Les monnaies africaines ont globalement, à quelques exceptions près, perdu de la valeur par rapport au dollar américain, monnaie de facturation des deux tiers des importations africaines. Toutefois, l’ampleur de ces dépréciations varie d’un pays à l’autre.
Ainsi, parmi les grandes économies africaines, entre le 25 août 2022 et le 25 août 2023, le naira nigerian, la livre égyptienne, le cédi ghanéen et le rand sud-africain ont perdu respectivement 83,07%, 60,94%, 14,07% et 11,00% de leur valeur vis-à-vis du dollar américain, principale monnaie de facturation et de réserve des changes des pays du continent.
Et la liste des pays dont la monnaie s’est dépréciée durant l’année est très longue, même si certaines se sont appréciées sur la période dont le dirham marocain, le Kwanza angolais, le dinar tunisien, le franc CFA…
Qu’est ce qui explique ces dépréciations des monnaies africaines vis-à-vis des devises internationales, notamment par rapport au billet vert? Plusieurs facteurs contribuent à élucider cette situation. D’abord, il y a les facteurs externes. Les risques de défaut de paiement et les hausses des taux d’intérêt américains, dans le sillage de la remontée du taux directeur, poussent les investisseurs à s’orienter vers les obligations du Trésor américain jugées plus sures et devenues plus rentables. Ce qui valorise la monnaie américaine au détriment des autres monnaies.
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A cela s’ajoute l’impact de la flambée des cours du pétrole et des matières agricoles importées qui ont contribué à dégrader les balances commerciales et impacter négativement les réserves de changes des pays du continent, à l’exception de certains producteurs de pétrole et de gaz qui ont su tirer profit de l’embellie des cours des hydrocarbures.
A ce titre, il faut souligner que de nombreux pays africains ont des réserves de change qui flirtent avec le seuil critique des trois mois d’importations de biens et de services. La baisse des réserves en devises fragilise les monnaies locales africaines.
A titre d’exemple, le Ghana a vu ses réserves de change passer de 9,7 milliards de dollars à fin 2021 à seulement 5,34 milliards à fin juin 2023, soit un niveau assurant moins de trois mois d’importation de biens et de services. Une situation qui a poussé le gouvernement ghanéen à envisager le financement de ses importations de pétrole, durant la période janvier-septembre 2023, en or afin de soutenir sa monnaie qui ne cessait de se déprécier.
Par ailleurs, la hausse des dépenses publiques occasionnées surtout par les tentatives des Etats d’atténuer les impacts négatifs de l’inflation via les subventions et autres politiques de soutien aux populations dans un contexte de ralentissement des économies ont contribué à aggraver les déficits budgétaires et pousser davantage les pays du continent à l’endettement dans des conditions pas du tout favorables et accroitre les services de dette, augmentant la pression sur leurs taux de change.
Toutefois, l’ampleur des dépréciations est souvent le fait des décisions des autorités. C’est le cas notamment au Nigeria et en Egypte, les deux premières puissances économiques du continent, dont les monnaies se sont dépréciées suite aux «dévaluations» de leurs monnaies.
Ainsi, la livre égyptienne a connu de nombreuses «dévaluations» au cours des deux dernières années. En janvier dernier, la livre égyptienne a vu son taux de change passer de 15,6 livres pour 1 dollar à 31,95 livres pour le même dollar. Sur la période du 25 août 2022 à celle du 25 août 2023, la monnaie égyptienne a perdu 60,94% de sa valeur vis-à-vis du dollar.
C’est le cas aussi du Nigeria dont la monnaie s’est fortement dépréciée vis-à-vis du dollar suite à la décision de la Banque centrale, le 14 juin dernier, d’adopter un taux de change unifié pour les devises, notamment le dollar américain, mettant ainsi fin à une politique monétaire qui se traduisait par des valeurs différentes pour le naira, dont une officielle qui était fixe, et plusieurs autres valeurs parallèles déterminées selon les segments et la loi de l’offre et de la demande.
Cette révision du régime de change équivaut à une forte «dévaluation» de la monnaie du pays qui l’adopte. Ainsi, deux jours après l’adoption de ce régime, le taux de change du naira est passé de 465,50 nairas pour 1 dollar le 16 juin à 656,50 nairas pour le même dollar le 17 juin. Et la monnaie de la première puissance économique du continent a poursuit son trend baissier. Le 23 juin dernier, il fallait 823 nairas pour 1 dollar. Depuis, la monnaie nigériane s’est un raffermie et il faut désormais 772,34 nairas pour 1 dollar. En clair, une année, la monnaie nigériane a perdu 83,07% de sa valeur vis-à-vis du dollar.
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A travers ces dévaluations, les autorités égyptiennes et nigériennes ont répondu aux recommandations du Fonds monétaires international (FMI) et de la Banque mondiale.
Les conséquences de cette situation sont globalement catastrophiques pour les économies africaines. D’abord, ces dépréciations des monnaies se traduisent par des pressions inflationnistes persistantes au niveau du continent.
En effet, quand une monnaie perd de la valeur par rapport à la devise d’importation, le dollar notamment, les prix locaux connaissent automatiquement une hausse à cause du renchérissement des importations de produits et/ou de matières nécessaires à la production locale.
En clair, les importateurs doivent débourser plus en monnaie locale pour acheter des produits venus de l’étranger. Globalement, les pays africains importent les carburants, les produits alimentaires, les produits finis… en dollars. Et, il est admis qu’une augmentation d’un seul point de pourcentage du taux de dépréciation d’une monnaie vis-à-vis du dollar se traduit, en moyenne, par une hausse de l’inflation de presque 0,20 point de pourcentage.
Ainsi, en dépit de la baisse cette année des cours du pétrole et des denrées alimentaires sur le marché international par rapport à 2022, l’inflation demeure élevée et continue de progresser dans de nombreux pays du continent, à cause de l’effet des dépréciation des monnaies.
C’est le cas en Egypte, où l’inflation a atteint un niveau record de 36,8% en juin dernier, à cause notamment des dévaluations de la livre égyptienne. Idem pour le Nigeria avec une inflation qui s’est établie à 24,08% en juillet dernier, dans le sillage de la fin des subventions aux carburants et la dépréciation du naira vis-à-vis du dollar. Pareil pour le cédi ghanéen qui ne cesse de se déprécier à cause de la crise économique que traverse le pays et de la chute des réserves en devises. Cette dépréciation du cédi de 14% cette année, après plus de 60% l’année dernière, a un impact négatif sur le coût des importations et aggrave la hausse des prix avec un taux d’inflation se situant à 43,10% en août.
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Si l’inflation est la conséquence la plus décriée, les dépréciations des monnaies africaines ont aussi des impacts négatifs sur l’endettement des pays du continent exprimés en monnaies locales avec un impact négatif sur les services de la dette.
La situation inflationniste perdure du fait que le contexte à l’origine de l’inflation n’a pas vraiment disparu. Et qu’il a été constaté que les pressions inflationnistes ne se dissipent pas rapidement lorsque les monnaies africaines se renforcent par rapport au dollar.
Malheureusement, ces pressions inflationnistes interviennent dans un contexte de ralentissement de la croissance dans presque tous les pays du continent. Les décideurs font alors face à un arbitrage difficile entre la maitrise de l’inflation et la nécessité de relancer l’activité économique.
Et globalement, la priorité a été donnée à la lutte contre l’inflation du fait des craintes de tensions sociales. Ainsi, les banques centrales de presque tous les pays du continent ont suivi la tendance mondiale en recourant à la variable taux directeur pour lutter contre la hausse des prix.
Les résultats sont mitigés dans de nombreux pays. C’est le cas du Nigeria, du Ghana et de l’Egypte qui figurent parmi les pays où les taux directeurs ont le plus augmenté, mais sans pour autant parvenir à enrayer la tendance inflationniste.
L’inflation étant globalement importée, le recours au taux directeur a globalement montré ses limites dans de nombreux pays en tant qu’instrument de lutte contre la pression inflationniste. C’est le cas particulièrement au Ghana, au Nigeria et en Egypte, des pays qui figurent parmi ceux qui ont le plus augmenté leur taux directeur pour lutter contre l’inflation au niveau du continent au cours de ces trois dernières années.
Malheureusement, la hausse des taux directeurs a un impact négatif sur la relance économique en ce sens qu’elle se traduit par un renchérissement des taux d’intérêt des banques commerciales rendant les coûts de financement plus élevés et découragent ainsi les investisseurs.