Secteur de l’or : pour maximiser ses revenus et stabiliser sa monnaie, le Ghana interdit aux étrangers l’accès à son marché

Le Ghana exclut les étrangers de son marché local de l'or et crée un monopole d'État pour augmenter ses revenus.

Le 15/04/2025 à 17h29

Face à la flambée des cours de l’or et aux enjeux de souveraineté, le Ghana restructure son marché national.

L’information vient de tomber. Le Ghana, premier producteur d’or d’Afrique, opère un virage stratégique en interdisant aux étrangers l’accès à son marché local de l’or à compter du 30 avril 2025. Cette décision, pilotée par le Ghana Gold Board (GoldBod), vise à centraliser les achats, les ventes et les exportations de l’or artisanal, jusqu’alors dominés par des acteurs privés locaux et internationaux. Alors que les exportations ghanéennes d’or ont bondi de 53,2 % en 2024 pour atteindre 11,64 milliards de dollars, cette réforme s’inscrit dans un effort plus large de captation de la valeur ajoutée, de lutte contre la contrebande et de consolidation monétaire.

Rappelons que la création du GoldBod répond à une logique de maximisation des revenus étatiques. En centralisant les transactions, le Ghana cherche à éviter les pertes liées à l’exportation de l’or brut– un enjeu souligné par le ministre des Finances, Mohammed Amin Adam, lors de l’inauguration de sa première raffinerie d’or en Août 2024 «L’or représente 96 % des exportations de minéraux, mais son état brut limite les bénéfices». La nouvelle raffinerie Royal Ghana Gold Refinery, inaugurée en août 2024, illustre cette ambition. Avec une capacité annuelle de 120 tonnes, elle permettra de transformer localement l’or, générant des marges supplémentaires et des emplois.

Cette stratégie s’appuie aussi sur la flambée des cours mondiaux: le prix de l’once a dépassé 3.200 dollars en 2024, dopé par les tensions commerciales sino-américaines et la demande d’actifs refuges. En canalisant les ventes vers GoldBod, l’État ghanéen espère capter une part plus importante de cette manne, notamment via les 5 milliards de dollars issus des petits mineurs légaux.

Ainsi, le droit minier ghanéen subit une mutation radicale. Les licences d’exportation détenues par des entreprises étrangères ou locales sont révoquées, au profit d’un monopole public. «GoldBod est désormais la seule entité autorisée à acheter, analyser ou exporter l’or artisanal», précise le communiqué gouvernemental. Les étrangers devront désormais négocier directement avec cette entité, une mesure qui limite leur accès direct aux mineurs et réduit leur influence sur la chaîne d’approvisionnement.

Une évolution qui s’inscrit dans une tendance africaine de nationalisation de ressources, où les États reprennent le contrôle stratégique de leurs matières premières. Toutefois, elle soulève des questions sur l’attractivité des investissements étrangers. Si le Ghana garantit aux entreprises internationales un accès via GoldBod, la perte d’autonomie pourrait décourager certains acteurs, notamment dans un contexte où la contrebande (estimée à 30 % de la production ouest-africaine) reste une alternative lucrative.


Or, devise et inflation

En janvier dernier, Cassiel Ato Forson, ministre des Finances du Ghana, déclarait que GoldBod est un outil de stabilisation monétaire: «Cela permettra de maintenir la solidité du cedi [monnaie nationale]». En centralisant les exportations, le Ghana peut mieux contrôler ses réserves de change – cruciales pour un pays dépendant des importations. De plus, la raffinerie offre la possibilité de constituer des réserves d’or pur, utilisables comme garantie pour des prêts internationaux ou pour limiter la pression inflationniste.

Cette approche rappelle celle de pays comme la Turquie ou l’Inde, où l’or joue un rôle de stabilisateur financier. Toutefois, son succès dépendra de la capacité de GoldBod à garantir des prix compétitifs aux mineurs, évitant une fuite vers les marchés parallèles.

La réforme vise aussi à résoudre un paradoxe : bien que le Ghana soit un géant minier, l’exploitation artisanale – qui contribue pour près de 5 milliards de dollars aux exportations – reste marquée par l’informalité et l’illégalité. En intégrant ces petits acteurs dans un circuit officiel, l’État espère réduire la pollution et la dégradation environnementale liées aux pratiques clandestines.

Cependant, cette formalisation comporte des risques sociaux. Les mineurs artisanaux, souvent marginalisés, pourraient subir les délais bureaucratiques ou les prix imposés par GoldBod. Comme on peut le noter, la réussite de tels systèmes dépend de leur flexibilité et de leur transparence – deux défis pour une nouvelle institution nationale.

Certification et repositionnement mondial

L’on comprend mieux la portée de la certification de la Royal Ghana Gold Refinery, qui n’est pas anodine. En visant la certification LBMA (London Bullion Market Association), le Ghana aspire à devenir un hub régional de raffinage, rivalisant avec l’Afrique du Sud. Cette certification permettrait d’exporter de l’or directement sur les marchés financiers mondiaux, augmentant sa crédibilité et ses marges.

Dans un contexte de tensions commerciales et de course aux métaux stratégiques, le Ghana positionne son or comme un actif géoéconomique. En s’alignant sur les standards internationaux, il renforce aussi son partenariat avec des acteurs comme l’Inde (via Rosy Royal Minerals), diversifiant ainsi ses alliances face aux puissances traditionnelles (Chine, États-Unis).

Mise en œuvre et concurrence régionale

Malgré ces ambitions, les obstacles restent nombreux. Historiquement, les monopoles d’État en Afrique ont parfois alimenté la corruption, comme le rappellent les scandales liés à la Gécamines en RDC. GoldBod devra prouver son efficacité et son intégrité, notamment dans un secteur minier artisanal réputé pour son opacité.

Par ailleurs, la capacité de la raffinerie à absorber toute la production nationale (4 millions d’onces annuelles) reste à tester. Enfin, la concurrence régionale – notamment avec le Burkina Faso et le Mali, qui exploitent des gisements similaires – exigera une gestion rigoureuse des coûts et des partenariats.

Ainsi, la réforme ghanéenne de l’or est une tentative audacieuse de concilier souveraineté économique, stabilisation financière et justice sociale. Si elle parvient à éviter les écueils de la bureaucratie et de la corruption, elle pourrait servir de modèle à d’autres pays africains riches en ressources. Toutefois, son succès dépendra de sa capacité à équilibrer contrôle étatique et incitations à l’investissement, dans un contexte mondial où l’or reste à la fois une richesse et un enjeu de pouvoir.

Rupture stratégique au Ghana dans le secteur l’or

Points clésDétails
Contexte- Ghana, 1er producteur d’or en Afrique, face à la flambée des cours (3.200 $/once en 2024).
- Exportations d’or en hausse de 53,2 % (11,64 milliards $ en 2024).
- Enjeux : contrebande (30 % de la production ouest-africaine), informalité des petits mineurs.
Mesures clés- Interdiction aux étrangers d’accéder au marché local de l’or dès avril 2025.
- Création du Ghana Gold Board (GoldBod), monopole d’État pour centraliser achats, ventes et exportations.
- Inauguration de la Royal Ghana Gold Refinery (120 tonnes/an), visant la certification LBMA.
Objectifs- Maximiser les revenus étatiques via la transformation locale (éviter l’exportation de brut).
- Stabiliser le cedi (contrôle des réserves de change).
- Réduire l’informalité, la pollution et la contrebande.
- Positionner le Ghana comme hub régional de raffinage.
Enjeux/défis- Risque de découragement des investisseurs étrangers (perte d’autonomie).
- Gestion de la corruption et de la bureaucratie (exemple de la Gécamines en RDC).
- Capacité de la raffinerie à absorber la production nationale (4 millions d’onces/an).
- Concurrence régionale (Burkina Faso, Mali).
Perspectives- Modèle potentiel pour d’autres pays africains riches en ressources.
- Équilibre délicat entre souveraineté étatique et attractivité des investissements.

Source : GoldBod.

Par Modeste Kouamé
Le 15/04/2025 à 17h29