Ces deux bombes à retardement qui menacent l’économie algérienne

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune.

Le 23/01/2023 à 08h57

En dépit d’une pseudo-embellie qu’aurait permis la flambée des cours du pétrole et du gaz, dans le sillage de la guerre Russie-Ukraine, l’économie algérienne continue de traîner deux faiblesses structurelles inquiétantes. Jean-Pierre Sereni n’a pas hésité à qualifier ces facteurs de «Cancer financier qui mine l’Algérie».

«Comme Janus, le dieu romain aux deux visages, le système financier algérien dissimule deux bombes à retardement aussi dangereuses l’une que l’autre pour l’avenir du pays: une masse de subventions en folie qui pèse déjà un bon quart du PIB et un déficit budgétaire qui enfle tant et plus, proche du même poids». C’est ce que vient d’écrire Jean-Pierre Sereni, journaliste, ancien directeur du Nouvel Economiste, ex-rédacteur en chef de l’Express et auteur de plusieurs ouvrages sur le Maghreb, le Golfe… dans les colonnes de l’Orient XXI, magazine de référence dans le monde arabe. C’est dire que l’homme connait bien son élément.

D’ailleurs, il s’agit de réalités sur lesquelles ne cessent d’alerter les institutions financières internationales, notamment la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI).

Dans un article intitulé «Ce cancer financier qui mine l’Algérie», l’auteur analyse le poids des subventions qui plombent l’économie algérienne et l’inquiétant déficit budgétaire qu’elles contribuent à creuser pour atteindre un niveau inquiétant et insoutenable pour le Trésor algérien.

D’abord, les transferts sociaux dont les subventions constituent un gouffre pour le budget de l’Etat. En 2022, le gouvernement avait prévu de leur consacrer 17 milliards de dollars avant que ce montant ne soit fortement dépassé à cause de la flambée des prix.

Pour 2023, avec des subventions inscrites de 6.000 milliards de dinars, soit environ 40 milliards de dollars, pour un PIB estimé à 24.000 milliards de dinars (162,53 milliards de dollars), les subventions vont représenter 25% du PIB du pays. Ce qui est tout simplement ahurissant.

Pourtant, en novembre 2021, le Parlement algérien avait adopté une Loi de finances consacrant la fin des subventions pour 12 produits de large consommation (farine, pain, semoule, lait en sachet, huile de soja, eau potable, essence, diesel, gaz butane, GPL, électricité et gaz de ville).

Mais comme les précédents gouvernements qui ont dirigé le pays, ceux du président Tebboune ne sont obnubilés que par l’achat de la paix sociale à coup de subventions, se souciant peu du développement économique du pays. D’ailleurs, l’Etat «social» est régulièrement avancé comme argument par le président Tebboune et ses ministres pour justifier les dépenses énormes des ressources et justifier l’absence d’investissements à même de mettre le pays sur le trend d’une croissance forte.

Ce qui dénote d’un manque de vision stratégique chez les dirigeants algériens et explique qu’à chaque baisse des cours du baril de pétrole, le pays retombe dans une crise économique et financière aiguës.

Seulement, en négligeant d’investir pour le développement économique du pays, ils hypothèquent son avenir et celui de sa jeunesse. Une jeunesse qui ne pense plus qu’à immigrer, consciente que l’avenir est loin de s’éclaircir tant que ce sont les militaires qui dirigent dans l’ombre.

Ensuite, en plus des subventions tous azimuts, le déficit budgétaire, en dépit de la hausse des recettes tirées des hydrocarbures qui représentent plus de 45% des ressources du budget, a atteint un niveau inquiétant. Et ce n’est pas uniquement sous l’effet des transferts sociaux. Certains budgets ont explosé sans que des explications ne soient données. C’est le cas du budget du ministère des Finances qui se chiffre à 3.704,85 milliards de dinars, dépassant celui de l’armée qui a pourtant augmenté en 2023 de 90% par rapport à celui de 2022 pour s’établir à 2.486 milliards de dinars algériens. «Nul ne sait dans l’opinion à quoi cela correspond, d’autant que la nouvelle présentation de la loi de finances a peut-être réintroduit dans le budget du ministère de la Défense des dépenses autrefois dissimulées ailleurs. S’y ajoutent les achats d’armes dont le montant n’a jamais été rendu public», souligne Jean-Pierre Sereni.

Cela, sans parler de l’opacité qui entoure certaines rubriques du budget qui concentrent des montants faramineux. A titre d’illustration, le budget des Finances dissimule un gros montant non assigné, autrement dit non affecté, de 2.486 milliards de dinars. Un montant bizarrement équivalent à celui du budget de la Défense.

Ces deux ministères totalisent ainsi 6.190 milliards de dinars, soit 45% des dépenses du budget de l’Etat ! Une situation unique au monde.

Du coup, en tenant compte des budgets de l’Education et Enseignement supérieur (1.707,78 milliards de dollars), de la Santé (702,24 milliards de dinars) et du Travail, emploi et sécurité sociale (1.021,42 milliards de dinars), on comprend que l’Etat n’accorde pas grand-chose au développement économique et à la réalisation des infrastructures de base à même de contribuer au développement du pays. D’ailleurs, de nombreux projets annoncés depuis des années sont toujours en stand-by et ce en dépit de la manne financière tirée de la flambée des cours des hydrocarbures qui représentent 95% des recettes d’exportations du pays.

Le budget 2023 annonce un déficit budgétaire de 6.586,3 milliards de dinars, soit 44,58 milliards de dollars, ce qui représente 23,7% du PIB. «Le ratio est gigantesque, sans précédent ou presque dans le monde, en dehors des Etats faillis», souligne Sereni.

Conséquence, le secteur privé a du mal à se développer. D’ailleurs, «les rares exportations hors hydrocarbures dont se glorifie le régime bénéficient d’un accès à l’énergie tellement bon marché qu’on peut légitimement s’interroger : « ne vaudrait-il pas mieux exporter directement les combustibles ?», s’est étonné l’auteur de l’article.

Après avoir dépensé toutes les ressources engrangées durant les années 2002-2023 par le Fonds de régulation des recettes (FRR), le fonds souverain du pays, pour financer les déficits budgétaires entre 2014 et 2018, jusqu’à son épuisement, poussant ensuite les gouvernements à recourir au financement «non conventionnel» (planche à billets), pour financer le déficit budgétaire, le gouvernement actuel doit trouver une solution pour faire face au déficit annoncé pour cette année. En tout cas, le pétrole ne suffira pas. Selon les projections du FMI, il faudrait un cours moyen du baril de pétrole de 150 dollars pour que l’Algérie puisse atteindre l’équilibre budgétaire en 2023. Or, même au summum de la crise Russie-Ukraine, le baril ne s’est pas approché de ce niveau et ne l’a jamais atteint.

C’est dire que le déficit sera abyssal. Et l’«Etat social» algérien repose sur trois piliers qui n’en peuvent plus : le budget de l’Etat, la Sonatrach et les banques publiques. Avec les transferts sociaux, les dépenses affectées au ministère de la Défense et celles marquées par le secret le plus total, le Trésor est devenu incapable de faire face au déficit budgétaire abyssal du pays.

Pour ce qui est de la Sonatrach, la vache à traire de l’Etat, elle bénéficie actuellement de l’évolution favorable des cours du pétrole, mais investit peu alors que nombre de ses puits pétroliers et gaziers sont en déclin. Elle continue d’écouler 40% de sa production au niveau du marché intérieur à des prix bradés, ce qui contribue au gaspillage des ressources du pays. Ces subventions sur les carburants et le gaz bénéficient plus aux riches qu’aux pauvres. Seulement, à cause des subventions qui lui coûtent cher, l’entreprise a du mal à investir et ne pourra pas répondre à l’exigence de doubler sa production cette année, comme le souhaitent les autorités.

Quant aux banques publiques qui sont le bras financier de l’Etat, elles sont affectées par un manque de liquidités du fait que les Algériens n’ont pas confiance en elles et préfèrent thésauriser leur épargne. Une situation qui a poussé le président Tebboune, lors de sa dernière sortie, à demander aux Algériens de cesser la thésaurisation en plaçant leur épargne dans les banques du pays. Mais la population n’est pas dupe. Ces banques qui financent les promoteurs immobiliers et certains industriels proches du régime sont structurellement fragiles. Pour les remettre à flots, l’Etat a recouru à la planche à billets pour un montant de 2.100 milliards de dinars, en vue de rembourser les dettes des établissements publics débiteurs auprès des banques publiques, soit 14,22 milliards d’euros, suscitant l’inquiétude du FMI qui a alerté sur ce montage peu orthodoxe qui «menace la stabilité monétaire du pays, place les finances publiques en grand danger et compromet les capacités de la Banque d’Algérie à financer l’économie nationale».

En novembre dernier, le FMI alertait également sur les gros risques qui planent sur l’économie algérienne en soulignant aussi que «le resserrement des liens entre les bilans de l’Etat, des entreprises publiques et des banques publiques pourrait faire peser des risques sur la stabilité financière et la viabilité de la dette».

Pire, cet Etat social ne bénéficie pas à tous et il est non-viable. En accordant l’essentiel du budget aux subventions et à la Défense, l’Etat oublie les investissements dans les secteurs sociaux. «Cette situation anormale interdit à l’Etat d’équiper le pays en écoles et en hôpitaux, à la compagnie nationale des hydrocarbures de prospecter pour remplacer des gisements qui s’épuisent et aux banques de financer les entrepreneurs porteurs d’avenir», explique l’auteur.

En plus, malgré les subventions, «la population, surtout hors des grandes métropoles, souffre des pénuries, des retards, des flambées de prix dus aux défaillances du système et, en prime, d’une paupérisation sans précédent». Et il fait naître chez les Algériens une mentalité d’assistés alors que ce qu’ils souhaitent c’est que l’Etat joue véritablement son rôle de stimulateur de la croissance et octroie des salaires et des retraites décents aux fonctionnaires. Ce qui est loin d’être le cas sachant que «900.000 retraités bénéficient de moins de 40 euros par mois».

Ainsi, selon Jean-Pierre Sereni, cette situation n’est pas durable. «Sa conséquence la plus attendue, l’inflation, n’apparait pourtant pas, actuellement dans les statistiques. La hausse des prix -même en 2022, année de forte inflation mondiale- s’est officiellement maintenue sous la barre des 10%. A cela plusieurs explications. L’indice, vieillot, ne concerne que la ville d’Alger et sa structure n’a pas bougé depuis plus d’un demi-siècle, le secteur informel, qui occupe de 30 à 40% de l’économie, échappe par définition aux conjoncturistes de l’Organisation nationale des statistiques (ONS). Enfin, les pénuries chroniques font disparaître le produit et son prix qu’il est impossible de suivre. Avec un thermomètre aussi biaisé, toute mesure sérieuse est impossible».


D’ailleurs, même le président Tebboune a reconnu que la situation n’est pas tenable, lors d’une interview du 22 décembre 2022, en soulignant que «les prix ont flambé au nom de la liberté du commerce, le revenu du citoyen a stagné et la valeur du dinar a chuté. Où allons-nous ?». Une reconnaissance suivie de quelques promesses d’augmentation des salaires, des retraites et d’allocation chômage pour les jeunes sans emplois. Or, les jeunes ont besoin d’emplois et pas d’allocations. Seulement, ces nouvelles dépenses qui creusent encore plus le déficit budgétaire s’expliquent plus par des visées électoralistes. Le président pensant déjà à un second mandat à la tête du pays.

Partant, la fin des subventions annoncée par les autorités est mise entre parenthèses, le temps que l’élection présidentielle passe. Du coup, «le cancer continuera à proliférer dans l’indifférence des responsables du pays, si avares dans la gestion de leur matelas de dollars et si aveugles face à la tragédie de la monnaie nationale, le dinar», conclut l’auteur.

Par Karim Zeidane
Le 23/01/2023 à 08h57