Les décisions politiques prises par l’Inde se font ressentir sur le repas quotidien de nombreux Africains, notamment ceux de l’Ouest, qui raffolent du riz, comme les Nigérians, les Sénégalais, les Ivoiriens, les Maliens…
Le 21 juillet dernier, New Delhi a décidé l’interdiction de l’exportation du riz blanc non basmati (basmati signifie parfumé en hindi) dans le but de réserver la production locale à la consommation nationale. Cette mesure a été davantage corsée, en août, par l’imposition d’un droit de douane de 20% sur les exportations du riz étuvé (passé à la vapeur d’eau pour une cuisson plus rapide).
A travers ces décisions, l’Inde tente de faire face à la flambée locale du prix du riz qui a augmenté de plus de 30% depuis octobre 2022. A quelques mois des élections générales de 2024, le gouvernement se devait de prendre des mesures d’apaisement.
Bien que second producteur mondial de riz, derrière la Chine, et avec une population dépassant 1,4 milliard de consommateurs, l’Inde souhaite prévenir tout déficit pouvant accentuer la flambée des prix.
Seulement, l’Inde étant le premier exportateur mondial de riz avec environ 40% du commerce mondial avec des exportations annuelles de plus de 22 millions de tonnes à destination de 140 pays, les deux décisions ne pouvaient qu’accélérer la hausse des cours mondiaux, déjà sur un trend haussier depuis 2022.
Conséquence, les prix du riz ont flambé au moment où ceux de toutes les autres céréales baissaient, y compris ceux du blé, en dépit du non-renouvellement de l’accord céréalier qui facilitait les exportations ukrainiennes.
Ainsi, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les prix du riz dans le monde ont atteint, en août, leur plus haut niveau en 15 ans, en augmentant de 9,8% sur un mois après les décisions indiennes. Sur un an, les prix mondiaux du riz étaient, à fin juillet, en hausse de 30% sur un an.
Or, l’Inde approvisionne en brisure (riz bouilli dans de l’eau) de nombreux pays africains, dont les plus gros consommateurs. D’où la double inquiétude de ces pays. A cette flambée des prix, s’ajoute la dépendance aux importations en provenance d’Inde. C’est le cas du Bénin qui importe 75% de sa consommation de l’Inde.
Mais New Delhi n’est pas seule responsable de cette situation. La baisse des surfaces cultivées à cause de la sécheresse dans certains pays asiatiques a également contribué à la baisse de la production, elle-même à l’origine de la tension sur le marché international.
C’est le cas notamment de l’Indonésie, un des principaux producteurs mondiaux de riz, mais aussi de la Thaïlande, également fournisseur des pays africains en brisure de riz, également touchée par des conditions climatiques défavorables.
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En outre, de nombreux autres producteurs ont préféré «conserver des stocks» et de «renégocier des contrats» afin de tirer profit de la tension qui secoue le marché.
Enfin, les effets du changement climatique, qui se manifeste par des inondations dans certaines régions d’Asie du sud, la hausse du coût des engrais et les factures élevées du fret, dues aux cours du fuel à cause de la guerre Russie-Ukraine, ont de leur côté contribué à cette flambée du prix du riz.
Dans ces conditions, ce sont les pays africains qui trinquent le plus. Et pour cause, alors que l’Afrique représente moins de 17% de la population mondiale, le continent absorbe 40% du commerce mondial de riz, soit 20 millions de tonnes, selon les données de la revue du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) en 2022.
Un niveau d’importation qui illustre l’échec des politiques d’autosuffisance subis par de nombreux pays producteurs du continent, notamment ceux de l’Afrique de l’Ouest que sont le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. En 2022, ces derniers ont importé respectivement 2,5 millions de tonnes, 1,9 et 1,5. Ces trois pays sont à l’origine d’environ 30% des importation du riz du continent.
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Actuellement,la production de l’Afrique répond à seulement 60% de ses besoins. Le riz est cultivé dans près de 40 des 54 pays du continent africain où la riziculture est la principale activité et source de revenus de plus de 35 millions de petits exploitants. En augmentation constante, la production est passée de 32,9 millions en 2017 à 38 millions de tonnes en 2020, selon la FAO.
Toutefois, le rythme de la croissance de la demande en riz, plus de 6% par an, fait que l’augmentation de la production reste insuffisante.
Les principaux producteurs de riz paddy (riz sur pied dans la rizière) en 2020 sont le Nigeria (8,2 millions de tonnes), l’Egypte (4,90), la Tanzanie (4,53), Madagascar (4,23), le Mali (3), la Guinée (3) et la Côte d’Ivoire (1,5).
A titre d’illustration, en 2020, la production mondiale du riz paddy était évaluée à 523 millions de tonnes. Le continent en représentait qu’à peine 7,25%. La Chine, l’Inde et l’Indonésie sont les principaux producteurs de riz au monde avec respectivement 214 millions de tonnes, 172 millions et 83 millions.
Ces chiffres illustrent l’insignifiance de la production africaine, d’où le recours aux importations pour satisfaire la consommation.
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Important 40% de ses besoins en riz, la forte hausse des cours va impacter négativement la facture alimentaire des principaux importateurs africains.
Avant cette flambée, le continent dépensait autour de 7 milliards de dollars en importations de riz. Avec cette flambée, la facture devrait s’alourdir à environ 10 milliards de dollars.
Cette hausse du cours du riz, conjuguée aux dépréciations des monnaies de nombreux pays africains, devrait se traduire par une hausse accentuée de cette facture en monnaie locale et donc une flambée plus inquiétante.
Ces additions cumulées vont contribuer à grever les réserves en devises étrangères des importateurs. En Côte d’Ivoire, second importateur de riz du continent en 2022, la facture a augmenté de 99 milliards de francs CFA (+24,4%) pour s’établir à 505 milliards de FCFA, soit 843 millions de dollars.
Et c’est pour faire face à cette situation, comme à celle d’éventuelles pénuries, que de nombreux pays ouest africains ont interdit l’exportation de la céréale vers leurs voisins. C’est le cas de la Guinée, du Niger, de la Côte d’Ivoire…
Malheureusement, en dépit des conséquences de cette flambée et des risques de pénurie, les pays africains ne profitent pas de ces situations pour lancer de véritables politiques agricoles devant leur permettre l’autosuffisance.
Pourtant, la crise sanitaire du Covid-19 et plus récemment la guerre Russie-Ukraine ont révélé l’urgence pour les pays d’Afrique d’initier des politiques de souveraineté alimentaire. Et cela est possible au regard des énormes potentialités que recèle le continent dont 60% des terres arables ne sont pas exploités. Les nombreux cours d’eau sont également des atouts qui sommeillent encore.
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Pourquoi alors cette dépendance pour une céréale devenue essentielle à la consommation locale? Plusieurs facteurs contribuent à expliquer cette dépendance.
D’abord, il y a bien évidement l’échec des politiques d’autosuffisance en riz initiées par de nombreux pays du continent. C’est le cas du Sénégal dont la consommation du riz est colossale. En effet, en dépit des efforts, la production locale ne couvre qu’environ 50% de la consommation nationale estimée à 2 millions de tonnes par an.
Ensuite, il y a le mode de consommation des ménages. Au Sénégal, l’une des causes du déséquilibre entre l’offre et la demande en riz tient à la préférence des Sénégalais pour le riz brisé importé, au détriment du riz produit localement.
En outre, il y a les politiques économiques qui ne favorisent pas l’émergence de la production locale. La fiscalité n’encourage pas la production dans de nombreux pays africains. A titre d’exemple, au Sénégal, le riz importé n’est pas soumis à la TVA alors que les investissements des producteurs locaux sont soumis à cette taxe.
Mais, ce n’est pas le cas de tous les pays de la région. Le Nigeria, premier producteur de riz en Afrique avec un peu plus de 5 millions de tonnes, également premier importateur africain de la céréale, taxe fortement les importations. Une taxe de 110% sur le riz importé est appliquée afin d’encourager la production locale. Le Nigeria a surtout interdit l’accès du riz à son territoire via les frontières terrestres.
Bref, la production rizicole africaine est faible en dépit des potentialités énormes. Ce qui a entrainé la dépendance du continent des importations en provenance de l’Asie, notamment de l’Inde, de la Thaïlande, du Vietnam…
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Pour autant, le continent conserve des atouts indéniables pour accroître de manière significative sa production rizicole et atteindre l’autosuffisance.
L’Afrique dispose des ressources humaines avec une population des plus jeunes au monde et naturelles pour être en mesure de produire suffisamment de riz de qualité de façon durable en vue de se nourrir et d’exporter vers d’autres régions du monde.
Ainsi, pour accroître la production, il faut que les pays africains adoptent des politiques d’encouragement au bénéfice des petits agriculteurs, principaux producteurs de riz du continent.
Ainsi après l’échec de sa politique d’autosuffisance, au Sénégal, le président Macky Sall a annoncé en février 2022 la mise en place d’une subvention de 32 francs CFA par kilo de riz cultivé sur le territoire national. Cette incitation devrait augmenter de 20% les revenus des producteurs de riz local.
Au Nigeria pays de 220 millions de consommateur, premier producteur et premier importateur d’Afrique a multiplié les partenariats avec le secteur privé et mobilisé des investissements publics pour renforcer la production et de la transformation afin d’améliorer l’offre et réduire les importations. Cette politique a permis au pays de disposer d’une capacité d’usinage de 6 millions de tonnes actuellement, contre 350.000 tonnes en 2015, contribuant à améliorer le niveau d’autosuffisance en riz qui se situe actuellement autour de 70%.
Ensuite, il faut aller vers une plus grande mécanisation agricole pour les différentes étapes de la culture du riz pour accroître les rendements des riziculteurs africains. Pour y parvenir, il faudra certainement impliquer le privé pour l’exploitation de grandes fermes rizicoles. Ce que le Nigeria est en train de faire pour accroître sensiblement sa production de riz.
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D’autre part, il serait utile de résoudre en priorité le problème de l’accès au financement qui entrave les investissements dans les semences, les engrais et les pesticides.
Au final et malgré les efforts, les dirigeants africains peinent à impulser une dynamique à la production agricole et les plans d’autosuffisance en riz initiés un peu partout en Afrique sont sont soldés par des échecs.
En Côte d’Ivoire par exemple, les autorités ont mis en place un important programme de développement de la riziculture d’un coût de 150 milliards de francs CFA sur la période 2020-2030 avec l’objectif d’atteindre l’autosuffisance en riz en 2030.
A mi-parcours, l’objectif reste ambitieux. Les quantités de riz importées ne cessent de croitre. Et pour cause, alors que la production tend à stagner, la consommation augmente à raison de 7% par an.
Au Mali, l’Etat devrait importer 80% de riz supplémentaire par rapport à la dernière campagne à cause d’une diminution des surfaces emblavées et des rendements en baisse faute d’engrais dont la hausse des cours à impacter négativement les rendements rizicoles. Les paysans ont été obligés de réduire les quantités d’engrais en raison de la flambée des cours.
La volonté politique avant toute chose
Une chose est sure, l’autosuffisance dépend en grand partie de la volonté des dirigeants politiques.
L’Ethiopie a montré l’exemple avec le blé. Le pays est passé d’important importateur au niveau de l’Afrique subsaharienne à excédentaire et même à exportateur en seulement trois ans.
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Ce résultat a été rendu possible grâce à une volonté politique qui a mis à contribution de nombreuses entreprises publiques pour produire des variétés tolérantes à la chaleur et à haute productivité qui ont été distribuées à des millions de petits exploitants agricoles éthiopiens.
Les autorités ont fait passer les superficies de blé irrigué à 1,3 million d’hectares en 2022. Les rendements moyens sont passés de 2 à 4 tonnes/hectare . Cela a permis au pays de récolter 7 millions de tonnes en 2020-2022 et à cesser d’importer du blé.
Au premier semestre de l’exercice 2022-2023, l’Ethiopie a récolté plus de 11 millions de tonnes de blé affichant un excédent de 3,2 millions de tonnes par rapport à la consommation intérieure et en a exporté une partie vers ses voisin, le Kenya, le Soudan.
Les grands pays africains consommateurs de riz peuvent s’inspirer de cette politique, synonyme d’autosuffisance et l’arrêt des importations qui érodent les réserves en devises.