemplaires en vente et fermé le stand de «La Maison du Livre», un important éditeur tunisien, arguant d’une «possession de livre non autorisé».
Et cela moins d’une heure après l’inauguration de la Foire par le président Saied, venu lancer un appel fervent «à libérer la pensée».
Après avoir enlevé la bâche couvrant son stand sur laquelle il avait apposé l’écriteau «fermé par une décision arbitraire», Habib Zoghbi de la Maison du Livre s’est rétracté samedi de ses accusations de «censure».
«Le livre en question n’a pas été confisqué pour son contenu mais parce qu’il n’était pas sur la liste présentée initialement à la direction de la foire comme le veut le règlement», a assuré son éditeur.
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Cet essai romancé est présenté par son auteur Kamel Riahi comme un livre «politique», évoquant un Frankenstein personnifié par Kais Saied, élu selon lui en surfant sur les colères et frustrations d’un peuple déçu par le système en place depuis la Révolution de 2011, la première du Printemps arabe.
Regrettant des «déclarations à chaud», l’éditeur a martelé que le retrait du livre «n’était pas de la censure mais une question de procédure». Il a dit l’avoir omis de sa liste initiale, suite à des retards à l’impression.
M. Zoghbi a assuré que quelques exemplaires «sont disponibles en librairie à Tunis», qu’il sera réimprimé et devrait revenir à la Foire d’ici son terme le 7 mai.
Sur le stand voisin, de l’éditeur Meskiliani, fermé vendredi «en solidarité» avec la Maison du Livre, le responsable reste convaincu que le refus d’un livre non inscrit au préalable n’est qu’un «prétexte pour le censurer».
Mortadha Hamza évoque «un ouvrage qui retrace ce qui se passe pour les opposants au président » qui dénoncent «une dérive autoritaire» depuis le coup de force de Kaïs Saied du 25 juillet 2021 par lequel il s’est octroyé les pleins pouvoirs.
«pas normal»
«Ce n’est pas normal qu’en 2023 on puisse censurer l’idée, l’écriture, sous n’importe quel prétexte», lance-t-il.
Malgré tout, il a rouvert son stand samedi, «premier vrai jour de la Foire» où les familles affluent pour profiter de fortes remises sur les livres, habituellement très couteux.
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Sur le stand de l’éditeur Nirvana qui fait face à la Maison du Livre, Mohamed Bennour relativise du haut de ses 70 ans, dont plus de 40 dans l’édition, l’incident autour de l’ouvrage.
Selon lui, l’obligation de fournir à l’avance une liste des livres exposés «existe depuis belle lurette» et remonte à l’ère du père de l’indépendance Habib Bourguiba (1956-1987).
Elle était destinée, dit-il, à éviter l’introduction de livres «de salafistes et intégristes enseignant les techniques du terrorisme ou pour lutter contre l’Etat laïc».
La procédure a été maintenue sous le dictateur Ben Ali qui avait également mis en place des comités de censure pour la littérature et le cinéma.
Et elle a perduré après la Révolution de 2011 et la chute du régime par peur de l’exposition d’ouvrages «incitant à fabriquer des armes ou des explosifs», ajoute-t-il.
«Cette règle est connue et l’éditeur l’avait acceptée comme nous tous. Donc, soit on joue le jeu, soit on décide de ne pas participer à la Foire comme l’ont fait certains éditeurs», estime M. Bennour.
En revanche, l’éditeur voudrait une révision de cette procédure «en concertation entre les autorités culturelles, les éditeurs et les libraires».
«Le fait d’imposer une liste est une forme de censure et de contrôle des livres exposés, et ça c’est anormal», admet-il.