Pays les plus puissants d’Afrique en 2022-2029: véritable chamboulement dans le Top 12

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Le 27/04/2024 à 12h04

Le Fonds monétaire international (FMI) a mis à jour ses perspectives de croissance pour la période 2024-2029, dans lequel on note un chamboulement au niveau du Top 12 des pays les plus riches du continent africain. Au-delà du Nigeria qui perd sa première place de puissance économique en 2023 et qui devrait poursuivre sa chute pour occuper le 5e rang à l’horizon 2029, on note des chamboulements au sein des pays qui seront les plus riches durant la période considérée. Derrière ces changements, un facteur a occupé une place fondamentale. Décryptage.

Les nouvelles projections du Fonds monétaire international (FMI) montrent un chamboulement exceptionnel au sommet des pays les plus riches d’Afrique, selon le critère du Produit intérieur brut (PIB) au prix courant exprimé en dollar. Le Nigeria qui trustait le rang de première économie africaine depuis de nombreuses années a fortement dégringolé dans la dernière mise à jour du FMI, quittant même le podium des trois grandes puissances économiques africaines. Une première depuis de nombreuses décennies, illustrant l’exceptionnel chamboulement qui a débuté en 2023 et qui devrait s’intensifier en 2024 et se poursuivre les années à venir, selon les projections du FMI.

D’emblée, il faut souligner que le critère de la richesse d’un pays donné est celui du PIB, c’est-à-dire la richesse créée dans ce pays sur une période d’un an. Celui-ci étant la somme des valeurs ajoutées de tous les agents économiques d’un pays, à laquelle est ajoutée la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) et les droits de douane, avant de soustraire les subventions à l’importation. Le calcul et les projections des PIB des pays sont exprimés à prix courants (en valeur nominale), c’est-à-dire que la valeur marchande de tous les biens et services est mesurée en utilisant leur prix courant du marché, et le volume total obtenu est exprimé en dollars américains par souci de comparaison.

Seulement, mesurée ainsi, la valeur du PIB au prix courant peut être trompeuse du fait qu’elle peut être gonflée à cause de l’inflation (ou à l’inverse à cause de la déflation). De même, toutes les valeurs étant libellées en dollar américain, cela implique que les comparaisons peuvent être biaisées par des fluctuations du taux de change.

Néanmoins, l’indicateur du PIB à prix courant libellé en dollar demeure le principal indicateur utilisé par les institutions financières et de développement pour calculer la richesse d’un pays.

Selon les nouvelles données du FMI, la richesse mondiale devrait s’établir à 109.530 milliards de dollars en 2024. Et ce sont logiquement les Etats-Unis qui trustent la première place de puissance économique avec un PIB d’environ 29.000 milliards de dollars, loin devant la Chine (18.530 milliards de dollars) et l’Allemagne (4.590 milliards de dollars).

A noter que l’Afrique est un nain avec un PIB total des 54 pays du continent de seulement 2810 milliards de dollars, soit 2,56% du PIB mondial, alors que le continent pèse 17% de la population mondiale et regorge de ressources naturelles: pétrole, gaz, minerai, terres arables, eau…

Cette faible production de richesses au niveau du continent souffre aussi d’une répartition très inégalitaire par pays. En effet, les 12 pays les plus puissants du continent devraient afficher en 2024 un PIB cumulé de 2.110 milliards de dollars, soit 75,09% du PIB du continent.

Par ailleurs, si au niveau mondial, le sommet du classement des pays les plus riches de la planète n’a pas connu de changement, en Afrique, on a assisté à un véritablement chamboulement au Top 12 des plus grandes économies africaines.

Ainsi, le Nigeria qui était la première puissance économique africaine depuis de nombreuses années et ce jusqu’en 2022 avec un PIB de 477 milliards de dollars cette année-là, a vu sa richesse reculer à 375 milliards de dollars en 2023. Celle-ci devrait chuter fortement en 2024 pour s’établir à 253 milliards de dollars, devenant tout simplement la 4e puissance économique africaine, derrière l’Afrique du Sud (373 milliards de dollars), l’Egypte (348 milliards de dollars) et l’Algérie (267 milliards de dollars).

A noter qu’en 2014, lorsque le pays s’est hissé au sommet des pays les plus riches d’Afrique, son PIB s’établissait à un pic de 574,20 milliards de dollars (année de flambée du cours du baril de pétrole), soit 2,27 fois celui de 2024. Pour autant, l’économie nigériane, à l’exception de 2016 (-1,62%) et 2020 (-1,79%), n’a pas connu de récession sur la période 2014-2024. Mieux, depuis 2021, elle enregistre des taux de croissance supérieurs à 3%. Comment expliquer alors cette dégringolade enregistrée depuis 2023 et qui devrait s’intensifier en 2024?

Cette baisse s’explique uniquement par la variation du taux de change dollar-naira (monnaie nigériane). Le cours de change est passé de 460 nairas pour 1 dollar en juin 2023, avant la première «dévaluation», à 840 nairas pour un dollar en novembre 2023. A la suite d’une nouvelle dévaluation en février 2024, le cours de change est passé à un pic de 1.611,11 nairas pour 1 dollar. Depuis, le naira nigérian s’est repris un peu mais reste très volatil et s’échange actuellement à 1.306 nairas pour 1 dollar. En se dépréciant très fortement vis-à-vis du billet vert américain, le PIB du Nigeria exprimé en dollar prend ainsi un rude coup faisant perdre au Nigeria sa place de première puissance économique africaine.

Pour preuve, exprimé en naira, le PIB du Nigeria ne cesse de s’améliorer au cours de ces trois dernières années passant de 202.400 milliards de nairas en 2022, à 234.400 milliards de nairas en 2023 et devrait atteindre 296.400 milliards de nairas en 2024. En conséquence, si le taux de change était resté le même avant la première dévaluation du naira en juin 2023, soit un cours de 460 nairas pour 1 dollar, le PIB du Nigeria allait s’établir à hauteur de 644 milliards de dollars en 2024.

A l’instar du Nigeria, le PIB égyptien a aussi été marqué par la forte dépréciation de la livre locale sous l’effet de dévaluations multiples au cours de ces dernières années maquillées en volonté d’unifier ou de réduire l’écart entre le taux de change officiel et celui du marché parallèle. Une situation qui a entrainé une forte dépréciation de la livre égyptienne vis-à-vis du dollar. Ainsi, si en avril 2022 il fallait seulement 18,50 livres égyptiennes pour obtenir 1 dollar américain, en avril 2023, il en fallait 30,65 livres pour le même dollar. Et suite à une énième dévaluation, il en faut, une année plus tard, avril 2024, 48 livres pour 1 dollars.

Du coup, si le PIB égyptien à prix courant exprimé en monnaie locale continue d’augmenter, libellé en dollar américain, celui-ci affiche une baisse continue au cours de ces dernières années passant de 475 milliards de dollars en 2022, à 394 milliards en 2023. Il devrait s’établir à 348 milliards de dollars en 2024 et poursuivre sa chute à 329 milliards de dollars en 2025. Ce n’est qu’en 2026 que le PIB du pays égyptien reprendra son trend haussier à 374 milliards de dollars avant d’évincer l’Afrique du Sud du classement du pays le plus riche d’Afrique en 2027 avec un PIB de 426 milliards de dollars. Le pays des Pharaons devrait atteindre 540 milliards de dollars en 2029, selon les projections du FMI. Les réformes entreprises par le pays avec le soutien du FMI, les importants investissements consentis par les pays du Golfe, la manne gazière et la reprise du tourisme devraient booster l’économie égyptienne dans les années à venir.

A l’opposé des deux anciennes premières puissances économiques africaines, l’Afrique du Sud qui devrait prendre la tête des pays les plus riches du continent en 2024 avec un PIB de 373 milliards de dollars, a vu sa monnaie, le rand, afficher une bonne résilience vis-à-vis du dollar. Entre le 21 avril 2023 et le 26 avril 2024, le rand sud-africain n’a cédé que -4% vis-à-vis du dollar. C’est dire que pour le calcul du PIB de l’Afrique du Sud, la dépréciation n’a que très faiblement impacté sur la richesse du pays exprimée en dollar, contrairement au Nigéria et à l’Egypte. Malgré cela, l’Afrique du Sud devrait perdre son rang de première puissance économique africaine à l’Egypte en 2027, selon les projections du FMI. Il faut dire que le pays le plus industrialisé d’Afrique fait face à des problèmes structurels qui handicapent sa croissance: corruption, délestages, insécurité… Ces fléaux pèsent fortement sur la croissance du pays qui fait que le PIB ne devrait croitre que de 70 milliards de dollars sur la période 2024-2029. Le pays n’arrive pas à reprendre une croissance solide à cause particulièrement de ses dirigeants.

Concernant l’Algérie, cette position au 3e rang des puissance économiques africaines s’explique par deux éléments fondamentaux. D’abord, il y a l’impact très significatif du «rebasage» des comptes économiques du pays en septembre 2023 -changement de l’année de base utilisée pour le calcul du PIB- avec un impact significatif de plus de 46 milliards de dollars qui se sont ajoutés mécaniquement sur le PIB recalculé de 2022, faisant passer celui-ci de 187 à 233 milliards de dollars. Cela a eu des répercussions sur les projections du PIB du pays, de 2023 à 2026.

Toutefois, selon les projections du FMI, l’Algérie devrait perdre cette position de 3e économie africaine en 2027 au profit de l’Ethiopie. Parallèlement, le dinar algérien a affiché une résistance vis-à-vis du dollar américain grâce notamment à la bonne tenue des cours du pétrole et du gaz qui ont gonflé le niveau des réserves en devises du pays et porté la monnaie algérienne, même s’il faut souligner l’existence de deux marchés de devises -officiel et parallèle- en Algérie, dont le véritable demeure le marché noir (Square).

Derrière l’Algérie, l’Ethiopie va, selon les projections du FMI, renouer avec un rythme soutenu de sa croissance. Le pays d’Afrique de l’Est va afficher une croissance sur la période 2022-2029 beaucoup plus forte que toutes les autres grandes puissances économiques du continent. Ainsi, sur cette période, son PIB devrait passer de 119 milliards de dollars à 369 milliards de dollars, soit une multiplication de 3,1 fois sur la période. Au terme de cette période, le pays devrait monter sur le podium des pays les plus riches d’Afrique derrière l’Egypte et l’Afrique du Sud. L’exploitation du gigantesque barrage de la Renaissance de 6450 MW de capacité de production d’électricité qui va accompagner l’électrification du pays, le développement du secteur agricole et le développement industriel devraient porter cette croissance. Toutefois, celle-ci reste fragile. Après la guerre au Tigré qui a ralenti fortement la croissance économique du pays, les affrontements dans la région Amhara, au nord du pays, risquent de peser sur la croissance du pays dans les années à venir.

De même, le Maroc devra voir son PIB passer de 131 milliards de dollars en 2022 à 200 milliards de dollars à fin 2029, devant afficher ainsi une hausse de 52,67% sur la période, soit 69 milliards de dollars de plus. Le Royaume va consolider sa place de 6e puissance économique africaine. La croissance sera portée par les nouveaux métiers mondiaux: automobile, aéronautique, offshoring…, mais aussi par l’agroalimentaire, le tourisme… Le Maroc est, avec l’Afrique du Sud, le pays africains affichant les économies les plus diversifiées du continent. Et contrairement au naira nigérian et à la livre égyptienne qui ont fortement chuté, impactant le PIB exprimé en dollar, le dirham marocain affiche une très forte résilience vis-à-vis du billet vert. Ainsi, du 26 avril 2023 à la même période de cette année, le dirham n’a cédé que 0,4% par rapport au dollar américain.

Au-delà, de ces 6 grandes puissances économiques, le Kenya consolide son 7e rang africain devant l’Angola, la Côte d’Ivoire, la Tanzanie et la RD Congo. La RDC va doubler son PIB sur la période 2022-2029 passant de 66 milliards de dollars en 2022 à 122 milliards de dollars en 2029, la classant au 10e rang des pays les plus riches du continent. Pays très riches en ressources minières dont certaines sont très sollicitées en cette période de transition énergétique (cobalt, lithium, étain, tungstène, coltan, manganèse, cuivre…), le pays pourrait encore chambouler le classement dans les années à venir.

Evolution des PIB des 12 plus grandes économies africaine (en milliards de dollars)

Pays20222023202420252026202720282029
Nigeria477375253251255266277288
Egypte475394348329374426483540
Afrique du Sud405378373385398423428443
Algérie226245267277287294330369
Ethiopie119160205236266296330369
Maroc131144152161171180190200
Angola12394929599105110115
Kenya114109104110118126135145
Côte d’Ivoire72808794102110119128
Tanzanie7479808694103113125
Ghana7276757681869299
RDC6667748392102112122

Source: tableau confectionné à partir de données du FMI

Reste que ces données du FMI montrent clairement les difficultés qu’ont les économistes de l’institution financière pour établir leurs projections à cause des nombreuses incertitudes liées aux facteurs exogènes qui impactent négativement les économies, à des degrés divers. Ce fut le cas avec le Covid-19, la guerre Russie-Ukraine et la flambée des prix de l’énergie et agroalimentaire…

Au-delà, la comparaison du PIB entre les pays doit être prise avec précaution. En effet, le chamboulement enregistré au niveau africain est essentiellement le fait de variation des taux de change plutôt que de l’évolution économique des différents pays. Ainsi, l’économie nigériane qui a dégringolé dans le classement africain n’a pas connu un cataclysme. Bien au contraire, elle a enregistré de bonnes performances en matière de croissance du PIB au cours de ces trois dernières années (3,3% en 2023) et le pays connait un certain dynamisme grâce à des investissements structurants -infrastructures, raffinerie de pétrole, développement agricole… Du coup, ce chamboulement pourrait ne pas durer pour ce qui est du Nigeria, contrairement aux projections du FMI.

D’autres facteurs pourraient aussi influer sur les perspectives de croissance des Etats dont l’inflation, les déficits des comptes courants qui se creusent, les déficits budgétaires qui se détériorent, les dépréciations monétaires, les risques politiques et géopolitiques, les évolutions des cours du pétrole et des matières premières…

Par Moussa Diop
Le 27/04/2024 à 12h04