Les marchés du carbone volontaires offrent des opportunités de financement essentielles aux pays les moins avancés (PMA), mais leur potentiel reste largement sous-exploité. Les PMA ont un rôle clé à jouer dans la lutte contre le changement climatique en réduisant leurs émissions de gaz à effet de serre et en protégeant leurs précieuses ressources naturelles.
Cependant, ils font face à d’énormes défis financiers et techniques pour y parvenir. Mais qu’entend-on exactement par «pays les moins avancés»? Comme l’explique Rebeca Grynspan, Secrétaire générale de la CNUCED, dans l’avant-propos du rapport intitulé Rapport 2024 sur les pays les moins avancés: Mettre les marchés du carbone au service du développement, «les PMA sont les pays les plus vulnérables aux chocs économiques et environnementaux, caractérisés par des niveaux de développement humain et économique extrêmement faibles.»
Le classement des PMA est effectué tous les trois ans par les Nations unies, selon des critères comme le revenu national brut par habitant, les indicateurs de capital humain et la vulnérabilité économique. En 2024, on compte 45 PMA, dont 33 en Afrique, 8 en Asie, 1 dans les Caraïbes et 3 dans le Pacifique.
Lire aussi : Taxe carbone: les 7 pays africains qui ont mis en place, ou envisagent sérieusement, des systèmes de tarification
Le marché volontaire du carbone est un mécanisme d’échange de crédits-carbone non lié à une règlementation internationale. Les crédits carbone sont vendus sur deux marchés: le marché du carbone obligataire et le marché du carbone volontaire. Un crédit carbone équivaut à la réduction d’une tonne de CO2.
4 africains, 2 asiatiques
Selon le rapport de la CNUCED, quatre PMA africains - la République démocratique du Congo (14%), l’Ouganda (11%), le Malawi (8%) et la Zambie (7%) - figurent parmi les six principaux émetteurs de crédits carbone sur les marchés volontaires, totalisant 40% de tous les crédits émis par les PMA. Deux autres pays d’Asie complètent ce groupe restreint, le portant à six. Il s’agit du Cambodge et le Bangladesh, qui représentent à eux deux 34% des crédits émis.
Sur les marchés volontaires, où les entreprises et les particuliers achètent des crédits carbones pour compenser leurs émissions de gaz à effet de serre, ces six PMA représentent une part écrasante de plus de 74% de tous les crédits émis.
Une douzaine de PMA représentent la plupart des projets du groupe dans le cadre du mécanisme de développement propre (CDM).. DR.
De même, dans le cadre du Mécanisme de Développement Propre (MDP), un mécanisme officiel des Nations Unies permettant aux pays développés de financer des projets de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les pays en développement, ces six PMA représentent 80% des crédits émis. Ainsi, quatre crédits sur cinq générés par le MDP proviennent de ce groupe restreint de pays.
Ces chiffres révèlent une concentration remarquable des crédits carbone dans un petit nombre de pays parmi les moins avancés. Alors que ces pays bénéficient de revenus substantiels grâce à la vente de ces crédits, cette situation soulève des questions sur l’équité et la durabilité de ces mécanismes, ainsi que sur la répartition des bénéfices entre les pays.
Toujours selon les données de la CNUCED, seuls 34 projets relevant du MDP ont été enregistrés en Ouganda, alors que des pays comme le Sénégal et le Rwanda en comptent respectivement 13 et 19. Ces chiffres reflètent un important potentiel inexploité pour de nombreux PMA africains. Le MDP permet aux pays développés de financer des projets de réduction des émissions dans les pays en développement et de recevoir en retour des crédits carbone qu’ils peuvent utiliser pour atteindre leurs propres objectifs de réduction des émissions.
Le rapport souligne, par ailleurs, qu’environ 97% du potentiel d’atténuation par une meilleure gestion des terres pourrait rester inutilisé d’ici 2050 si les prix du carbone ne connaissent pas une hausse significative. Cette concentration des crédits carbone dans un petit nombre de PMA souligne l’importance de ces pays dans les efforts mondiaux pour lutter contre le changement climatique.
Lire aussi : Transition énergétique: pourquoi la sortie des fossiles est une aubaine pour l’Afrique
Leur capacité à générer des crédits carbones abordables les rend attractifs pour les pays et les entités cherchant à compenser leurs émissions. Cependant, cela soulève également des questions sur l’équité et la durabilité de ces mécanismes, ainsi que sur la répartition des bénéfices entre les pays.
Les pays à la traine
En dehors de cette poignée de pays cités plus haut, la grande majorité des 39 autres PMA n’émettent qu’une part infime de crédits carbone. Parmi eux, on retrouve de nombreux pays africains tels que le Rwanda, le Sénégal, l’Éthiopie, le Mozambique ou encore Madagascar.
Le rapport de la CNUCES illustre cette faible participation en listant le nombre de projets MDP enregistrés par chacun des PMA (figure 12). On y voit que de nombreux pays africains comme le Mali, le Burkina Faso, le Togo, la Sierra Leone ou le Bénin n’ont enregistré que quelques projets, voire un seul projet comme la Guinée, la Mauritanie ou le Tchad. La situation est similaire pour des pays d’Asie comme le Timor-Leste ou le Yémen.
Selon le rapport, cette faible participation s’explique notamment par « la petite taille de leurs économies et les défis auxquels ils sont confrontés en termes d’infrastructure, de technologie et de capacités institutionnelles.»
Lire aussi : Lutte contre la déforestation: les pays africains les plus avancés et ceux offrant les meilleures incitations
Beaucoup de ces pays manquent de moyens techniques, financiers et humains pour développer des projets, effectuer le suivi et se conformer aux exigences des marchés du carbone.
Des financements encore limités
Au-delà de cette participation inégale, le rapport souligne également que «jusqu’à présent, les marchés du carbone n’ont pas permis de dégager des ressources financières substantielles pour les PMA.» En 2023, la valeur des crédits carbone émis ne représentait qu’environ 1% de l’aide publique au développement reçue par les PMA, soit 403 millions de dollars. C’est un apport certes limité, mais qui reste le bienvenu au regard des immenses besoins de financement que ces pays doivent combler.
Le rapport met aussi en lumière le vaste potentiel inexploité des PMA en matière d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, notamment dans les secteurs de la foresterie et de l’agriculture durable. Ce potentiel représenterait près de 70% des émissions mondiales du transport aérien en 2019. Mais son exploitation nécessiterait un prix du carbone bien plus élevé, de l’ordre de 100 dollars la tonne, pour être viable économiquement.
A cela s’ajoute le fait que le secteur privé reste réticent à investir dans de nombreux projets de PMA, jugés trop risqués. Il faut dire que le manque de capacités institutionnelles, un environnement politique et réglementaire instable et des infrastructures défaillantes découragent les investisseurs.
Lire aussi : La Côte d’Ivoire va créer un fonds de financement vert de 500 millions de dollars, selon le FMI
De plus, les communautés locales peinent souvent à bénéficier équitablement des retombées des projets. Les accords conclus avec les promoteurs sont souvent défavorables aux populations, qui se voient parfois privées d’un accès traditionnel aux ressources naturelles.
L’intégrité des crédits pose également question. Il arrive qu’il y ait des cas de surfacturation, de double comptabilisation et de surestimation des réductions d’émissions dans certains projets.
En somme, si les PMA saisissent cette opportunité, les marchés du carbone pourraient devenir un levier clé pour financer leur développement durable, conclut le rapport de la CNUCED. Si les marchés du carbone représentent une opportunité de financement pour le développement durable des PMA, de profondes réformes semblent nécessaires pour en démocratiser l’accès et en augmenter substantiellement l’impact, au bénéfice de tous les pays les plus vulnérables, tout en minimisant les risques.
Part des principaux pays africains PMA participants dans les émissions totales de crédits carbone en 2024
Pays PMA | Part (en %) | Région |
---|---|---|
République démocratique du Congo | 14 | Afrique |
Ouganda | 11 | Afrique |
Malawi | 8 | Afrique |
Zambie | 7 | Afrique |
Source : CNUCED.