Pourquoi l’Algérien a le revenu le plus faible d’Afrique du Nord, d’après les données de la Banque mondiale

Une boulangerie d'Alger.. AFP or licensors

Le 06/06/2023 à 11h45

Selon les données 2021 de la Banque mondiale, les Algériens sont les moins riches d’Afrique du Nord. Le Produit intérieur brut (PIB) par habitant du pays est le plus faible de la région. Pourtant, l’Algérie est le premier producteur africain de gaz et fait partie du Top 4 des pays pétroliers du continent.

Même si le PIB est souvent critiqué, jugé incomplet pour mesurer le bien-être économique des habitants d’un pays, il n’en demeure pas moins qu’il demeure un indicateur essentiel de la performance économique d’une nation. Le PIB par habitant, c’est-à-dire la richesse totale créée en une année répartie sur la population d’un pays, donne ainsi une idée sur la «richesse» des populations.

A ce titre, les données de la Banque mondiale relatives au Produit intérieur brut par habitant (PIB/ht) de 2021 (prix courant exprimé en dollar), montrent un chamboulement au niveau des pays de l’Afrique du Nord, Egypte comprise.

En effet, et pour la première fois depuis son indépendance en juillet 1962, l’Algérie a affiché le PIB par habitant (PIB/ht) le plus faible de la région Afrique du Nord en 2021.

Selon ces données, c’est la Libye qui maintient son rang de pays disposant du PIB par habitant le plus élevé avec un ratio de 6.357,2 dollars, en dépit de la crise qu’elle traverse depuis une douzaine d’année. Ses importantes ressources pétrolières et sa population d’à peine 7 millions d’habitants font que la Libye affiche un PIB/ht élevé, qui a pourtant chuté ces dernières années en raison de la guerre. Ainsi, en 2012, soit une année après le déclenchement de la révolution, le pays affichait un PIB/ht de 15.764,90 dollars, grâce (quasi) uniquement à ses ressources énergétiques fossiles.

Si la Libye a su maintenir son rang, ce n’est pas le cas de l’Algérie qui affiche, depuis des années, le second ratio de la région, grâce notamment à ses importantes ressources gazières et pétrolières.

Mais voilà qu’à cause d’une succession de contre-performances économiques de ces dernières années, le pays a vu sa richesse par habitant créée annuellement fondre comme neige au soleil avant d’atteindre le plus bas au niveau de la région en 2021.

Ainsi, en 2021, derrière l’indéboulonnable Libye, ce sont la Tunisie et le Maroc qui suivent, dans un mouchoir de poche, avec des PIB/ht respectifs de 3.807,10 et 3.795,40 dollars. L’Egypte, qui compte une population de 105 millions d’habitants, se retrouve avec un PIB/ht de 3.698,80 dollars alors que l’Algérie ferme la marche avec un ratio de seulement 3.690,60 dollars.

C’est la première fois, en 2021, que l’Algérie occupe la dernière marche de ce classement au niveau du Maghreb depuis son indépendance. Toutefois, cette position peu enviable n’est pas vraiment une surprise. Le PIB/ht du pays s’étant inscrit dans un trend baissier inquiétant depuis une décennie. Ainsi, le PIB/ht est passé de 5.610,70 dollars en 2012 à seulement 3.690,60 dollars en 2021. L’Algérien a donc vu sa richesse chuter de 52,03%, soit une baisse de 1.920,10 dollars de perdus sur la période.

Le fait d’avoir les habitants «les moins riches» d’Afrique du Nord a de quoi interroger. Et pour cause, l’Algérie dispose de gigantesques ressources naturelles, comparativement à ses voisins marocains et tunisiens. L’Algérie est le premier producteur africain de gaz et fait partie du Top 4 des premiers producteurs de pétrole du continent. Ainsi, en 2021, l’Algérie a extrait 101 milliards de mètres cubes de gaz naturel et produit environ 900.000 barils de pétrole par jour.

Comment expliquer alors ce classement? Plusieurs facteurs ont contribué à cette déconfiture. En premier lieu, il y a la faible croissance de l’économie algérienne. Les taux de croissance se sont établis à 1,3% en 2017, 1,2% en 2018, 1% en 2019, -5,10% en 2020 et 3,50% en 2021. Des taux de croissance trop faibles pour permettre la création de richesses et d’emplois. La croissance moyenne du PIB algérien est même inférieure à la croissance démographique moyenne qui s’est établie à 1,8% sur la période 2017-2021.

Cette faible croissance s’explique par le fait que depuis 2014, le pays traverse une crise aigüe due à la chute des cours du baril de pétrole qui rythme l’évolution économique du pays. Au-delà des effets de la crise sanitaire entre 2020 et 2021 qui a touché tous les pays, cette faible croissance de l’économie algérienne s’explique essentiellement par l’absence de diversification de l’économie du pays qui continue de reposer quasi uniquement sur la rente pétrolière et gazière depuis l’indépendance du pays en 1962.

Malgré les importantes recettes engrangées, aucune diversification n’a été entreprise depuis 60 ans, laissant la richesse créée annuellement dépendre uniquement des hydrocarbures et donc des évolutions erratiques des cours du pétrole sur le marché international. Résultat: les recettes tirées des hydrocarbures et dérivés représentent 95% des recettes en devises du pays.

Ce qui est tout à fait le contraire de ses voisins marocains et tunisiens, moins riches en ressources fossiles mais qui ont su diversifier leurs économies et améliorer leur compétitivité. Une analyse comparée des recettes des exportations de l’Algérie et du Maroc, montre que le Royaume dispose d’une économie autrement plus diversifiée que celle de son voisin de l’Est.

En effet, avec environ 426 milliards de dirhams de recettes d’exportation enregistrées en 2021, les phosphates et dérivées ont représenté 115,5 milliards de dirhams, devant l’automobile (111,3 milliards de dirhams), l’agriculture et l’agroalimentaire (81 milliards de dirhams). Les phosphates sont désormais relégués à la seconde place des secteurs exportateurs par celui de l’automobile avec une production tournant autour de 500 000 unités en 2022 dont 90% exportés en Europe notamment. Ces trois secteurs devançant ceux de l’aéronautique, du textiles habillement…

Cette diversification a été rendue possible grâce à une stratégie industrielle bien pensée, à une vision stratégique claire, un bon environnement des affaires et des infrastructures de qualité. Autant de facteurs qui font du Maroc le second pays le plus industrialisé d’Afrique, derrière l’Afrique du Sud, selon le dernier rapport de la Banque africaine de développement (BAD), alors que l’Algérie ne figurait même pas dans le Top 10 continental.

Le succès de ces politiques économiques ont contribué positivement à la création de richesses et donc à l’amélioration du PIB/ht du pays qui est ainsi passé, durant la décennie 2012-2021, de 2.907,4 dollars à 3.795,40 dollars, soit une évolution de 30,54% (+888 dollars).

Ensuite, il y a cette absence de politiques économiques efficaces des décideurs politiques algériens qui se sont succédés à la tête du pays. A ce titre, le fiasco de l’industrie automobile est un exemple patent d’un manque de vision. La seule politique commune à tous ceux qui ont tenu les rênes du pays se résumant à acheter la paix sociale à coût de subventions et autres aides de toutes sortes sans se soucier du développement économique du pays.

En outre, cette baisse de la richesse s’explique par la dilapidation des importantes recettes engrangées par le pays grâce aux exportations des hydrocarbures et qui sont dépensées dans des achats d’armements. L’acquisition d’armes est de loin le premier poste budgétaire au niveau du continent. Ces déconvenues trouvent également leur origine dans la corruption de l’élite politico-militaire dirigeante…

Ainsi, pour avoir une idée claire de ces dilapidations, il n’y a pas plus renseigné qu’Ali Benouari, ancien ministre algérien du Trésor (1991-1992), qui a usé d’une métaphore lors d’un entretien avec la chaîne Al-Magharibia en soulignant, en mai 2020, que «mille milliards de dollars sont partis dans les toilettes», faisant allusion à la gestion scabreuse de la manne pétrolière entre 1999 et 2019.

Un montant qui, s’il était bien investi, aurait pu créer de la valeur, contribuer à diversifier l’économie algérienne, créer des emplois et donc changer complètement la physionomie de l’économie algérienne.

En clair, au vu de ces facteurs, le recul notable à la dernière place du PIB par habitant de l’Algérie en 2021 n’est en soi pas une surprise.

Par Karim Zeidane
Le 06/06/2023 à 11h45