La Tunisie fait face à une crise économique et financière aigüe, aggravée par la difficulté qu’ont les dirigeants du pays à trouver un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) pour bénéficier d’un important prêt de 1,9 milliard de dollars, qui faciliterait au pays l’obtention d’autres financements auprès d’autres bailleurs de fonds multilatéraux et privés.
Face à l’impossibilité d’obtenir de tels prêts, Kaïs Saied souhaite désormais recourir à la Banque centrale de Tunisie pour financer le budget et relancer l’économie tunisienne. Dans cette optique, le président tunisien a déclaré, vendredi 8 septembre, lors d’une visite au siège de l’institution gardienne de la politique monétaire du pays, que «la loi de financement budgétaire qui dit que la banque ne peut pas accorder de facilités de crédit ni acquérir des obligations émises par l’Etat devrait être revue», expliquant que la Banque centrale est une institution publique et non indépendante de l’Etat.
Concrètement, le gouvernement tunisien souhaite non pas à battre la monnaie comme dans le cas d’une «planche à billets» classique, mais à en créer en rachetant simplement la dette du Trésor public. Il s’agit de créer de la monnaie autrement que la «planche à billets» en achetant des obligations d’Etat.
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Seulement, le gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie n’est pas du même avis que le président et avait déjà mis en garde contre une telle politique. D’abord, l’adoption de la modification de la loi de 2016 menacerait l’indépendance de la Banque centrale en entrainant une intervention accrue de l’Etat dans les politiques monétaires, dans un contexte de déficits budgétaires croissants, de la rareté des ressources financières et des difficultés d’accès aux emprunts à l’étranger.
Ensuite, il y a l’impact de cette mesure sur la hausse des prix. En effet, en voulant financer les déficits via la Banque centrale, il y a le risque de créer une hyperinflation sachant que l’indice des prix à la consommation s’est établi à 9,3% en août dernier. En clair, la modification de la loi pourrait entrainer une nouvelle flambée des prix qui pourrait détériorer dangereusement le pouvoir d’achat des citoyens tunisiens.
En plus, cette liquidité accrue qui proviendrait de la création de la monnaie via le rachat de dette du Trésor public va non seulement accroitre les tensions inflationnistes, mais aura un impact négatif sur la valeur du dinar tunisien face aux devises étrangères (dollar, euro…). Une dépréciation accrue de la monnaie locale viendrait ainsi entretenir la flambée inflationniste.
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Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Marouan Abassi, a averti le gouvernement de l’impact de la politique visant à pousser la Banque centrale à acheter des bons de Trésor. La modification de la loi va aussi constituer un mauvais signal qui sera adressé aux institutions financières internationales, notamment au FMI, mais aussi aux bailleurs de fonds.
Cette volonté du président tunisien à recourir à ce mode de financement intervient alors que le pays n’arrive pas à obtenir l’aval définitif du FMI pour le déblocage d’un prêt de 1,9 milliard de dollars.
L’institution financière internationale conditionne son prêt par la mise en place de réformes structurelles dont la réduction de la voilure des salariés de la fonction publique, la réduction progressive des subventions sur de nombreux produits dont les hydrocarbures, la privatisation de certaines entreprises publiques budgétivores…
Toutefois, face aux craintes que suscitent ces réformes dans un contexte économique difficile, les autorités tunisiennes ne se pressent pas à adopter les recommandations du FMI. D’ailleurs, le président tunisien n’a pas hésité à parler de «diktat» allusions aux recommandations du FMI avançant que la réduction des subventions pourrait entrainer des troubles sociaux.
Une chose est sure, le président tunisien, qui a déjà mis le législatif et le judiciaire dans son escarcelle, fera tout ce qui est dans son pouvoir pour réduire l’indépendance de la Banque centrale et permettre le financement du déficit budgétaire par l’institution monétaire. Cela permettra au gouvernement d’atténuer l’épineux problème de financement au moment où le président Kaïs Saied commence à préparer sa campagne pour un second mandat, en 2024, à la tête de la Tunisie.