Depuis la sortie du président Abdelmadjid Tebboune, le 27 novembre 2022, lors d’un Conseil des ministres au cours duquel il déversa sa colère contre le transporteur national Air Algérie, et la commande de 15 nouveaux avions, il ne se passe pas une journée sans que les médias algériens, reprenant les propos des dirigeants du pavillon algérien, ne glosent sur la prétendue concurrence que compte imposer Air Algérie à Royal Air Maroc pour lui prendre des parts de marché et détrôner le transporteur marocain sur le marché africain.
Si les médias algériens insistent tant sur cette concurrence, c’est que le président algérien, lors de ce même Conseil des ministres, avait appelé à contrecarrer la politique marocaine en faisant d’Air Algérie le bras économique et diplomatique de l’Algérie en Afrique.
La commande de 15 nouveaux appareils auprès de Boeing et d’Airbus, un projet datant de l’ère Bouteflika avant d’être remis au goût du jour par Tebboune, l’ouverture de nouvelles lignes aériennes, la transformation de l’Aéroport d’Alger en hub pour concurrencer celui de Casablanca et le développement du «tourisme médicale» figurent parmi les arguments avancés par les dirigeants de la compagnie algérienne pour concurrencer Royal Air Maroc en Afrique.
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Il est évident que certains de ces arguments peuvent théoriquement contribuer à améliorer la part de marché d’Air Algérie, en revanche les leviers sur lesquels compte s’appuyer le management du pavillon algérien restent à construire.
Le rajeunissement de la flotte algérienne pas pour demain
La moyenne d’âge de la flotte d’Air Algérie, qui se compose actuellement de 56 appareils, reste un mystère. L’énigme est d’autant plus épaisse que le site internet de la compagnie avance une moyenne d’âge de 11 ans, alors qu’en janvier dernier, Yacine Benslimane le PDG de la compagnie, reconnaissait que plusieurs appareils étaient cloués au sol en raison de «l’âge moyen de nos avions est de 18 ans, ce qui signifie qu’il ne reste plus que 7 ans avant de les faire sortir du parc opérationnel».
Cet âge avancé concerne particulièrement une grande partie des Boeing 737, plus de la moitié de la flotte algérienne, acquis entre 2000 et 2011, mais aussi celui des ATR. Conclusion: les 15 nouveaux appareils commandés, livrés à partir de 2025, devront surtout remplacer les vieux avions qui seront alors poussés à la retraite.
En attendant la réception des appareils commandés, Air Algérie a annoncé l’acquisition en leasing de dix avions conformément à ses ambitions de développement à l’international.
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Seconde conclusion: l’impact des commandes d’avions ne doit pas être surestimé. En tenant compte des remplacements d’avions vieillissants, la flotte algérienne ne devrait pas connaître un rajeunissement significatif les années à venir.
Et sur cet argument précis qui semble constituer l’«arme fatale» d’Air Algérie, que s’est également engagée Royal Air Maroc, celui du renforcement de la flotte à l’instar de presque tous les pays africains. Le PDG de la compagnie marocaine, Hamid Addou, a souligné que dans le cadre de la stratégie de développement de la compagnie, celle-ci prévoit de doubler sa flotte au cours des dix prochaines années.
En clair, sur cet argument, les deux compagnies ont presque la même taille. Sauf que...
Outre la flotte, les dirigeants d’Air Algérie annoncent leurs ambitions de faire de l’aéroport d’Alger un hub aérien entre l’Afrique et l’Europe et consolider les échanges entre l’Algérie et le reste du continent.
Soit, mais cela prendra du temps et il faudra que les liaisons aériennes entre l’Algérie et le reste de l’Afrique connaissent une certaine évolution. Ce qui est loin d’être le cas actuellement.
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En effet, Air Algérie ne dessert que onze pays africains dont neuf subsahariens, n’assurant en tout que 60 vols hebdomadaires, contre 26 liaisons directs pour RAM qui assure au total plus de 131 rotations hebdomadaires.
Mais l’écart ne s’arrête pas là. Sur ses neuf destinations en Afrique subsaharienne, hormis celle d’Alger-Dakar, la compagnie algérienne n’effectue qu’une à deux liaisons hebdomadaires pour les autres lignes, faute de passagers. Au contraire, RAM assure 28 vols hebdomadaires sur Abidjan (Côte d’Ivoire), 20 vols hebdomadaires sur Dakar (Sénégal), 14 vols hebdomadaires sur Bamako (Mali), autant sur Conakry (Guinée), Lagos (Nigeria) et Nouakchott (Mauritanie)...
Dès lors, il devient évident que pour rattraper une partie de ce retard, le président Abdelmadjid Tebboune a demandé à la compagnie d’ouvrir de nouvelles liaisons en Afrique. «Le repositionnement de la compagnie vers l’Afrique est une exigence forte du chef de l’Etat», a souligné Amine Andaloussi, porte-parole de la compagnie.
Ouvrir une ligne est une chose, savoir la rentabiliser en est une autre
Seulement, il y a loin de la coupe aux lèvres. Ouvrir une ligne aérienne est une chose, savoir la rentabiliser et la pérenniser en est une autre. A ce titre, il faut rappeler qu’Air Algérie avait suspendu, en janvier 2017, sa liaison Alger-Abidjan via Ouagadougou à cause d’un faible taux de fréquentation. C’est n’est qu’en août 2022 que le gouvernement algérien a annoncé la réouverture de la desserte Alger-Abidjan à raison d’un vol par semaine. Et les ouvertures de liaisons «décrétées» par la présidence pour soi-disant booster la diplomatie algérienne en Afrique risquent de ne pas être pérennes.
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La faiblesse du réseau d’Air Algérie en Afrique s’explique également par l’absence de relations économiques et commerciales, mais aussi socio-culturelles entre l’Algérie et le reste du continent. Les entreprises algériennes sont totalement absentes d’Afrique, contrairement à leurs homologues marocaines qui y ont beaucoup investi et cela depuis des décennies.
A titre d’exemple, l’Algérie essaye depuis plusieurs années d’ouvrir des filiales bancaires en Afrique subsaharienne.... sans succès. Pendant ce temps-là, les trois plus grandes banques marocaines sont présentes dans toutes les régions du continent, contribuant à fluidifier les flux d’échanges et les investissements entre le Maroc et le reste du continent avec à la clé de nombreuses entreprises du Royaume implantées en Afrique dans divers secteurs: banques, NTI, assurances, engrais, enseignement… Un contexte qui contribue à entretenir un flux permanent de voyageurs entre le Royaume et le reste du continent. Ce qui est encore loin d’être le cas de l’Algérie.
Ainsi, RAM a acquis ses titres de noblesses dans certains pays, étant presque la seule compagnie à les desservir dans des conditions particulières. C’est le cas de la Guinée que RAM à continuer à desservir durant la pandémie d’Ebola alors que toutes les autres compagnies aériennes qui desservaient Conakry avaient suspendu leurs liaisons. En Centrafrique également RAM a été l’une des rares compagnies à desservir la capitale Bangui alors que la guerre civile faisait encore rage.
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Au niveau culturel, outre la promotion du tourisme religieux dans un certain nombre de pays ouest-africains, RAM soutient de nombreux festivals en Afrique dont l’un des plus célèbres, le Fespaco, et ce depuis des années donnant à la compagnie une certaine visibilité continentale.
Ce sont des facteurs qui ont contribué au rayonnement de Royal Air Maroc en Afrique. Riche d’une excellente connectivité avec toutes les autres régions du monde -Europe (France, Espagne, Allemagne, Suisse, Russie, Italie…), Asie (Emirat, Chine…) et Amériques (USA, Canada, Brésil…)- RAM rayonne à partir de Casablanca.
Le transporteur national du Maroc offre un maillage de correspondances intercontinentales qui font que de nombreux voyageurs de l’Afrique de l’Ouest et centrale optent pour Casablanca faisant de son aéroport un hub aérien.
Voulant aller encore plus loin, le PDG de RAM compte renforcer ce positionnement. «A moyen terme, nous allons œuvrer pour renforcer notre position à l’échelle continentale pour devenir la première compagnie aérienne en Afrique», a ainsi souligner Hamid Addou. En clair, pour la compagnie marocaine, la cible c’est Ethiopian Airlines, le leader africain.
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Alger compte beaucoup moins de passagers d’Afrique subsaharienne en transit. Ainsi, conscient que le Sénégal constitue la première source de trafic de passagers de RAM en Afrique, Air Algérie met le forcing pour nouer un partenariat stratégique avec la compagnie Air Sénégal.
Cette dernière qui couvre plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et centrale transportera les passagers jusqu’à Dakar et Air Algérie s’occupera d’acheminer ceux dont les destinations à l’international ne sont pas couvertes par la compagnie sénégalaise. Objectif: récupérer une partie des passagers en continuation qui prenait RAM à partir de Dakar. Et pour y arriver, outre le forcing exercé sur Air Sénégal, Air Algérie casse les prix.
Seulement, Air Sénégal qui couvre tous les pays européens où sont concentrés ses ressortissants (France, Espagne, Italie, Royaume-Unis…) et assure la desserte sur New York n’a pas vraiment besoin d’un partenariat avec Air Algérie pour développer son trafic, au contraire.
Par ailleurs, dans sa nouvelle quête de l’Afrique, Air Algérie avance qu’elle va développer de nouveaux services de transport au profit de ses clients afin d’accroître ses parts de marché en Afrique. Et parmi ces nouveaux services figure le développement du tourisme médical. Avec cette niche, Air Algérie souhaite ne pas se contenter de transporter des passagers en transit vers l’Europe, mais aussi d’accueillir des personnes qui souhaitent obtenir des soins médicaux dans les cliniques privées algériennes. Au fond, l’objectif affiché est d’attirer vers l’Algérie une partie de la clientèle africaine captée par les autres pays nord-africains, notamment le Maroc et la Tunisie.
A ce titre, pour promouvoir la «destination médicale algérienne», le mercredi 7 juin courant, un voyage de découverte et de promotion de la destination algérienne a été organisé au profit de 15 médecins nigériens afin de les faire découvrir les potentialités du secteur médical du pays. «Nous visons le réseau d’Air Algérie en Afrique. Nous avons commencé par le Niger comme pays pilote. Ensuite, nous allons proposer le même service dans d’autres pays africains. Nous allons nous appuyer sur les agences de voyage et un réseau de cliniques privées pour attirer des touristes médicaux africains», a souligné le porte-parole d’Air Algérie, Amine Andaloussi, expliquant qu’un réseau de cliniques privées d’ophtalmologie, de cardiologie et d’oncologie a été constitué pour accueillir les touristes médicaux africains.
Manque de vision stratégique
Seulement, vouloir concurrencer la RAM en comptant sur ce créneau paraît insensé. Et pour cause, le tourisme médical algérien est quasi inexistant alors que le Maroc a développé ce créneau depuis des décennies et a tissé des conventions avec de nombreux organismes et pays africains. L’expertise marocaine dans le domaine du tourisme médical est connue, alors que ce domaine est largement déficitaire en Algérie du fait d’un manque d’infrastructures et de compétences, du fait que les meilleurs profils ont tendance à rapidement quitter le pays faute d’un environnement favorable. Donc ce créneau ne peut constituer un argument pour capter une partie du trafic de Royal Air Maroc.
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Pour l’heure, l’unique argument algérien est tarifaire. En septembre 2022, la compagnie a lancé une campagne de promotion pour des vols reliant les villes françaises (Paris, Lyon, Marseille, Toulouse…) aux capitales ouest-africaines (Bamako, Niamey, Abidjan, Dakar, Nouakchott…) via Alger à des tarifs sacrifiés. Toutefois, en dépit de ces prix, les expériences de nombreux passagers subsahariens ayant transité par l’aéroport d’Alger ne ne plaident pas pour l’aéroport d’Alger.
In fine, l’expertise, le savoir-faire font défaut à Air Algérie dans sa volonté de concurrencer Royal Air Maroc. Et le fait d’asseoir toute sa stratégie sur la volonté du président Tebboune dans le seul souci de concurrencer la compagnie marocaine traduit un manque de vision stratégique.
Et au-delà, pour faire d’Alger un hub aérien, il faudra aussi qu’Air Algérie corrige ses nombreuses tares: retards récurrents, accidents techniques, scandales du personnel navigant… qui éclaboussent la compagnie ces dernières années et faire monter sa cote auprès des voyageurs.