L’usage du dollar comme moyen de paiement est considéré comme un obstacle au développement des échanges commerciaux intra-africains. Face à cette situation, à l’instar des pays des Brics -Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud-, de plus en plus de pays africains estiment que la prépondérance de la devise américaine dans les échanges commerciaux à l’intérieur du continent constitue un obstacle au développement de ces transactions.
Cette ”dédollarisation” serait la bienvenue à l’heure où le continent s’apprête à rendre effective sa Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).
C’est dans cette vision que s’inscrit la dernière sortie du président kényan William Ruto qui a appelé, lundi 29 mai, les pays africains en marge d’une rencontre du secteur privé africain sur la Zlecaf, à recourir à leurs monnaies nationales dans leurs échanges commerciaux.
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«Je pense que c’est important pour les ministres du Commerce qui sont ici. Nous avons du mal et tous les hommes d’affaires ont du mal et nos commerçants ont du mal à effectuer des paiements pour des biens et des services d’un pays à un autre en raison des différences de devises», a-t-il déclaré, ajoutant qu’«au milieu de tout cela, nous sommes tous soumis à un environnement dollar. Les Kenyans veulent payer les marchandises tanzaniennes en dollars, la Tanzanie veut payer les marchandises de la RDC en dollar… Pourquoi apportons-nous des dollars au milieu de notre commerce. C’est la question que nous devrions nous poser».
Cette dollarisation des échanges commerciaux entraine une forte pression sur les réserves en devises des pays africains dans un contexte de hausse des cours des hydrocarbures et des produits agricoles et alimentaires contribuant à la forte dépréciation des monnaies africaines et entretenant ainsi la flambée inflationniste au niveau du continent. Il en résulte la détérioration du niveau de vie des populations et leur paupérisation.
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La dédollarisation des échanges commerciaux intra-africains est possible, explique le président kényan, en donnant l’exemple du mécanisme élaboré par la Banque africaine d’import-export (Afreximbank), institution panafricaine de financement du commerce, créée en 1993 sous les auspices de la Banque africaine de développement (BAD). A travers cet outil, les pays africains peuvent échanger en utilisant leurs propres monnaies et les règlements en dollars seraient pris en charge par Afreximbank.
Opérationnel depuis septembre 2021, le Système panafricain de paiement et de règlement (PAPSS), mis en œuvre avec le Secrétariat de la Zlecaf, avec l’aval de l’Union africaine, est une infrastructure de marché financier permettant d’effectuer des paiements transfrontaliers instantanés en monnaies locales entre les marchés africains. Il simplifie les transactions transfrontalières et réduit la dépendance à l’égard des devises fortes. La plateforme PAPSS sert de traitement, de compensation et de règlement des paiements commerciaux intra-africains, en s’appuyant sur un système multilatéral de règlement net.
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Selon Afreximbank, «sa mise en œuvre complète devrait permettre au continent d’économiser plus de 5 milliards de dollars américain en coûts de transaction de paiement chaque année».
La sortie du président kenyan intervient au moment où de nombreux pays essayent de se passer du dollar. C’est le cas des pays des Brics qui souhaitent réduire le poids du dollar américain dans leurs transactions en créant une monnaie conjointe afin de contrecarrer l’hégémonie du billet vert au moment où les cinq pays des Brics qui représentent 43% de la population mondiale, pèsent plus que les pays du G-7 en termes de PIB et représentent 32% de la richesse mondiale.
Toutefois, le dollar demeure dominant en représentant la monnaie de règlement de 40% des échanges mondiaux.
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C’est dire que si l’adoption des monnaies africaines via un mécanisme de règlement des échanges peut atténuer la demande en dollars et stimuler les échanges commerciaux. Il faut aussi souligner que les échanges intra-africains sont globalement faibles. Ces transactions représentent à peine 15% du commerce du continent. Et cela n’est pas dû au billet vert mais à d’autres facteurs qui bloquent le développement des échanges au niveau du continent.
Parmi ces facteurs figurent, entre autres, la nature des produits échangés constitués en grande partie de matières premières (pétrole, minerai, produits agricole…) pour l’export et les produits finaux pour l’import, la faiblesse des infrastructures et de la logistique, les obstacles tarifaires et non-tarifaires… Autant de facteurs qui font que, pour l’heure, l’adoption des monnaies locales ne pourrait stimuler les échanges intra-africains qu’à un faible degré.