Industrie du film: en Afrique, les incitations fiscales font de la figuration

Un projectionniste dans la cabine de projection du Cinéma Burkina à Ouagadougou.

Un projectionniste dans la cabine de projection du Cinéma Burkina à Ouagadougou.

Le 11/03/2024 à 14h48

Seuls quatre pays sur les 54 que compte le continent offrent des incitations fiscales et des avantages significatifs aux producteurs de films. Paradoxalement, le Nigeria qui abrite la plus grande industrie cinématographique d’Afrique, n’en fait pas partie.

Dans le paysage cinématographique africain, seuls quelques pays ont saisi l’opportunité d’offrir des incitations fiscales pour stimuler l’industrie du film. Ces incitations attirent des investissements étrangers et favorisent la croissance économique à long terme de ces pays. Parmi les pays africains offrant des avantages aux producteurs de films, on peut citer le Ghana, l’Afrique du Sud, le Maroc et l’île Maurice.

Quid du Nigeria ? Curieusement, le Nigeria, qui abrite la plus grande industrie cinématographique d’Afrique en termes de volume, souvent appelée «Nollywood», n’offre actuellement pas d’incitations fiscales au cinéma. Ce qui représente un défi de taille pour les cinéastes nigérians, qui ont souvent du mal à obtenir des financements pour leurs projets.

Le Ghana : le tout dernier sur cette shortliste

Le Ghana a annoncé en février 2024 une initiative offrant un rabais fiscal de 20% pour les productions cinématographiques stratégiques. En plus de cette réduction d’impôt, le pays propose des exemptions sur les droits d’importation d’équipements de production cinématographique, des avantages fiscaux sur les taxes portuaires et d’autres prélèvements en espèces, ainsi que des avantages fiscaux sur le revenu. Les entreprises locales qui soutiennent financièrement le secteur cinématographique peuvent également bénéficier de ces incitations.

L’Afrique du Sud compte pour beaucoup à l’arrivée de Netflix en Afrique

L’Afrique du Sud a introduit un programme de remboursement en 2004, offrant un rabais de 25% sur les dépenses locales de production admissibles. Ce taux a ensuite été augmenté jusqu’à 35% pour les productions locales. Cette incitation a attiré de nombreuses productions internationales contribuant à hauteur de 1,5 milliard de dollars d’investissements directs étrangers dans l’économie sud-africaine pour la seule année 2018. Cela a également été déterminant dans l’annonce de gros investissements de Netflix en Afrique.

Rappelons qu’en 2022, Netflix s’est engagé à investir environ 56 millions d’euros dans l’industrie audiovisuelle sud-africaine, précisément dans trois productions locales et une internationale. L’annonce a été faite au cours de la quatrième édition de la «South African Investment Conference». Le pays offre des incitations fiscales, notamment sous la forme d’un système de déduction fiscale appelé «Rebate Scheme», qui permet aux investisseurs de bénéficier d’avantages fiscaux pour les films.

L’île Maurice offre 40% de crédits d’impôt

Le Maroc et l’île Maurice offrent des incitations assez proches. Le Maroc propose des crédits d’impôt de 20% sur les coûts de production éligibles, tandis que l’île Maurice offre des crédits d’impôt de 40%. Rappelons que le gouvernement de Maurice a introduit le «Film Rebate Scheme» en 2013. Ce dispositif incitatif avec avantage fiscal vise à attirer les producteurs de films et favoriser la production cinématographique dans le pays. Ces incitations ont joué un rôle significatif dans la diversification de l’économie de Maurice, où l’économie bleue était traditionnellement dominante.

Selon le cabinet d’affaires pluridisciplinaire orienté vers le conseil aux investisseurs, e-Conseil & Assistance, «l’industrie cinématographique mauricienne a gagné en visibilité grâce au tournage du film Serenity avec des acteurs renommés tels qu’Uma Thurman, Matthew McConaughey et Anne Hathaway. «Ce film a attiré un investissement de 630 millions de roupies à l’île Maurice (environ 12,5 million d’euro)», explique le cabinet, qui ajoute que «les avantages du Film Rebate Scheme, pour lequel 40 % des dépenses de production ont été remboursées, ont également motivé les réalisateurs à choisir Maurice comme lieu de tournage».

Le Maroc renforce ses incitations pour attirer davantage de productions

Comme indiqué plus haut, le Maroc propose des crédits d’impôt (taxe rebate) de 20% sur les coûts de production éligibles. A la différence du Ghana, par exemple, le Royaume offre des incitations fiscales à l’industrie cinématographique depuis 2017.

C’est cette année-là que le Maroc a instauré une subvention de 20% pour attirer les tournages de films étrangers. Et pour aller encore plus loin, une nouvelle mesure appelée «cash rebate» a été annoncée récemment. Elle consiste à augmenter la «taxe rebate» de 20% à 30% au bénéfice des producteurs internationaux pour leurs dépenses éligibles effectuées au Maroc.

Les dépenses éligibles ne peuvent pas excéder 90% du budget total de la production investie au Maroc et doivent être d’au moins 10 millions de dirhams. Les conditions d’éligibilité s’appliquent également aux coproductions étrangères-marocaines.

Selon un bilan statistique de 2020 du centre cinématographique marocain (CCM), le tournage de longs-métrages étrangers au Maroc a connu une baisse de 77,49%, avec un total d’investissement de l’ordre de 5,97 millions de dirhams (environ 545.000 euros), contre 26,53 millions de dirhams en 2019 (environ 2,422 millions d’euros).

Les courts-métrages ont eux aussi enregistré une baisse, de l’ordre de 59,33%, avec un investissement de 493.777 dirhams (environ 45.000 euros) contre 1,21 million de dirhams en 2019 (environ 110.000 euros). En ce qui concerne les productions étrangères, celles-ci ont également enregistré une baisse importante, de l’ordre de 74,19%, passant ainsi de 504,14 millions de dirhams en 2019 (environ 46 millions d’euros) à 130,12 millions de dirhams en 2020 (environ 11,8 millions d’euros).

Débat sur l’efficacité à long terme de ces incitations fiscales

Il faut dire qu’une augmentation de la production cinématographique encourage également les investissements dans des infrastructures essentielles, telles que les studios et les plateaux de tournage, favorisant ainsi une croissance économique à long terme dans divers secteurs. Ces incitations fiscales stimulent la production cinématographique dans ces pays en attirant des productions internationales et en encourageant les investissements locaux. Des emplois ont été créés et des secteurs tels que la construction, l’hôtellerie et les transports ont connu une croissance significative.

Ces incitations ont également contribué à des succès cinématographiques notables. Bien qu’il soit difficile de quantifier précisément l’impact de ces incitations, des productions de renommée mondiale ont été attirées par ces pays, notamment The Hunger Games en Afrique du Sud. A cela s’ajoutent diverses productions en cours au Ghana, au Maroc et à Maurice.



Par Modeste Kouamé
Le 11/03/2024 à 14h48