Business Afrique-Asie. Conseil et services: les niches juridiques que le privé gagnerait à anticiper

Flux économiques entre l'Afrique et l'Asie. AFP or licensors

Le 09/09/2025 à 12h27

A l’heure où le business explose entre les pays africains et asiatiques, l’Organisation consultative juridique afro-asiatique trace la cartographie des opportunités et marchés émergeants à saisir par les acteurs économiques de part et d’autre.

Le business entre l’Afrique et l’Asie connaît un boom économique et est appelé à brasser davantage de flux financiers. Dans cette dynamique, en 2024, les importations totales en Afrique ont atteint environ 719 milliards de dollars, en hausse de 2,4% par rapport à 2023, avec des prévisions pour atteindre 800 milliards de dollars en 2025, grâce notamment aux investissements dans les infrastructures et à une demande intérieure croissante.

La Chine reste un partenaire majeur, représentant 18,3% des importations africaines et 12,6% des exportations du continent, ce qui souligne un fort ancrage commercial.

Du côté du Japon, en 2024, le volume des échanges commerciaux avec les pays africains a atteint environ 8,9 milliards de dollars. Une performance partiellement attribuée à la hausse du nombre d’entreprises japonaises présentes en Afrique, passant de 520 en 2010 à 900 en 2020.

Le commerce également est en progression, soutenu par la mobilisation accrue des investissements du secteur privé japonais en Afrique.

Idem pour Singapour, dont les échanges commerciaux avec l’Afrique ont connu une croissance remarquable de 54% entre 2020 et 2024. Les flux sont passés de 12,1 milliards de dollars singapouriens (environ 9,4 milliards de dollars américains) en 2020 à 18,7 milliards de dollars singapouriens en 2024. Une augmentation qui reflète un intérêt croissant de Singapour pour les opportunités économiques en Afrique. Une tendance observée avec d’autres pays asiatiques.

Pour soutenir cette dynamique, plus d’un appelle le secteur privé à l’action. Les plaidoyers en faveur de l’inclusivité et la cocréation de normes insistent sur la nécessité de «promouvoir l’inclusivité dans la gouvernance mondiale», et à «ne pas se contenter de réagir aux développements juridiques mondiaux mais à les façonner activement». C’est dire que ceux-ci constituent bien plus qu’une position politique: c’est un appel à l’action direct pour le secteur privé.

C’est dans ce contexte que se tient du 8 au 12 septembre 2025 à Kampala (Ouganda), la 63ème session annuelle de l’Organisation consultative juridique afro-asiatique (AALCO).

Les opportunités identifiées– des services juridiques haut de gamme et des technologies souveraines à la mobilité professionnelle structurée et aux infrastructures vertes– ne relèvent pas de la spéculation. Elles émergent directement des priorités légales et politiques que les États membres asiatiques et africains ont définies collectivement, créant ainsi un paysage de risque régulé et de demande prévisible pour les investisseurs éclairés.

L’analyse minutieuse des déclarations d’officiels lors de l’avant dernière session annuelle, qui s’est tenue du 9 au 13 septembre 2024 à Bangkok (Thaïlande), et celle qui est présentement en cours à Kampala révèle un terreau fertile d’opportunités et marchés pour les entreprises et acteurs économiques marocains et africains.

Loin d’être de simples discours diplomatiques, ces interventions tracent des cartographies concrètes d’opportunités et de marchés émergents, ancrés dans une volonté commune Asie-Afrique de remodeler la gouvernance et les normes internationales.

Services juridiques et conseil stratégique : un marché en explosion

Bien évidemment, puis que ces sujets sont débattus lors de forum juridiques, les opportunités d’ordre juridiques ne sauraient manquer. La déclaration de Kampala 2025 portée par Anita Among, présidente du Parlement de la République d’Ouganda, insistant sur le besoin critique de «renforcement des capacités juridiques» pour construire «l’expertise et les cadres institutionnels nécessaires à une participation efficace dans l’élaboration du droit international», révèle un marché stratégique pour les prestataires juridiques africains.

Les cabinets marocains, dotés d’une expertise bilingue (français/anglais) et d’une connaissance approfondie des systèmes juridiques africains, civils et de common law, capitalisant sur les expériences acquises lors des opérations d’implantation de filiales en Afrique subsaharienne, sont naturellement positionnés pour répondre à cette demande.

Leur valeur ajoutée réside dans au moins trois domaines clés: l’accompagnement des entreprises et États africains dans la conformité aux normes internationales complexes (commerce, investissement, technologies émergentes évoquées à Bangkok et Kampala); l’expertise en mécanismes d’arbitrage alignés sur les demandes de «représentation équitable des perspectives afro-asiatiques» et la conception de programmes de formation sur mesure pour les institutions locales.

Autant de services qui transforment un impératif politique en opportunité économique tangible, permettant aux acteurs marocains de devenir des intermédiaires incontournables dans la refonte des écosystèmes juridiques africains.

Des champs d’action concrets dans les technologies émergentes et la transition numérique

La convergence des sessions de Bangkok 2024 (cyberspace, droit spatial) et Kampala 2025 (cadres juridiques des technologies émergentes) dessine un paysage opérationnel pour les entreprises tech africaines. Le premier créneau stratégique concerne la souveraineté numérique: développement de solutions locales de cybersécurité et de gouvernance des données, répondant à l’appel de la Déclaration de Krungthep (Thaïlande) pour traiter les «questions juridiques émergentes affectant les générations futures».

Le Maroc, avec ses Autorités chargées de la protection des données opérationnelles et sa stratégie cloud, peut exporter des modèles de conformité adaptés aux réalités africaines.

Le second axe, amplifié par l’urgence climatique transversale (mentionnée aux deux sessions), promeut les «tech for green» (technologie au service de l’écologie): déploiement de l’agritech pour la résilience alimentaire, des cleantech pour la transition énergétique (solaire, hydrogène vert), et des outils de gestion des ressources hydriques.

L’affirmation du président Ougandais sur la priorité du «développement durable» légitime ces investissements, positionnant les entreprises marocaines– leaders régionaux dans les énergies renouvelables– comme passeurs technologiques entre l’Afrique subsaharienne et l’Asie. Des marchés combinés qui représentent un levier de croissance structurelle directement ancré dans les priorités de l’AALCO.

Mobilité professionnelle et protection des travailleurs : un secteur à structurer

L’accent mis par le Président Museveni sur la «protection des travailleurs migrants» lors de la cérémonie d’ouverture de la session de Kampala révèle elle aussi une niche à exploiter. Elle dépasse la seule dimension humanitaire ou juridique. Un besoin qui représente un impératif économique stratégique et un marché en devenir. La mobilité professionnelle afro-asiatique, si elle est structurée, sécurisée et encadrée, peut devenir un puissant vecteur de croissance et de développement mutuel.

La demande asiatique pour une main-d’œuvre qualifiée et spécialisée, couplée au dynamisme démographique et au potentiel de formation africains, crée un terreau fertile pour le développement de services spécialisés à haute valeur ajoutée. La priorité est désormais de transformer cette mobilité, souvent informelle et vulnérable, en un écosystème formalisé, éthique et financièrement productif.

Concrètement, cela passe par le développement de plateformes digitales de recrutement et de gestion de carrière qui garantissent la traçabilité des parcours, la transparence des contrats et le strict respect des droits des travailleurs, répondant ainsi directement aux préoccupations légales soulevées par les États membres.

Parallèlement, ce flux migratoire structuré ouvre un marché financier immense et encore sous-optimisé : celui des services bancaires et financiers transfrontaliers. Il s’agit de concevoir des solutions de transfert de fonds à très bas coût, des produits d’épargne et d’assurance adaptés aux profils et aux besoins spécifiques des travailleurs migrants, ainsi que des mécanismes de microcrédit pour favoriser l’entrepreneuriat dans les pays d’origine. Structurer cette mobilité, c’est donc créer de la valeur sur toute la chaîne, de la formation et du recrutement jusqu’à la gestion de l’épargne, en faisant de la protection du travailleur le socle d’un modèle économique viable et durable.

Energie, environnement et infrastructures durables

La centralité des questions climatiques et de développement durable, soulignée lors des sessions de Bangkok 2024 et de Kampala 2025, n’est pas un hasard diplomatique mais le reflet d’un impératif économique et sécuritaire partagé par l’Asie et l’Afrique. L’appel du Président Museveni à «façonner activement les développements juridiques mondiaux pour refléter nos priorités, notamment le développement durable» constitue une feuille de route claire pour les investisseurs et les entreprises.

Un alignement stratégique qui valide et accélère les opportunités dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, où des partenariats technologiques et financiers afro-asiatiques sont cruciaux pour le déploiement massif de projets solaires, éoliens, hydroélectriques et de réseaux intelligents (smart grids).

Le Maroc, avec son expertise reconnue et ses mégaprojets, est parfaitement positionné pour agir comme un pivot, un hub technologique et de savoir-faire entre les fournisseurs de solutions asiatiques et les vastes besoins du marché africain. Au-delà de la production d’énergie, cet impératif durable commande la construction d’infrastructures résilientes. Rappelons que les besoins sont immenses en ingénierie, en construction et en financement de projets adaptés aux nouvelles contraintes climatiques– qu’il s’agisse de ports, de routes, de voies ferrées ou de réseaux de télécommunication– et répondant aux nécessités de la connectivité régionale.

Investir dans ces secteurs, c’est participer à la construction des fondations physiques et juridiques de la croissance future afro-asiatique, dans un cadre où la durabilité n’est plus une option mais une condition sine qua non de tout développement.

Saisir le Momentum normatif

Ainsi, les sessions de l’AALCO révèlent bien plus qu’un agenda diplomatique, elles dessinent l’architecture future des relations économiques afro-asiatiques.

Pour les acteurs économiques marocains et africains, ce moment est stratégique. Il ne s’agit plus seulement de participer aux échanges commerciaux, mais de se positionner en tant que partenaires indispensables dans la construction même des cadres normatifs et dans l’opérationnalisation concrète des réponses aux défis communs que sont le climat, les migrations et les technologies émergentes. La capacité à anticiper ces transformations, à maîtriser les nouvelles régulations et à offrir des solutions alignées sur les objectifs de développement durable consacrés par l’AALCO deviendra un avantage concurrentiel décisif.

Comme le souligne le ministre de la Justice ougandais Norbert Mao à Kampala, «la mission est de démontrer que la question du droit international a des implications économiques tangibles et qu’elle ouvre des marchés réels».

Les entreprises et les investisseurs qui intégreront cette réalité dès aujourd’hui, en orientant leurs capacités d’innovation et d’investissement vers ces secteurs d’avenir, sont ceux qui captureront une part prépondérante des flux économiques afro-asiatiques de demain, transformant le momentum normatif en une croissance durable et souveraine.

Afro-Asie : les 4 niches juridiques et stratégiques qui façonnent le business de demain

Aspect cléDescription / Opportunités identifiéesActeurs bénéficiaires / Exemples
Contexte & DynamiqueBoom des échanges commerciaux Afrique-Asie. Importations africaines en hausse (719Mds$ en 2024, 800Mds$ prévus en 2025). Croissance des partenariats avec la Chine, le Japon, Singapour, etc.Entreprises, investisseurs et gouvernements des deux continents.
Cadre InstitutionnelL’Organisation Consultative Juridique Afro-Asiatique (AALCO) définit les priorités légales et politiques communes, créant un paysage de risque régulé et une demande prévisible.Sessions annuelles de l’AALCO (Bangkok 2024, Kampala 2025).
Opportunité 1 : Services juridiquesMarché stratégique pour le renforcement des capacités juridiques, la conformité aux normes internationales, l’arbitrage et la formation.Cabinets d’avocats marocains (expertise bilingue, connaissance des systèmes civils et de common law).
Opportunité 2 : Technologies souverainesDéveloppement de solutions locales de cybersécurité, gouvernance des données (souveraineté numérique) et technologies vertes (agritech, cleantech, gestion de l’eau).Entreprises tech africaines, le Maroc comme exportateur de modèles de conformité et hub technologique.
Opportunité 3 : mobilité professionnelleStructuration de la mobilité afro-asiatique via des plateformes digitales de recrutement éthique et le développement de services financiers transfrontaliers (transferts, épargne, microcrédit).Sociétés de conseil en RH, fintechs, institutions financières.
Opportunité 4 : Infrastructures durablesInvestissements dans les énergies renouvelables (solaire, éolien, smart grids) et les infrastructures résilientes (ports, routes) adaptées aux contraintes climatiques.Groupes d’ingénierie, constructeurs, investisseurs dans le green, le Maroc comme pivot technologique.
Message principalIl ne s’agit pas de subir les normes internationales mais de les co-créer. Anticiper ces transformations normatives est un avantage concurrentiel décisif pour capturer les flux économiques futurs.Entreprises et investisseurs marocains et africains visionnaires.

Source: Organisation consultative juridique afro-asiatique (AALCO).

Par Modeste Kouamé
Le 09/09/2025 à 12h27