Au sud du pays, dans le district de Nyaruguru, les collines qui étaient longtemps couvertes d’eucalyptus, peu rentables se sont métamorphosées en immenses plantations de thé. Une métamorphose initiée en 2010 et renforcée en 2014–2015, lorsque le gouvernement a choisi de faire du thé la clé de voûte du développement local. Les habitants ont été formés, les terres consolidées, les coopératives créées, et peu à peu, les anciennes pratiques agricoles ont laissé place à une économie structurée autour du thé.
La dynamique s’est accélérée avec l’ouverture récente de la Kibeho Tea Factory, une usine d’une capacité de 2.000 tonnes par an, appelée à atteindre 7.500 tonnes après expansion. Une autre est en préparation dans le secteur voisin de Munini. Si le bloc industriel couvre environ 720 hectares, la zone cultivée par les petits exploitants pourrait bientôt dépasser les 6.000 hectares, signe que la production repose avant tout sur les communautés rurales.
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Pour ces familles, le thé a changé bien plus que l’apparence des collines. Alexis Mutungirehe, qui cultive trois hectares, mesure aujourd’hui l’ampleur de ce bouleversement. «Avant, je gagnais 800.000 francs rwandais tous les cinq ans avec l’eucalyptus. Aujourd’hui, je dégage un bénéfice net de 100.000 francs par mois, sur huit mois de récolte. En une seule année, je gagne désormais plus que ce que j’obtenais en cinq ans», explique-t-il. Son exploitation emploie onze personnes, preuve que le thé a généré un tissu économique local dynamique et créateur d’emplois.
Des plantations verdoyantes de thé vert au Rwanda.. N. Fraterne/Le360 Afrique
Dans les champs, l’impact social est tout aussi visible. Fils Mugisha Nizigiyimana, cueilleur depuis trois ans, raconte comment la culture du thé a stabilisé sa vie: «Grâce à ce métier, j’ai pu construire une maison pour ma femme et mes enfants. Je travaille de 5 h à 17 h et je gagne entre 3.000 et 3.500 francs par jour, ce qui me permet d’envisager l’avenir sereinement.»
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Esther Niyonzima, cueilleuse depuis quatre ans, partage le même constat: le thé lui a permis de nourrir ses enfants, de payer leur scolarité et de se projeter dans la vie avec dignité, après des années d’incertitude.
Dans les usines, une nouvelle génération trouve également des opportunités professionnelles. Caritas Tuyizere, trieuse à la Kibeho Tea Factory, a été formée sur place juste après ses études secondaires. «Ce travail m’a épargné le chômage et m’offre une indépendance financière», confie-t-elle. Chez Browns Plantations, l’ampleur de cette activité se mesure chaque jour: jusqu’à 28 tonnes de feuilles fraîches y sont réceptionnées quotidiennement, pour une production d’environ 10 tonnes de thé noir destinées presque exclusivement à l’exportation, souligne Jered Byukusenga, responsable d’équipe.
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Le succès du thé rwandais doit beaucoup à son terroir exceptionnel. Cultivé en altitude sur des sols volcaniques riches et parfaitement drainés, bénéficiant d’un climat équatorial tempéré, il offre une qualité premium très recherchée sur les marchés internationaux.
Les usines appliquent des standards stricts, que ce soit pour les grades CTC ou orthodoxes, ce qui permet au Rwanda de se positionner comme l’un des producteurs les plus compétitifs de la région.
Cette réussite s’inscrit dans une stratégie nationale ambitieuse. Près de 50.000 petits producteurs, regroupés en plus de 23 coopératives, vivent directement de cette culture. Les autorités visent désormais 175 millions de dollars d’exportations en 2029, avec 58.600 tonnes transformées. Une progression majeure par rapport aux performances actuelles.
Malgré ses avancées, Nyaruguru n’a pas atteint son plafond. Le district dispose encore de vastes terres aptes à la culture du thé, d’un climat idéal et de sols volcaniques très prisés sur le marché international. Les quatre usines en activité affichent une qualité de production en progression continue, avec notamment l’unité de Nshili-Kivu régulièrement classée parmi les meilleures du pays.
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La demande mondiale pour le thé rwandais, reconnu pour son goût riche et sa pureté, ne cesse d’augmenter. Les coopératives, soutenues par des crédits remboursés après récolte, étendent leurs superficies. Les autorités locales rappellent que cette filière pourrait générer davantage d’emplois et d’investissements si des défis persistants — notamment le coût élevé des engrais, le mauvais état des routes rurales et le manque de cueilleurs — étaient résolus.
Notons par exemple que près de 14.670 travailleurs seraient nécessaires pour répondre à la croissance de la production contre 9.127 aujourd’hui même s’ils étaient 3.850 il y a seulement 10 ans.
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Au-delà de la tasse, le thé rwandais raconte aujourd’hui l’histoire d’un pays qui a su allier altitude, savoir-faire et ambition pour bâtir un modèle agricole inclusif. Et dans les champs de Nyaruguru, au gré des paniers qui se remplissent chaque matin, se dessine déjà une autre promesse: celle de voir l’or vert du Rwanda continuer d’irriguer l’économie nationale pour longtemps.









