Rationalisation des exonérations fiscales en Afrique: qui des personnes physiques ou des secteurs d’activités perdent le plus?

Rationalisation des exonérations fiscales

Le 12/04/2024 à 09h56

De nombreux pays africains ont entrepris des réformes économiques, au cours de l’année 2022-2023 visant à assainir leurs finances publiques, comme le révèle le dernier rapport «Africa’s Pulse» de la Banque mondiale, notamment l’élargissement de l’assiette fiscale, le renforcement du recouvrement de l’impôt et la rationalisation des dépenses publiques.

Dans un contexte mondial incertain, marqué par une inflation galopante et des tensions géopolitiques majeures, la plupart des pays africains s’emploient à assainir leurs finances publiques. C’est ce qui ressort du dernier rapport «Africa’s Pulse» de la Banque mondiale, qui dresse un état des lieux des mesures économiques adoptées en 2022-2023 dans la région subsaharienne.

Confrontés à un alourdissement de leurs déficits budgétaires, de nombreux États ont fait le choix d’augmenter, quoique modestement, les taux d’imposition tout en élargissant l’assiette fiscale. La Banque mondiale a en effet constaté une recrudescence des nouvelles taxes sectorielles, qu’il s’agisse des services financiers (Burundi), des télécommunications (Mauritanie), du tourisme (Cabo Verde) ou des biens de luxe importés (Cameroun).

Certains pays comme la Côte d’Ivoire et le Rwanda ont renforcé la progressivité de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. D’autres comme l’Éthiopie, Madagascar et le Zimbabwe ont introduit des accises sur les services de télécommunications.

Parallèlement à ces mesures d’élargissement de l’assiette fiscale, plusieurs gouvernements se sont attelés au renforcement du recouvrement de l’impôt et de l’administration fiscale. Des plateformes numériques d’appariement des données ont vu le jour au Cabo Verde et au Malawi afin de détecter la fraude fiscale.

Le dépôt électronique des déclarations fiscales est devenu obligatoire pour les grandes et moyennes entreprises au Burundi. Le terme «appariement» fait référence au processus de mise en correspondance ou de jumelage de différentes sources de données afin de les combiner de manière cohérente et exploitable. Il consiste à trouver des points communs ou des liens entre les ensembles de données hétérogènes, souvent à l’aide d’algorithmes et de techniques d’analyse des données.

Rationalisation des dépenses publiques

Face à la dégradation des comptes publics, bon nombre de pays se sont résolus à supprimer ou réduire les subventions aux carburants, jugées budgétivores et socialement régressives. L’Angola, la Guinée, le Kenya, le Nigeria et dans une moindre mesure le Sénégal qui envisage leur élimination d’ici 2025, ont emprunté cette voie.

Cependant, ces mesures de rigueur n’ont pas toujours été compensées par des filets sociaux renforcés afin de protéger les populations les plus vulnérables contre la hausse du coût de la vie.

Rationalisation des exonérations fiscales

Soucieux d’accroître leurs marges budgétaires, de nombreux États ont opté pour une rationalisation des exemptions et autres avantages fiscaux accordés jusqu’alors à certains secteurs ou entreprises. La République démocratique du Congo, le Kenya et le Rwanda ont ainsi simplifié leur fiscalité des entreprises en supprimant les régimes préférentiels applicables aux zones économiques spéciales.

La Tanzanie a limité les exemptions fiscales à moins de 1% de son PIB. Le Sénégal et le Mozambique ont réduit les exonérations de TVA tandis que le Cameroun, le Malawi et la Sierra Leone ont revu à la baisse les exonérations de droits de douane.

Mesures fiscales introduites entre 2022 et 2023

Mesures à portée fiscale introduitesPays
Renforcement et modernisation de l’administration fiscaleBénin, Burkina Faso, Burundi, République centrafricaine, Cabo Verde, Cameroun, Tchad, Comores, République démocratique du Congo, République du Congo, Guinée, Kenya, Mauritanie, Mozambique, Niger, Sénégal, Sierra Leone, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe
Rationalisation des exonérations fiscales pour augmenter les recettesBénin, Cabo Verde, Cameroun, Comores, Éthiopie, Ghana, Liberia, Malawi, Madagascar, Mozambique, République du Congo, Sénégal, Sierra Leone, Tanzanie, Zimbabwe
Réformes des subventions relatives aux carburants (pour améliorer la situation budgétaire)Angola, République centrafricaine, Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée, Nigeria, Sénégal, Zambie
Introduction de nouvelles taxes, augmentation des taux d’imposition existants ou élargissement de l’assiette fiscaleBénin, Burkina Faso, Burundi, République centrafricaine, Cabo Verde, Cameroun, Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo, Éthiopie, Gambie, Kenya, Lesotho, Liberia, Malawi, Mauritanie, Mozambique, Rwanda, São Tomé et Príncipe, Sénégal, Sierra Leone, Tanzanie, Zimbabwe
Subvention alimentaireGuinée


Si ces mesures sont indispensables au rétablissement des équilibres budgétaires, leur mise en œuvre ne sera pas sans difficultés, notamment sociales, note le rapport. En effet, l’augmentation de la pression fiscale et la suppression des subventions auront inévitablement un impact sur le pouvoir d’achat des ménages, déjà durement éprouvés par la crise du coût de la vie. Selon la Banque mondiale, il sera crucial d’accompagner ces réformes par des mécanismes de compensation et de protection sociale afin d’éviter une trop forte dégradation des conditions de vie.

Par ailleurs, ces politiques budgétaires restrictives comportent le risque d’un ralentissement de la croissance économique, ce qui pourrait à terme compromettre les efforts d’assainissement des finances publiques. Un dosage judicieux entre rigueur budgétaire et soutien à l’activité sera donc indispensable.

Enfin, le renforcement et la modernisation de l’administration fiscale, bien qu’essentiels, ne seront pas chose aisée dans un continent où l’économie informelle occupe une place prépondérante. Les défis logistiques, humains et techniques à relever sont immenses mais constitueront la clé de voûte d’une véritable réforme fiscale inclusive et équitable.

Au-delà de ces mesures à portée fiscale, c’est l’ensemble de la politique fiscale africaine qui est actuellement en pleine mutation, avec une volonté affirmée des États de réduire leur dépendance à l’aide extérieure et de renforcer leur autonomie financière. Un rééquilibrage délicat s’opère entre logiques économiques contradictoires, que les décideurs publics africains devront piloter avec dextérité.

Par Modeste Kouamé
Le 12/04/2024 à 09h56