Pourquoi le secteur aérien de l’Afrique peine à décoller

Avion en plein décollage.

Le 09/06/2025 à 16h32

En raison de différents facteurs, l’Afrique et ses 18% de la population mondiale, représente à peine 3% du trafic mondial de passagers. Cependant, le Marché unique du transport aérien en Afrique pourrait, une fois concrétisé, doper les voyages et l’aviation civile du continent.

Selon les données de l’Association du transport aérien international (IATA) le trafic mondial s’est établi, en 2024, à un niveau record de 4,89 milliards de passagers-kilomètres (l’indice de référence) en hausse de 10,4% comparativement à 2023. Sur ce volume, le continent n’a enregistré qu’un trafic de 160 millions de passagers l’année dernière, soit 3,27% du trafic mondial. Conclusion: l’Afrique est un nain du transport aérien, malgré ses 54 pays et son 1,5 milliard d’habitants, soit 18% de la population mondiale.

Plusieurs facteurs expliquent la faiblesse des voyages en avion au niveau du continent africain. D’abord, l’épineux problème des visas. En effet, si quelques pays comme le Bénin, la Gambie, le Rwanda et les Seychelles ont supprimé l’obligation de visa pour tous les citoyens africains, la plupart des voyageurs africains sont encore confrontés à des démarches administratives complexes et coûteuses pour obtenir le sésame.

Ensuite, il y a la faiblesse des vols directs entre pays africains qui impacte négativement les voyages à travers l’Afrique. Selon l’IATA, seules 19% des routes entre pays africains sont desservies par des vols directs. Souvent, les voyageurs africains sont obligés de transiter par des hubs extracontinentaux -Dubaï, Doha, Istanbul, Paris, Londres…- pour relier deux capitales africaines. Des transits qui allongent la durée du trajet et augmentent le prix du billet.

À ces deux facteurs s’ajoutent les tarifs des billets d’avion qui sont parmi les plus chers au monde en raison des nombreuses taxes aériennes souvent inclues dans le prix du billet. Ainsi, selon l’IATA, les taxes et redevances peuvent représenter, selon les pays, jusqu’à 15% du surcoût des billets.

De même, les frais de navigation aérienne excèdent de 10% la norme mondiale. Additionnées, ces taxes peuvent représenter, dans certains pays, jusqu’à 50% du prix total du billet.

Selon l’IATA, dans certains pays du continent, les passagers paient davantage en taxes et redevances que le prix du billet lui-même. Ainsi, un ticket à 100 dollars peut inclure 60 à 70 dollars de taxes et redevances aéroportuaires.

C’est dire que ces taxes et redevances constituent un véritable goulot d’étranglement pour les compagnies aériennes du continent et les voyageurs qui sont obligés de supporter ces frais qui sont répercutés sur les billets. Selon les États, ces taxes visent à financer les infrastructures aéroportuaires et la sécurité aérienne.

Par ailleurs, le coût du kérosène est en moyenne 17% plus cher en Afrique que partout ailleurs dans le monde. Une situation qui s’explique par l’absence de raffineries en Afrique et donc par les importations de carburants par de nombreux pays. Le carburant représente souvent jusqu’à 40% des coûts d’exploitation des compagnies aériennes africaines, contre 25% à l’échelle mondiale.

Ainsi, taxes, redevances, kérosène, maintenance, assurances pèsent entre 6 à 10% de plus en Afrique comparativement aux autres marchés, d’où les difficultés de trésorerie auxquelles font face les compagnies africaines. Or, pour espérer atteindre l’équilibre, et éventuellement dégager un bénéfice, les compagnies sont obligées de répercuter toutes ces charges sur les voyageurs avec à la clé des billets d’avion qui coûtent excessivement cher et qui finissent par décourager les voyageurs.

Pour remédier à cette situation, il faudrait agir sur la règlementation du transport aérien en Afrique. C’est ce que l’Union africaine tente de faire avec la mise en place du Marché unique du transport aérien en Afrique (Mutaa), c’est-à-dire un Open sky qui devrait libérer le potentiel du secteur.

Le Mutaa doit permettre la suppression des restrictions imposées au transport aérien intra-africain pour les compagnies aériennes éligibles, la libéralisation des tarifs, la levée des restrictions sur les fréquences et les capacités…

Cette libéralisation devrait accroître la concurrence entre les compagnies aériennes du continent, améliorer la connectivité et abaisser les tarifs et par ricochet stimuler la demande de voyages.

Toutefois, si 34 pays ont adhéré au Mutaa, seulement 20 pays autorisent les droits de 5e liberté. Malheureusement, tant que le marché de l’aérien africain continuera à être cloisonné, fragmenté et sous-règlementé, l’ambition d’un Open sky africain restera un vœu pieux et le secteur du transport continental restera à la traine.

La cinquième liberté est le droit ou privilège accordé par un État à un autre État, de débarquer et d’embarquer, dans le territoire du premier État, du trafic en provenance ou à destination d’un État tiers.

Tous ces facteurs font que les compagnies aériennes africaines affichent le taux de remplissage le plus faible au monde. En 2024, en moyenne, celui-ci s’est inscrit en baisse de 1,2 point par rapport à l’année précédente en s’établissant à 74,5%.

Tous ces facteurs ont des impacts négatifs sur les résultats financiers des compagnies aériennes africaines.

Alors qu’au niveau mondial, les compagnies ont engrangé un total de 36 milliards de dollars de bénéfices en 2024, celles du continent se sont contentées de seulement 200 millions de dollars, soit 0,55% des résultats (en cumulant pertes et profits) du secteur. Une situation qui illustre parfaitement les difficultés que connaissent les compagnies aériennes africaines, structurellement déficitaires.

En effet, seule une poignée de compagnies du continent arrive à dégager des bénéfices et ce malgré les soutiens des Etats: Ethiopian Airlines, Asky, filiale d’Ethiopian, Kenyan Airways…

A titre d’exemple, Kenya Airways, après une période de turbulence suivie d’une restructuration, a réalisé en 2024 un bénéfice net de 42 millions de dollars.

Reste que selon les projections de l’IATA, la situation devrait évoluer positivement les années à venir sous l’effet de nombreux facteurs. Outre l’ouverture accrue des frontières entre les pays africains (suppression de visas, visa à l’arrivée, visa électroniques…), l’établissement du Mutaa en cours et la baisse des tarifs attendue grâce à l’Open sky africain devraient donner du baume au secteur.

L’IATA a également identifié le développement d’une classe moyenne parallèlement à l’augmentation démographique de la population africaine et la concurrence accrue entre les transporteurs aériens africains et internationaux comme des éléments qui pourraient booster le secteur africain. Enfin, l’IATA estime que le secteur sera tiré par le développement des compagnies aériennes africaines qui augmentent leurs flottes et leurs réseaux de dessertes.

Grâce à tous ces facteurs, l’IATA estime que le nombre de passagers transportés au niveau du continent devrait passer de 160 millions en 2024 à 345 millions en 2043, soit une croissance moyenne annuelle de 3,7% qui fera plus que doubler le nombre de passager transportés en 19 ans.

Par Moussa Diop
Le 09/06/2025 à 16h32