Pétrole: l’inexorable déclin des producteurs africains inquiète

Puits de pétrole.

Puits de pétrole. . DR

Le 03/08/2025 à 16h23

Contrairement aux minerais, les pays africains sont des «nains pétroliers». Chose plus inquiétante encore, les producteurs majeurs du continent sont en déclin depuis des années. Les derniers chiffres de la production pétrolière du mois de juin 2025 illustrent cette décadence de la production pétrolière africaine. Et pour remédier à cette situation, les pays doivent attirer les majors du secteur et investir massivement dans l’exploitation coûteuse des réserves.

Depuis des années, le déclin pétrolier du continent est martelé en guise d’avertissements par des organisations spécialisées, think tanks et experts internationaux. Et c’est une réalité aujourd’hui pour la quasi-totalité des producteurs majeurs du continent qui ont du mal à inverser la tendance baissière de leur production pétrolière. Les derniers chiffres du mois de juin 2025 portant sur la production mondiale du pétrole illustrent la faible position du continent africain dans l’échiquier pétrolier mondial.

Ainsi, alors que l’offre mondiale du brut s’est établie à hauteur de 105 millions de barils par jour (mb/j), la production des pays africains tourne autour de 6,6 mb/j, soit environ 2,76% de la production mondiale de brut. Les principaux producteurs de l’or noir du continent durant le mois de juin 2025 sont le Nigeria (1,532 mb/J), la Libye (1,284 mb/j), l’Angola (1,1 mb/j), l’Algérie (0,92 mb/j), l’Egypte (0,52 mb/j), le Congo (0,26 mb/j), le Gabon (0,23 mb/j)…

Au rythme de l’évolution actuelle de la production africaine de brut, de nombreux producteurs majeurs africains deviendront des «nains pétroliers» à l’horizon 2035. Malheureusement, ces pays, dans leur globalité, sont très dépendants des exportations d’hydrocarbures. Ainsi, les parts des exportations d’hydrocarbures dans les exportations totales du Nigeria, de l’Angola, de la Libye et de l’Algérie s’établissent à respectivement 90%, 97,9%, 98,7% et 95,8%, selon les données de la Cnuced. Autrement dit, ce sont des pays rentiers qui dépendent uniquement de l’exploitation des hydrocarbures. En conséquence, cette baisse inexorable de la production fragilise ces économies que les dirigeants n’ont pas réussi à diversifier.

Ainsi, le Nigeria, premier producteur de pétrole africain depuis de nombreuses années, a vu sa production pétrolière décroitre depuis 2005, date à laquelle il a vu sa production atteindre 2,5 millions de barils/jour (mb/j) pour descendre autour de 1,1 mb/j en 2022. Depuis, la production a remonté la pente pour se situer à 1,532 fin juin 2025. Toutefois, cela a été rendu possible essentiellement grâce à la chute du siphonage de pétrole qui faisait perdre autour de 500.000 barils de pétrole par jour au secteur pétrolier nigérian et non à l’augmentation de la production stricto sensu.

Pour accroitre sa production, le Nigeria, premier producteur africain, table sur ses champs pétroliers en eaux profondes pour réaliser une production supplémentaire de 0,81 mb/j et maintenir ainsi sa position de premier producteur d’or noir du continent, en portant sa production à hauteur de 2,5 mb/j, soit le niveau de 2005. Il faut dire que le pays dispose de marges de manœuvre avec des réserves de pétrole estimées à 37,30 milliards de barils. Reste que le coût d’exploitation de ces réserves en eau profonde est élevé et il faut réussir à attirer les majors du secteur de plus en plus peu enclins à investir massivement dans le secteur.

L’Angola, second producteur de pétrole africain, est dans la même situation. La production s’est établie à hauteur de 1,1 mb/j à fin juin 2025. On est loin des du pic d’environ 2 mb/j atteint en 2008. Les hydrocarbures représentant 97,6% des recettes exportations du pays. Face à cette baisse, les autorités ont décidé en 2023 de quitter l’OPEP afin d’avoir les mains libres pour augmenter leur production pétrolière à leur guise.

Grâce aux efforts entrepris et aux investissements qui ont permis la mise en service de nouveaux projets offshore, le pays a réussi à stabiliser sa production en attendant que les investissements dans l’exploration et l’exploitation de nouveaux gisements produisent leurs effets. Afin d’attirer les majors du secteur, le président angolais, Joào Lourenço, a approuvé une loi offrant de nouvelles incitations fiscales pour accroitre progressivement la production. De même, le gouvernement angolais a projeté un investissement de 850 millions de dollars pour relancer la production nationale.

Quant à la Libye, qui détient les plus importantes réserves pétrolières du continent, le problème concerne l’épuisement des anciens puits, mais surtout l’insécurité que traverse le pays depuis 15 ans et qui ne favorise pas l’arrivée de multinationales pour soutenir la prospection et l’exploitation des champs pétroliers.

La situation est plus compliquée pour l’Algérie, 4e producteur africain dont la production ne cesse de baisser. Celle-ci s’est établie à 0,92 mbp/j durant les 6 premiers mois de l’année en cours. On est loin des niveaux de 1,5 mb/j de 2019 et encore plus loin du 1,9 mb/j enregistré en 2007. La situation va empirer dans les années à venir. «D’ici à 2050, la production de pétrole brut devrait baisser de près de 65% par rapport à 2019, et représenter environ 130 millions de barils, soit 0,4 million de barils par jour», selon l’étude sur: «Approvisionnement futur de l’Union européenne: Etat des réserves et perspectives de production des principaux pays fournisseurs».

La situation est donc plus compliquée pour l’Algérie du fait que sa consommation intérieure absorbe une partie de plus en plus importante de sa production à cause de la politique énergétique du pays. Si cette dernière n’évolue pas, la consommation pétrolière intérieure représentera 80% du total de la production en 2030, selon le ministère algérien de l’Énergie et des mines (mars 2024). Selon cette source, la production algérienne devrait tomber à hauteur de 0,7 mbp/j à l’horizon 2030, après avoir baissé 1,1 mb/j en 2019, puis passé sous la barre du million en 2023 à 0,97 mb/j.

Partant, cette décrue va porter un coup fatal aux capacités d’exportations de pétrole de l’Algérie. La baisse combinée de la production et la hausse de la consommation ne laissera que des miettes pour l’exportation des hydrocarbures (pétrole et gaz- qui représentent à hauteur de 95% des revenus d’exportations et plus de 40% des recettes budgétaires.

Du coup, les autorités multiplient les initiatives pour attirer les multinationales vers le secteur des hydrocarbures. Toutefois, le climat des affaires et la règlementation encadrant les investissements étrangers font que le pays a du mal à attirer les investisseurs étrangers malgré les énormes potentialités.

Enfin, l’autre producteur moyen du continent, l’Egypte, voit sa production baisser à ses niveaux les plus bas depuis plus de 50 ans en ressortant à 0,51 mb/j à fin juin 2025. Cette situation va encore empirer dans les années à venir. Selon les estimations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la production devrait baisser de plus de 26% d’ici 2030 à 0,42 mb/j par rapport au niveau de 2024, soit 0,57 mb/j.

Face à cette situation, le Caire a proposé à des multinationales 13 opportunités d’investissement dans l’exploitation pétrolière et gazière pour arriver à inverser la tendance baissière de la production pétrolière du pays.

Ce constat est aussi valable pour tous les autres anciens petits producteurs pétroliers africains: Gabon, Congo, Guinée équatoriale…

Plusieurs facteurs expliquent ce déclin de la production du brut africain. Parmi eux:épuisement des réserves des puits de pétrole des gisements exploités depuis plusieurs décennies, l’augmentation des coûts d’exploitation, avec des points morts très élevés, rendant ces champs pétroliers non rentables, des cours de pétrole bas et erratique, la faiblesse des investissements dans les énergies fossiles à cause des incertitudes liées au développement des énergies renouvelables,…

Face à cette situation, les producteurs africains doivent investir massivement dans l’exploration et surtout dans l’exploitation des réserves de pétrole prouvées non encore exploitées. Le problème est que l’exploitation de ses réserves qui nécessite des coûts élevés, avec des points morts, allant de 40 à 100 dollars par baril de pétrole, n’est pas globalement viable à cause d’un baril de pétrole actuellement bas, autour de 70 dollars. Partant, de nombreuses réserves de pétrole du continent risquent de ne pas être exploitées à cause des coûts d’exploitation très élevés et donc pour des questions liées à la rentabilité de ces gisements.

Par Moussa Diop
Le 03/08/2025 à 16h23