Comment se sont comportées les monnaies des grandes économies africaines vis-à-vis du dollar depuis janvier 2024? Après une année 2023 marquée par des dépréciations, à quelques exceptions près (5 monnaies seulement avaient résisté à la baisse vis-à-vis du billet vert), accentuant les pressions inflationnistes, la tendance générale ne s’est pas inversée. Certaines grandes monnaies africaines ont même atteint leur plus bas niveau historique par rapport au dollar américain.
Si les stratégies mises en place par les États via leur banque centrale ont permis d’atténuer les dépréciations, les stratégies conçues pour protéger leurs monnaies se retrouvent souvent confrontées à la loi du marché. Les taux de change déconnectés de la réalité finissent toujours par l’adoption de mesures douloureuses pour corriger le dysfonctionnement artificiel du marché.
C’est ainsi que le naira nigérian, la livre égyptienne, le birr éthiopien, le cedi ghanéen, le kwanza angolais, pour ne citer que les monnaies grandes économies africaines qui se sont dépréciées le plus vis-à-vis du dollar, ont continué à subir de très fortes dépréciations.
La situation est particulièrement préoccupante au Nigeria. Du 1er janvier au 20 septembre 2024, la monnaie nigériane s’est dépréciée de -82,95% de sa valeur pour s’échanger actuellement à 1639,45 nairas pour 1 dollar. C’est la monnaie qui s’est le plus effritée vis-à-vis du billet vert.
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Cette situation s’explique par les dévaluations du naira décidées par les autorités en février puis en juin 2024 dans le but de résorber un arriéré de devises handicapant en supprimant le contrôle des devises étrangères, afin de relancer les transactions sur le marché officiel et d’unifier les taux de change du naira. Cette mesure vise à réduire le gap entre les marchés officiel et parallèle entretenu par les demandes en devises des opérateurs économiques. Ces dévaluations ne semblent pas avoir produit leurs effets. Le pays continue à faire face à un manque de devises et le marché parallèle reste vigoureux en dépit de la baisse du différentiel des taux entre les deux marchés.
C’est le même phénomène qui s’est produit en Égypte où la livre a aussi été dévaluée pour faire face à une crise de devises et à un gap du taux de change entre le marché parallèle et celui officiel. Ainsi, depuis le début de l’année, la livre égyptienne s’est dépréciée de -57,46% par rapport au dollar américain au cours actuel de 48,53 livres pour 1 dollar, contre 30,82 livres pour le même dollar en début d’année.
Les effets de cette politique tardent encore à être perceptibles, même avec le soutien des pays du Golfe qui ont débloqué d’importants montants pour reconstituer les réserves en devises du pays et qui ont annoncé d’importants investissement.
Le birr éthiopien a affiché la plus forte dépréciation par rapport au dollar de -106,50% à 116,08 birrs pour 1 dollar au 20 septembre, contre seulement 56,20 birrs pour le même dollar en début d’année.
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Le pays a subi de nombreux chocs dont le Covid-19, la guerre Russie-Ukraine et la guerre au Tigré qui ont impacté négativement les fondamentaux économiques du pays poussant les autorités, sous l’injonction du FMI, à adopter une réforme de la politique monétaire. Ainsi, le taux de change, alors ultra-contrôlé, a été libéralisé et fixé librement par les banques commerciales. Une décision qui a rapproché le taux de change officiel à celui du marché parallèle, très dynamique dans ce pays. Suite à cette décision, le FMI a accordé au pays un programme d’aides de 3,4 milliards de dollars sur 4 ans, suivi par la Banque mondiale qui a annoncé un plan de financement de 1,5 milliard de dollars.
Autre monnaie d’une grande économie africaine, le cedi (monnaie du Ghana) a continué de se déprécier vis-à-vis du dollar à cause notamment de la conjoncture économique que traverse ce pays. La monnaie locale a perdu depuis le début de l’année -31,91% de sa valeur, s’échangeant actuellement à 15,79 cedis pour 1 dollar, contre 11,97 cedis pour le même dollar en début d’année.
Le birr éthiopien s'est déprécié 106,5% suite à l'adoption du régime de flottement en juillet 2024.. DR
Le Ghana étant dépendant des importations, le cedi a subi les effets de la flambée des prix à l’international et son impact sur la balance commerciale et l’inflation, la chute des réserves de change du pays, la fuite des investisseurs de portefeuille, la perte de confiance des opérateurs économiques nationaux et étrangers face à une monnaie qui ne cesse de céder du terrain depuis début 2022 alors qu’il fallait seulement 6 cedis pour 1 dollar…
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Pour de nombreux pays, ces baisses ont été atténuées par les interventions des banques centrales via des politiques de soutien à leur monnaie en puisant dans les réserves en devises et en intervenant sur les taux de change.
À l’origine des dépréciations
Les raisons de la forte dépréciation des monnaies africaines sont nombreuses et sont aussi bien exogènes qu’endogènes. Il y a d’abord la politique de la Reserve Féederal (Fed) qui a augmenté son taux directeur en 2022 et 2023 provoquant le renchérissement du dollar et, par ricochet, un affaiblissement des monnaies africaines. Ce n’est que le 18 septembre dernier que la Fed a revu à la baisse son taux à la baisse après un cycle de onze hausses, le ramenant entre 4,75% et 5%.
Ensuite, la baisse de la demande mondiale pour les exportations africaines impacte négativement les réserves de nombreux pays africains avec un effet négatif sur les liquidités en devises entrainant une pression sur les marchés parallèles en devises avec un impact négatif sur les marchés officiels. Cela impacte aussi les déficits budgétaires sachant que les recettes de nombreux pays dépendent des taxes et impôts provenant des exportations de matières premières. Ces déficits sont aggravés par les services de dette de certaines grandes économies africaines comme l’Egypte dont la dette extérieure dépasse les 168 milliards de dollars et le service de la dette devrait atteindre 29 milliards de dollars en 2024.
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Ces facteurs et d’autres ont obligé les Etats à accepter des «dévaluations» préconisées par le Fonds monétaire international (FMI).
Les conséquences
L’une des premières conséquences de ces dépréciation est naturellement l’inflation. En effet, lorsqu’une monnaie s’affaiblit par rapport au dollar, les prix locaux augmentent du fait qu’une partie des produits est importée. Or, plus des deux tiers des importations africaines sont libellées encore en dollar américain. En effet, il est globalement admis par les économistes qu’en Afrique une augmentation de 1 point de pourcentage du taux de dépréciation par rapport au dollar se traduit, en moyenne, par une hausse du taux d’inflation de 0,22 point de pourcentage au cours de la première année. Et cette pression inflationniste ne se dissipe pas rapidement lorsque les monnaies locales s’apprécient par rapport au billet vert.
L’autre conséquence de la dépréciation des monnaies africaines c’est la persistance du marché parallèle de devises avec des gaps de taux de change très élevés. Et cette situation fait que les marchés parallèles ont tendance à devenir les véritables baromètres du taux de change dans de nombreux pays africains: Égypte, Nigeria, Algérie… C’est pour faire face à ces marchés parallèle que l’Egypte et le Nigeria ont «dévalué» leurs monnaies pour éliminer les distorsions entre les marchés officiels et parallèles.
Par ailleurs, les dettes des pays africains étant grandement libellées en dollars, les dépréciations des monnaies locales se traduisent par des renchérissements des services de la dette exprimés en monnaies locales. En effet, environ 60% de la dette publique externe de la plupart des pays africains sont libellés en dollars.
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Par ailleurs, ces baisses des taux de change se traduisent par des révisions à la baisse des produits intérieurs bruts (PIB) de nombreux pays africains, notamment les plus grandes économies du continent. C’est ainsi que le Nigeria a perdu sa première place de puissance économique africaine suite à la forte dépréciation de sa monnaie locale vis-à-vis du dollar alors que l’économie nigériane n’a cessé de croitre et de se diversifier ces dernières années.
Des investisseurs découragés
Enfin, ces dépréciations découragent les investisseurs établis qui voient leurs bénéfices chuter lors des transferts de leurs dividendes. Cela est nettement ressentis par les investisseurs étrangers au Nigeria où la monnaie s’est très fortement dépréciée. D’ailleurs, plusieurs désinvestissements ont été enregistrés dans le pays. De nombreuses multinationales (MTN, Nestlé et Nigerian Brewerie), pour ne citer que celles-là, ont enregistré des pertes de changes considérables avec des impacts négatifs sur leurs bénéficies transférés.
Ainsi, le géant sud-africain des télécoms MTN Group a vu sa filiale nigériane accuser une chute de son bénéfice de plus de 80% à cause de la forte dévaluation du naira en 2023. Et cette année, la perte risque d’être plus importante encore. Et face à la persistance de la de dépréciation du naira, certaines multinationales (Procter & Gamble, GSK, Kimberly-Clark…) ont décidé de quitter le pays.
L’autre face de la dépréciation
Les dépréciations n’ont pas que des effets négatifs. Elles rendent aussi les exportations des pays relativement plus compétitives et les économies plus attrayantes pour les investisseurs et les touristes. Toutefois, le problème majeur des pays africains, y compris les plus grands, est que les exportations reposent généralement sur des mono-produits et souvent sur les hydrocarbures (Nigeria, Algérie, Angola…), les minerais (RDC, Zambie, Ghana…) et les produits agricoles (Côte d’Ivoire, Ghana…). Il s’agit souvent de produits dont les prix sont fixés sur les marchés internationaux. Du coup, l’impact des «dévaluations compétitives» est négligeable au niveau des pays africains dont les économies et les exportations sont très peu diversifiées.
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Notons toutefois que toutes les monnaies africaines n’ont pas été logées dans la même enseigne. Certaines monnaies ont bien résisté à la baise vis-à-vis du dollar. La stabilité économique, l’ancrage de certaines monnaies au dollar ou à un panier de devises fortes (dollar, euro, livre sterling…), la bonne santé des économies, le bon pilotage de la politique monétaire et l’adoption de mesures protectionnistes figurent parmi les facteurs qui ont permis à certaines monnaies de grandes économies africaines de bien résister face au dollar et à même s’apprécier vis-à-vis de celui-ci.
C’est le cas des pays maghrébins dont les monnaies sont restées stables vis-à-vis du dollar durant les 9 premiers mois de l’année. Ainsi, du 1er janvier au 20 septembre 2024, le dinar algérien, le dinar tunisien et le dirham marocain ont bien résisté au dollar avec des variations respectives de +1,06% à 132,41 dinars, +0,98% à 3,03 dinars tunisiens et -0,93% à 0,93% à 9,70 dirhams marocains.
Le dirham marocain bénéficie de son ancrage à un panier de devises composé d’euro (60%) et de dollar (40%), d’un pilotage de la politique monétaire sage de la Banque centrale (fixation du taux directeur, gestion de la masse monétaire…), du dynamisme de certains secteurs de l’économie (tourisme, automobile, aéronautique, phosphates et dérivés…), de bonnes réserves de change, la stabilité politique, du faible taux d’inflation… Le choix du panier du dirham marocain joue un rôle de vases communicants: l’appréciation de l’une des deux devises compense, en quelque sorte, la dépréciation de l’autre, assurant la stabilité de la monnaie marocaine.
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À noter que pour le cas du dinar algérien, le véritable taux de change n’est pas celui pratiqué officiellement mais celui du marché parallèle du Square Port-Saïd d’Alger, du nom d’une place d’Alger-centre. Sur ce marché, le taux de change est de 219 dinars algériens pour 1 dollar américain, contre 132,41 selon le cours officiel, soit un gap de 87 dinars. Cette différence illustre la surévaluation de la monnaie algérienne soutenue par des réserves de change et surtout par une politique protectionniste limitant les importations. Soulignons que c’est pour combler de tels gaps entre les deux marchés de change que le Nigeria et l’Égypte ont dévalué leur monnaie.
Outre les monnaies maghrébines, le rand sud-africain s’est bien comporté en affichant une appréciation de 4,32% vis-à-vis du dollar. C’est le cas aussi du shilling kenyan qui s’est apprécié de +17,25% depuis le début de l’année réduisant sa perte vis-à-vis du dollar à 129,04 shillings pour 1 dollar, contre 155,94 shillings pour le même dollar en début d’année.
Le franc CFA, cet ilot de stabilité monétaire
Parmi les pays dont les monnaies sont ancrées à une devise forte figurent également les pays ayant le Franc CFA comme monnaie commune. Il s’agit des pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) et ceux de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac). Les pays de la zone CFA font figure d’ilot de stabilité monétaire en Afrique subsaharienne.
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En effet, grâce à une parité fixe euro-franc Cfa (1 euro=656 fcfa), cette monnaie commune s’est légèrement appréciée de 0,90% depuis le début de l’année vis-à-vis du dollar, dans le sillage de l’appréciation de l’euro par rapport au billet vert. En clair, même si les pays composant cette monnaie unique ont globalement affiché de bonnes performances économiques, notamment ceux de l’Afrique de l’Ouest qui affichent des taux de croissance élevés, le bon comportement du franc CFA s’explique uniquement par son ancrage à l’euro.
En résistant et en s’appréciant vis-à-vis du dollar, ces monnaies africaines offrent de nombreux avantages. Elles augmentent le pouvoir d’achat des populations et des entreprises en rendant les importations moins chères, contribuent à la stabilité des prix, inspirent confiance aux investisseurs étrangers…
Toutefois, quand ces monnaies s’apprécient fortement, cela peut devenir handicapant en rendant les secteurs exportateurs moins compétitifs, comparativement à des économies semblables qui adoptent des politiques monétaires plus attractives pour doper leurs exportations et attirer les investisseurs étrangers et les touristes. On comprend alors que certains pays préfèrent jouer sur la stabilité des taux de change vis-à-vis du dollar via des interventions de leurs banques centrales.