Au Ghana, le président John Dramani Mahama a récemment approuvé la création du Ghana Gold Board (GoldBod), entité étatique qui est depuis le 1er mai 2025, l’unique régulateur de la filière artisanale du secteur aurifère local. Ce qui implique qu’elle a désormais le monopole de l’achat, de la vente et de l’exportation de l’or, mais aussi de la délivrance des licences pour la commercialisation sur le marché local.
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Dans un précédant article, nous annoncions que le Ghana, premier producteur d’or d’Afrique, opère un virage stratégique en interdisant aux étrangers l’accès à son marché local de l’or à compter du 30 avril 2025. Depuis cette annonce, le secteur aurifère ghanéen vit une révolution structurelle sans précédent.
A travers GoldBod, le pays impose un nouveau paradigme réglementaire, économique et sécuritaire. Cette transformation, amorcée le 14 avril 2025 par l’entrée en vigueur du Ghana Gold Board Act (ACT 1140), vise à éradiquer la contrebande, capter la valeur ajoutée et consolider les réserves nationales. Retour sur un mois d’avril décisif et ses implications.
De l'or saisi à des contrebandiers. Selon les estimations, 30 % de l’or artisanal ghanéen échapperait encore aux circuits légaux.
La fin d’une ère
Le Ghana Gold Board Act 2025 marque une rupture radicale dans la gouvernance aurifère du Ghana. En invalidant toutes les licences précédemment délivrées par la Precious Minerals Marketing Company (PMMC) et le ministère des Mines, le texte consacre le GoldBod comme unique régulateur, acheteur et exportateur de l’or artisanal et à petite échelle (ASM). Au Ghana, une «production ASM» d’or désigne l’exploitation minière artisanale et à petite échelle (Artisanal and Small-Scale Mining, ASM).
Un monopole qui s’étend à l’ensemble de la chaîne de valeur : achat, vente, exportation, mais aussi essai, certification et délivrance des autorisations. Les étrangers, exclus du marché local depuis le 30 avril 2025, ne peuvent désormais accéder à l’or ghanéen qu’en passant par le GoldBod, une mesure visant à éliminer les intermédiaires opaques et à reprendre le contrôle stratégique des flux.
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«Tout Ghanéen ou entreprise ghanéenne désireux de commercer doit obtenir une licence du GoldBod. Si vous êtes Ghanéen et que vous détenez une licence sous le régime PMMC ou du ministère sans avoir demandé une nouvelle licence avant le 21 mai 2025, vous commettez un crime punissable si vous êtes pris en train de commercer après cette échéance», a insisté Sammy Gyamfi, CEO du GoldBod, lors de la conférence du 30 avril, soulignant la fermeté de cette transition. Il a également saisi l’occasion pour demander à tous les étrangers impliqués dans le marché local de l’or de se retirer immédiatement. Ainsi, seuls les détenteurs de licences délivrées par le GoldBod seront autorisés à opérer. Les autres s’exposent à des poursuites pénales conformément à l’ACT 1140.
Sur le plan juridique et économique, cette centralisation s’inscrit dans une logique de rent capture étatique, où l’État remplace les acteurs privés – souvent suspectés de sous-évaluer les prix ou de contourner les taxes – pour maximiser ses recettes. Rent capture étatique désigne la capacité d’un État à capter les revenus générés par une ressource stratégique (ici, l’or), en contrôlant sa chaîne de valeur. Cette approche rappelle les réformes minières de la Tanzanie (2017), où le gouvernement avait imposé un contrôle strict sur les exportations de minerais, ou celles du Zimbabwe (2023), exigeant que les sociétés minières cotent leurs actions en bourse locale. Toutefois, le Ghana innove par sa rigueur légale et son calendrier accéléré, positionnant l’Afrique de l’Ouest comme un laboratoire de souveraineté minière.
Les mécanismes opérationnels
Le GoldBod a instauré un cadre opérationnel strict pour redéfinir les transactions aurifères. Toutes les opérations doivent désormais être libellées en cedis ghanéens, alignées sur le taux de référence quotidien de la Banque du Ghana (BoG). Les prix d’achat aux mineurs et aux acheteurs (catégorisés en Tier 1, Tier 2 et agrégateurs) sont standardisés, intégrant une décote fixe de 2 % couvrant les coûts d’essayage, de logistique et une «marge de stabilisation» destinée à absorber les fluctuations du marché.
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Le 30 avril 2025, le GoldBod a franchi une étape cruciale en signant un accord avec neuf grandes sociétés minières, dont Adamus Resources et Cardinal Namdini, pour acquérir 20% de leur production. Cet or sera payé en cedis sous le régime du Domestic Gold Purchase Program, dans un délai de deux jours ouvrés, à un prix indexé sur le cours LBMA (London Bullion Market Association) moins 1 %. « Cet accord boostera les réserves d’or et de devises de la BoG, cruciales pour stabiliser le cedi et financer des projets nationaux », a expliqué Sammy Gyamfi, soulignant l’objectif de consolidation monétaire.
Avec une production ASM estimée à trois tonnes hebdomadaires– soutenue par un capital initial de 279 millions de dollars–, le Ghana ambitionne de renforcer sa balance commerciale, déjà dopée par des exportations aurifères en hausse de 53,2 % en 2024 (11,64 milliards de dollars). Ce mécanisme, combiné à la raffinerie nationale (120 tonnes/an), positionne le pays en rival direct de l’Afrique du Sud pour le titre de hub aurifère continental, tout en réduisant sa dépendance aux marchés étrangers pour la transformation et la valorisation.
Bras de fer sécuritaire contre la contrebande
L’arrestation, le 29 avril 2025, de trois ressortissants indiens pour achat illicite d’or et blanchiment via la société écran Unique MM incarne la stratégie agressive du GoldBod contre les réseaux transnationaux. La saisie de 4,36 kg d’or, de 1,9 million de cedis (environ 108.300 euros), de 4.500 roupies indiennes et de faux permis révèle l’ampleur d’un système organisé, opérant depuis une décennie via des prête-noms ghanéens. Selon le directeur des enquêtes de sécurité nationale, Osman Alhassan, « l’or quittait le Ghana via des points frontaliers non approuvés vers l’Inde, privant l’économie de devises cruciales ».
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Cette opération s’inscrit dans un contexte géopolitique où le Ghana, à l’instar de la RDC (cuivre) ou du Mali (or), conteste l’hégémonie des acteurs étrangers – indiens, chinois ou libanais – historiquement ancrés dans l’exploitation informelle de l’ASM. En ciblant spécifiquement ces diasporas économiques, Accra renvoie un message clair : l’ère de l’extraction prédatrice, minimisant les retombées locales, est révolue. Une fermeté qui répond aussi à un impératif sécuritaire, la contrebande d’or étant souvent liée au commerce d’armes et au financement d’activités illégales. Toutefois, le défi reste colossal : selon les estimations non officielles, 30 % de l’or artisanal ghanéen échapperait encore aux circuits légaux.
Le GoldBod mise sur une double révolution technologique pour redéfinir la chaîne de valeur aurifère. D’abord, la Royal Ghana Gold Refinery, inaugurée en août 2024, permet de transformer localement 120 tonnes d’or annuellement, contre moins de 5 % auparavant. Cette infrastructure, associée à des accords d’achat auprès des grandes mines, vise à capter les marges de la transformation (jusqu’à 15 % de plus que l’exportation de brut), tout en créant des emplois qualifiés.
Les écueils potentiels à surveiller
Malgré sa volonté réformatrice, le modèle du GoldBod présente des vulnérabilités nécessitant une vigilance accrue. Les retards bureaucratiques, illustrés par le report au 21 mai 2025 des demandes de licences pour les anciens détenteurs PMMC, trahissent des lacunes logistiques risquant d’exclure des acteurs légitimes. « Nous avons décidé de prolonger le délai pour les demandes de licences [...] Nous croyons que cela est équitable et adéquat », explique Sammy Gyamfi dans sa communication du 30 avril. Cette déclaration souligne indirectement les défis logistiques et la nécessité d’une transition graduelle, justifiant la référence à la patience.
Parallèlement, l’exclusion des étrangers, bien que populaire, pourrait réduire la liquidité du marché à court terme, privant les mineurs artisanaux de débouchés immédiats et exacerbant le recours au marché noir.
« Nous avons prolongé le délai au 21 mai, car nous voulons être équitables. Mais cette extension ne sera pas répétée. Nous comptons sur la pleine coopération du public et continuerons de prioriser vos retours », concède le GoldBod. Cette autre déclaration, combinée aux avertissements sur les omissions ou erreurs dans les candidatures, suggère une volonté de transparence malgré des procédures rigides et les défis d’une centralisation éclair.
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Sur le front international, le Ghana s’expose à des recours devant l’OMC. Enfin, la dépendance accrue aux capacités techniques de la raffinerie nationale (120 tonnes/an) crée un goulot d’étranglement potentiel : une panne ou une surcharge pourrait paralyser les exportations, affectant la balance des paiements. Des écueils qui, s’ils ne remettent pas en cause l’ambition du modèle, appellent à un équilibre délicat entre contrôle étatique et flexibilité opérationnelle.
Ainsi, le 1ᵉʳ mai 2025 marque un tournant pour le Ghana, premier producteur d’or africain. En centralisant le secteur, le GoldBod incarne une volonté de contrôle souverain des ressources, mêlant rigueur légale, innovation et fermeté sécuritaire. Si les risques opérationnels sont réels, les gains potentiels – réduction de la contrebande (estimée à 30 % de la production), hausse des recettes fiscales et montée en gamme industrielle – pourraient servir de modèle à l’Afrique subsaharienne.
Dans un contexte de prix records (3.498 dollars/once en avril 2025), le Ghana mise sur l’or pour stabiliser son économie et s’affirmer comme un acteur géoéconomique majeur. Reste à voir si ce volontarisme résistera aux réalités du terrain et aux équilibres globaux.
Comment le Ghana transforme son or en levier économique
Points clés | Détails clés |
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Contexte & Objectifs | - 1er mai 2025 : date d’entrée en vigueur du monopole d’État confié au Ghana Gold Board (GoldBod), pour réguler l’or artisanal (ASM). - Objectifs : Éradiquer la contrebande, capter la valeur ajoutée, renforcer les réserves nationales. |
Mesures clés | - Monopole d’État sur l’achat, la vente, l’exportation et la délivrance de licences. - Exclusion des étrangers du marché local (depuis le 30 avril 2025). - Centralisation des transactions en cedis, prix standardisés avec décote de 2 %. |
Impact Économique | - Accord avec 9 sociétés minières pour 20 % de leur production. - Renforcement des réserves de la Banque du Ghana (BoG) et stabilisation du cedi. - Production ASM estimée à 3 tonnes/semaine, exportations aurifères en hausse de 53,2 % en 2024. |
Défis & risques | - Retards bureaucratiques et procédures rigides pour les licences. - Risque de recours à l’OMC et de dépendance à la raffinerie nationale (120 tonnes/an). - Menace persistante de contrebande (30 % de l’or artisanal hors circuits légaux). |
Perspectives | - Ambition de rivaliser avec l’Afrique du Sud comme hub aurifère. - Modèle inspirant pour d’autres pays africains en quête de souveraineté minière. |
Source : GoldBod.