Coopération industrielle Sud-Sud: voici les 24 pays africains engagés, selon l’ONU

Cérémonie d'inauguration de la centrale électrique Sa Majesté Mohammed VI de Niamey.

Le 06/02/2025 à 16h06

Face aux turbulences géopolitiques, des pays africains hâtent le pas en matière de coopération Sud-Sud. Si l’Éthiopie, la Tanzanie, le Nigeria, l’Égypte et le Maroc émergent comme leaders, en revanche, les dépendances financières et thématiques rappellent les défis d’un chantier encore fragile.

En ces temps de tensions géopolitiques exacerbées par la réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis et la mise en place de mesures protectionnistes controversées, il est réconfortant d’observer que plusieurs pays africains intensifient leur recours à la coopération industrielle Sud-Sud et triangulaire (SSTIC). Entendez par là la collaboration entre pays du Sud (Afrique, Asie, Amérique latine) et/ou avec l’appui d’un tiers (pays développé ou organisation internationale) pour renforcer leurs capacités industrielles via le partage d’expertises, de technologies et de ressources. Elle vise à réduire la dépendance historique envers le Nord en privilégiant des échanges horizontaux et des projets cofinancés (Union Européenne, Organisation des Nations unies pour le développement industriel).

Face à un ordre économique occidental instable, ces nations transforment les défis en opportunités, faisant de l’Afrique un laboratoire de résilience industrielle.

Si les projets SSTIC africains de 2024 marquent une avancée notable, un écueil persiste: leur incapacité à réduire structurellement les dépendances extérieures. Parlant des forces du maillage SSTIC africain, l’on peut noter qu’en termes de couverture géographique, 24 pays sont engagés sur 54, ce qui représente 44 % des pays du continent. L’on note également une surreprésentation de l’Afrique de l’Ouest et de l’Est.

Pour ce qui est des faiblesses, il est à déplorer la concentration thématique. En effet, 70% des projets ciblent l’agro-industrie et l’énergie, négligeant l’industrie de la santé et le numérique. À cela s’ajoute la dépendance aux bailleurs de fonds.

Selon les données fournis par l’ONUDI, un seul pays africain figure dans le Top 10 des contributeurs au financement des projets SSTIC en 2024: République du Congo (5,7 millions de dollars), contributeurs internationaux non précisés (60,3 millions de dollars), UE (13,8 millions de dollars), Bahreïn (6,2 millions), Canada (5,4 millions), Chine (3,3 millions), Autriche (2,5 millions), Nations unies et l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), respectivement 2,2 et 2,1 millions de dollars et le Japon (1,6 million).

On constate donc qu’une écrasante part du financement des initiatives de coopération Sud-Sud et triangulaire (SSTIC) provient de bailleurs internationaux de quoi limiter l’appropriation locale. Ainsi, cette coopération incarne une quête d’autonomie industrielle, mais révèle les contradictions d’une résilience encore assistée.

En Afrique, le budget total des projets SSTIC s’est élevé à 29,4 millions en 2024. L’on peut aussi déplorer que des pays comme l’Afrique du Sud ou l’Algérie brillent par leur absence dans le rapport 2024 de la Division de la planification stratégique et de la coopération Sud-Sud (SPP/SSC) de l’ONUDI. En 2025, l’enjeu sera d’évaluer l’impact socio-économique réel de ces projets et de renforcer les synergies interrégionales, clés pour une industrialisation inclusive.

Selon le récent rapport de l’ONUDI, parmi les 149 projets SSTIC actifs dans le monde, l’Afrique se distingue avec 41 projets, dont cinq pays émergent comme moteurs régionaux: l’Éthiopie (4 projets), suivie de la Tanzanie, du Nigeria et de l’Égypte (3 projets chacun) et le Maroc (2 projets). Ces nations incarnent une dynamique où l’échange de savoir-faire, l’intégration des chaînes de valeur régionales et les énergies renouvelables structurent une nouvelle géopolitique industrielle. Comme le souligne Gerd Müller, Directeur général de l’ONUDI «La coopération Sud-Sud stimule l’innovation en permettant aux pays en développement de s’inspirer mutuellement et de partager leurs meilleures pratiques

Éthiopie: leader de la coopération industrielle Sud-Sud en 2024

Avec quatre projets actifs en 2024, l’Éthiopie s’impose comme leader des initiatives de coopération Sud-Sud et triangulaire (SSTIC) pilotées par l’ONUDI en Afrique, devant des pays comme le Nigeria ou la Tanzanie (3 projets chacun). Ce positionnement reflète une stratégie industrielle intégrée, combinant renforcement des chaînes de valeur, transition énergétique et inclusion socio-économique.

Leur nombre suggère une synergie avec les priorités régionales africaines : énergies renouvelables (formation en hydroélectricité), agro-industrie (programme OYA pour la jeunesse) et compétitivité des exportations (WACOMP). Des axes qui correspondent aux défis structurels du pays — chômage des jeunes, dépendance agricole et transition énergétique — tout en s’alignant sur les mécanismes de financement SSTIC.

Avec 3 projets SSTIC actifs chacun en 2024, la Tanzanie, le Nigeria et l’Égypte incarnent des modèles complémentaires de coopération industrielle Sud-Sud, chacun ancré dans des priorités régionales spécifiques. Leur leadership s’appuie sur des stratégies combinant innovation sectorielle, intégration des chaînes de valeur et diplomatie économique.

La Tanzanie, l’Égypte et le Nigeria

La Tanzanie se distingue par son alignement sur les programmes Opportunities for Youth in Africa (OYA), une initiative conjointe ONUDI-FAO visant à catalyser l’entrepreneuriat jeune dans l’agro-industrie. La Tanzanie, membre de la SADC et de l’EAC, joue un rôle d’interface dans les projets interrégionaux, comme le renforcement des normes techniques via l’ISO/TC 339 sur l’hydroélectricité.

Le Nigeria concentre ses projets SSTIC sur deux leviers: l’hydroélectricité décarbonée et les cosmétiques et produits de soin. Pour l’hydroélectricité décarbonée, le pays a accueilli l’une des deux formations techniques majeures de l’ONUDI à Abuja (avec 276 participants), centrée sur l’exploitation des petites centrales hydroélectriques.

Ce projet s’inscrit dans un objectif national : réduire la dépendance aux générateurs diesel. Dans le cadre du West Africa Competitiveness Programme (WACOMP), le Nigeria développe des chaînes de valeur régionales dans le secteur des cosmétiques et produits de soin, en synergie avec le Ghana et le Liberia. Objectif : capturer une part du marché continental de la beauté, estimé à 31,5 milliards USD d’ici 2030. Le modèle nigérian illustre une approche «gagnant-gagnant»: utiliser la coopération Sud-Sud pour moderniser son mix énergétique tout en positionnant Lagos comme hub manufacturier régional.

L’Égypte, seule nation africaine citée à la fois dans les projets arabes (MED TEST III) et panafricains, articule ses trois projets autour de la valorisation des déchets industriels, les énergies renouvelables et le rôle de plateforme régionale. Inspiré du succès libanais dans la transformation du lactosérum (projet SwitchMed/MED TEST III), l’Égypte adapte ces innovations à ses propres industries agroalimentaires. Le pays, hôte de la COP27, intègre les réseaux de formation de l’ONUDI sur l’hydroélectricité, avec un focus sur le transfert de technologies vers des pays moins avancés. Exemple, avec le Soudan voisin. Grâce à son Bureau régional de l’ONUDI pour les États arabes (GLO/RFO/ARB), l’Égypte facilite les échanges Sud-Sud entre l’Afrique du Nord et le Golfe.

Si l’Éthiopie, la Tanzanie, le Nigeria et l’Égypte dominent par le nombre de projets SSTIC, 20 autres pays africains affichent une participation active en 2024, reflétant une dynamique continentale diversifiée mais inégale. Ces nations, dotées de 1 à 2 projets chacun, illustrent à la fois les potentialités et les limites d’une coopération Sud-Sud encore en construction.

Le Maroc, passerelle entre l’Europe, le monde arabe et l’Afrique subsaharienne

En 2024, le Maroc s’est imposé comme un acteur pivot de la coopération industrielle Sud-Sud et triangulaire (SSTIC) en Afrique, dépassant son statut de simple bénéficiaire pour endosser un rôle de «pays passerelle» entre l’Europe, le monde arabe et l’Afrique subsaharienne.

Avec deux projets phares – le Programme for Country Partnership (PCP) et CleanTech Morocco –, et une implication stratégique dans des initiatives panafricaines, le Royaume incarne une vision ambitieuse où diplomatie économique, transition écologique et transfert technologique se conjuguent. Le Royaume consolide ainsi son statut de pont entre l’Afrique et l’Europe. Son académie verte régionale a formé des experts de six pays (Burkina Faso, Ghana, Rwanda, Sénégal, Afrique du Sud, Maurice), tandis que son leadership en agritech se renforce via l’Alliance pour l’Industrie 4.0.

Le Royaume mobilise ainsi ses atouts géostratégiques pour faciliter les partenariats triangulaires. Exemple concret: dans le cadre du projet Cleantech Morocco, le Maroc a facilité le transfert de technologie vertes vers le Sénégal et le Cambodge.

Les pays à deux projets

Malgré un contexte politique fragile, la Libye se distingue par deux projets liés à la gestion des déchets. Le rapport mentionne des synergies avec le projet MED TEST III. La RDC, le Cameroun, l’Angola, la Sierra Leone et São Tomé-et-Príncipe ont respectivement 2 projets chacun. Ces pays concentrent leurs efforts sur l’agro-industrie. C’est le cas pour la RDC dans la chaîne de valeur du manioc via le programme Opportunities for Youth in Africa (OYA). Le Cameroun et l’Angola concentrent leurs efforts sur l’énergie mini-hydroélectrique. São Tomé-et-Príncipe, bénéficiant de l’expertise de Cabo Verde en matière de pêche durable.

Les pays à un projet

La Tunisie, la Zambie, et la Côte d’Ivoire axent leur unique projet sur des niches sectorielles. La Tunisie axe ses efforts sur l’huile d’olive et les dattes via le programme OYA, visant une exportation haut de gamme vers l’Europe. La Zambie concentre ses efforts sur la formation technique en hydroélectricité, avec le centre Kafue Gorge. La Côte d’Ivoire concentre ses efforts sur les cosmétiques à base de cacao, en synergie avec le programme WACOMP. Pour ces pays-là, des résultats probants pourraient débloquer des financements additionnels (exemple : Fonds vert climat).

Le Soudan mise sur la production de gomme arabique via des partenariats égyptiens. Le Mali développe des microcentrales solaires pour l’irrigation, en collaboration avec le Maroc. Cabo Verde, axe son unique projet sur la banane et les produits laitiers via le programme OYA. Objectif: l’autosuffisance alimentaire.

Les 24 pays africains actifs en 2024

PaysNombre de projets coopération industrielle Sud-Sud et triangulaire actifs
Ethiopie4
Tanzanie3
Nigeria3
Egypte3
Libye2
Maroc2
Sierra Léone2
Sao Tomé-et-Principe2
RDC2
Cameroun2
Angola2
Tunisie1
Soudan1
Gambie1
Cabo Verde1
Ghana1
Malawi1
Congo1
Mali1
Ouganda1
Namibie1
Zambie1
Côte d’Ivoire1
Lesotho1

Source : ONUDI.

Par Modeste Kouamé
Le 06/02/2025 à 16h06