En 2024, à l’instar des années précédentes, de nombreuses monnaies des pays africains ont continué à s’effriter face au dollar américain, principale devise des transactions commerciales, des emprunts et remboursements des services de dettes et des réserves de change des pays du continent. Il faut reconnaitre que si la conjoncture économique globale continue de s’améliorer pour de nombreux pays africains, la situation économique est loin d’être reluisante pour nombre d’entre eux qui continuent de faire face à de nombreux défis.
Entre des conjonctures économiques pas toujours reluisantes pour certaines économies, liées notamment au repli de certaines matières premières qu’elles exportent, de nombreuses monnaies de pays africains continuent de faire face aux facteurs exogènes, aux conséquences des injonctions du Fonds monétaire international (FMI), aux pénuries de devises et particulièrement du dollar américain, aux effets de leurs déficits (budgétaires (opération courante), aux réserves de change faibles et à des niveaux d’inflation non maitrisée…
Autant de facteurs qui contribuent à affaiblir les monnaies des pays africains vis-à-vis du billet vert, avec comme principale conséquence l’accentuation des pressions inflationnistes.
D’ailleurs, en 2024, quelques monnaies de grands pays africains ont atteint le plus bas niveau vis-à-vis du dollar américain, sous l’effet des facteurs cités, mais aussi et surtout à cause des politiques monétaires édictées par le FMI.
Lire aussi : Les grandes économies africaines face au dollar: les monnaies qui s’effritent et celles qui résistent
Dans certains cas, ce sont les interventions des banques centrales qui permettent d’atténuer les dépréciations de certaines monnaies, sachant que dans d’autres cas, les monnaies n’ont réussi à afficher une forte résilience que grâce à des politiques monétaires qui ne sont pas viables sur le long terme. C’est le cas des pays où le gap entre le taux de change du niveau marché officiel et du marché parallèle est très important. Une situation qui explique aujourd’hui les fortes dépréciations des monnaies égyptienne, nigériane et éthiopienne après les tentatives des autorités d’égaliser ces taux de change.
D’autres pays, comme l’Algérie, ont préféré continuer à laisser coexister ces deux marchés avec un différentiel de taux de change énorme. Cela continuera tant que le pays dispose d’importantes réserves de change que lui offrent ses exportations pétrolières et gazières. Mais un retournement de conjoncture avec une baisse significative des cours des hydrocarbures pourrait affaiblir cette politique et impacter négativement le dinar surévalué.
Globalement, sous l’effet des différents facteurs cités, de nombreuses monnaies africaines se sont dépréciées vis-à-vis du dollar américain en 2024. Les palmes de dépréciation reviennent à trois monnaies: le birr éthiopien, le naira nigérian et la livre égyptienne qui se sont dépréciées respectivement de -126,90%, -72,25% et -64,75%.
Pour le birr éthiopien, cette forte dépréciation résulte de l’abandon par le gouvernement éthiopien de sa politique de longue date de fixation du taux de change.
Lire aussi : Ethiopie: libéralisation du régime de change, le birr perd 30% de sa valeur
Cette décision des autorités éthiopiennes est dictée par la crise économique que traverse le pays suite à une conjonction de facteurs défavorables au cours de ces dernières années: Covid-19, crise Russie-Ukraine et ses impacts sur l’économie éthiopienne et la guerre au Tigré qui a impacté négativement le pays. Autant de facteurs qui ont contribué à la pénurie de dollars au niveau du marché intérieur et à la hausse du gap de change entre le marché officiel et le marché parallèle. Face à cette situation économique difficile, le gouvernement éthiopien s’est tourné vers le FMI et les d’autres institutions pour obtenir un important prêt de 10,7 milliards de dollars. Comme à son accoutumée, l’institution financière a exigé des réformes dont l’assouplissement des restrictions monétaires. Ayant accepté cette condition, en contrepartie d’un prêt du FMI de 3,4 milliards de dollars, la Banque centrale éthiopienne a annoncé que la valeur de la monnaie nationale, le birr, sera fixée dorénavant par le marché. Cette décision s’est traduite par une dévaluation du birr dont le cours est passé de 56,20 birr pour 1 dollar en début 2024 à 127,52 birr pour le même dollar à fin 2024, soit une dépréciation de 126,90%, après deux dévaluations de la monnaie en une dizaine de jours en août 2024.
La conséquence immédiate de cette forte dévaluation du birr combinée à la forte dépendance de l’Ethiopie vis-à-vis des importations s’est traduite par une flambée des prix, notamment de ceux des produits importés et/ou ceux produits à partir d’intrants importés.
Lire aussi : Nigeria: la pénurie de liquidités alimente la méfiance envers les points de vente bancaires informels
Outre l’Ethiopie, le naira nigérian et la livre égyptienne aussi se sont fortement dépréciés en 2024 sous des effets identiques. Les dévaluations des deux monnaies de ces deux grandes puissances économiques africaines sous l’effet des pénuries de devises et des volontés d’égaliser les taux de change des marchés officiel et parallèle ont entrainé de très fortes dépréciations du naira et de la livre égyptienne en 2024 de respectivement -72,25% et -64,75%. Au Nigeria, alors qu’il fallait 896 nairas pour 1 dollar en fin 2023, il en faut 1543,58 nairas pour le même dollar. Cette situation s’explique par les dévaluations du naira décidées par les autorités en février puis en juin 2024 dans le but de résorber un arriéré de devises handicapant, en supprimant le contrôle des devises étrangères, dans le but de relancer les transactions sur le marché officiel et d’unifier les taux de change du naira.
En dépit de ces dévaluations, le pays continue à faire face à un manque de devises et le marché parallèle reste vigoureux en dépit de la baisse du différentiel des taux entre les deux marchés.
En Egypte, après une énième dévaluation en mars 2024, la livre égyptienne s’est fortement dépréciée. Alors qu’il fallait 30,84 livres pour 1 dollar à fin 2023, il fallait débourser 50,81 livres pour le même dollar à fin 2024, soit une dépréciation de 64,75%.
Les effets de cette politique tardent encore à être palpables, même avec le soutien des pays du Golfe qui ont débloqué d’importants montants pour reconstituer les réserves en devises du pays et qui ont annoncé d’importants investissements.
Néanmoins, grâce aux prêts des institutions financières internationales et surtout aux soutiens des pays du Golfe, les réserves de change du pays ont fortement augmenté pour dépasser les 47 milliards de dollars à fin 2024.
Lire aussi : Egypte: la livre dévaluée de plus de 50% pour répondre aux critères du FMI
Au niveau des monnaies de ces trois pays, la crise économique et les pénuries de devises ont poussé les gouvernements à accepter les directives du FMI en libérant les changes dans le but d’égaliser les taux de change des marchés officiel et parallèle.
Ces importantes dépréciations ont eu comme conséquence des flambées des cours dans ces trois pays.
Au Nigeria, le taux d’inflation global s’est établi à 34,60% en novembre 2024, son niveau le plus élevé depuis 30 ans. Pire, l’inflation alimentaire a grimpé à 39,93% à la même date, en raison de la hausse des prix des denrées de base.
En Egypte le taux d’inflation en glissement annuel s’est établi en novembre 2024 à 23,7%, en baisse significative par rapport au record de 40,3% enregistré en septembre 2023. Cette décrue de la hausse des prix devrait se poursuivre, avec une projection d’inflation inférieure à 10% à fin 2025.
Le birr éthiopien a affiché la plus forte dépréciation vis-à-vis du dollar en 2024 en cédant -126,90%. Une situation qui résulte de la libéralisation des changes ayant entrainé une double dévaluation
du birr.. DR
Derrière ces trois monnaies, le cedi du Ghana a aussi poursuivi sa dépréciation en cédant -22,64% vis-à-vis du dollar avec un taux de change passant de 11,97 cedis pour 1 dollar à fin 2023 à 14,68 cédis pour le même dollar.
Le kwanza angolais qui était l’une des rares monnaies africaines à s’être appréciée en 2023 vis-à-vis du dollar américain n’a pas maintenu le cap en 2024 en cédant 9,54% de sa valeur vis-à-vis du billet vert.
Lire aussi : Le Zimbabwe adopte une nouvelle monnaie pour lutter contre l’hyperinflation
Les autres monnaies ont globalement affiché de bonnes résiliences vis-à-vis du dollar. C’est le cas notamment du dirham marocain (-1,77%), du dinar tunisien (-3,92%), du rand sud-africain (-3,33%), du pula botswanais (-6,20%)…
Le dirham du Maroc est l’une des monnaies africaines qui affiche la plus forte résilience vis-à-vis du billet vert. Au-delà de la solidité et de la stabilité des grandeurs macroéconomiques et du secteur exportateur de plus en plus diversifié (automobile, phosphates, agroalimentaire, aéronautique, offshoring…), la solidité du dirham tient au bon pilotage de la politique monétaire. Cette forte résistance à la baisse s’explique aussi par l’ancrage de la monnaie marocaine à un panier de monnaies comprenant les deux importantes devises mondiales: le dollar et l’euro.
Le franc CFA aussi s’est bien comporté vis-à-vis du dollar en cédant seulement -6,20% en 2024 à 630,16 fcfa pour 1 dollar, contre 593,33 fcfa pour le même dollar en fin 2023. Son bon comportement s’expliquant par son indexation à l’euro avec une parité fixe qui confère une certaine stabilité à cette monnaie commune de 15 pays africains, tant décriée ces dernières années par les nationalistes et africanistes.
En Afrique de l’ouest, notamment au Nigeria, le fcfa est devenue, malgré les critiques, une «devise refuge» pour certains opérateurs économiques.
Si certaines monnaies ont affiché une forte résilience vis-à-vis du dollar, d’autres ont mieux fait en s’appréciant vis-à-vis du billet vert américain. Parmi les monnaies des grandes économies, la palme est revenue au shilling kenyan qui s’est apprécié de 17,68% vis-à-vis du dollar en 2024 avec un taux de change de 128,37 shilling pour 1 dollar à fin 2024, contre 155,94 shillings pour le même dollar en fin 2023. Il s’agit de la première appréciation de la monnaie kenyane par rapport au dollar américain en 4 ans. Le rachat d’une partie d’un eurobond de 2 milliards de dollars par le gouvernement du Kenya en février 2024 a renforcé la confiance des investisseurs et a impacté positivement sur le cours de la monnaie kenyane. Cette appréciation du shilling qui reflète la stabilisation de la monnaie et le sentiment positif des investisseurs ont contribué au raffermissement de la monnaie qui a eu un impact positif sur les importations des opérateurs économiques du pays et sur le niveau du taux d’inflation qui s’est établi à 3% en décembre 2024, soit l’un des plus bas du continent.
Lire aussi : Algérie. Hausse vertigineuse du PIB: les statistiques artificielles ne résistent pas à l’épreuve des chiffres réels
D’autres monnaies aussi se sont légèrement appréciées vis-à-vis du dollar américain en 2024. C’est le cas de shilling ougandais (+2,95%), du dinar algérien (+2,20%), du shilling tanzanien (+1,25%),…
Toutefois, pour le cas du dinar algérien, il faut souligner que le véritable baromètre du taux de change du dinar algérien est celui du marché parallèle pour lequel les cotations se font quotidiennement au niveau du Square Port Saïd. Sur ce marché, le dinar s’est déprécié de 8% vis-à-vis du dollar.
Rappelons que le gap entre le marché officiel et le marché parallèle est très important en Algérie. Alors que le 31 décembre 2024, 1 dollar s’échangeait officiellement contre 135,32 dinars, au Square Port Saïd d’Alger, la plus importante place du marché informel de change en Algérie, le même dollar était coté à 235,5 dinars, soit un gap de change de plus de 100 dinars!
Evolution des taux de change des principales monnaies africaines face au dollar en 2024
Monnaies | Pays | Taux de change pour 1 dollar à fin 2024 | Variation du taux de change 2024/2023 |
---|---|---|---|
Birr | Ethiopie | 127,52 birr | -126,90 % |
Naira | Nigeria | 1.543,58 nairas | -72,25 % |
Livre égyptienne | Egypte | 50,81 livres | -64,75 % |
Cedi | Ghana | 14,68 cedis | -22,64 % |
Kwanza | Angola | 907,00 kwanzas | -9,54 % |
Franc congolais | RD Congo | 2.868,50 francs | -8,20 % |
Franc CFA | Uemoa et Cemac | 630,16 francs cfa | -6,20 % |
Dinar tunisien | Tunisie | 3,18 dinars | -3,92 % |
Rand sud africain | Afrique du Sud | 18,90 rands | -3,33 % |
Dirham | Maroc | 9,78 dirhams | -1,77 % |
Shilling tanzanien | Tanzanie | 2.444,98 shillings | +1,25 % |
Dinar algérien | Algérie | 135,32 dinars | +2,20 % |
Shilling ougandais | Ouganda | 3.636,12 shillings | +2,95 % |
Shilling kenyan | Kenya | 128,37 shillings | +17,68 % |
Une situation qui rappelle exactement celle qui prévalait en Egypte, au Nigeria et en Ethiopie avant que ces pays ne décident de libéraliser leurs marchés des changes pour égaliser les taux de change des marchés officiel et informel. L’Algérie quant à elle s’arcboute sur ce taux de change artificiel qui ne reflète en rien une quelconque bonne santé de son économie.
Ainsi, globalement, en 2024, la tendance est à la dépréciation des monnaies africaines vis-à-vis du dollar. Et les conséquences sont nombreuses au niveau des pays. Si la dépréciation peut rendre les exportations des pays concernés plus compétitives, globalement les pays africains qui exportent des matières premières n’en tirent pas vraiment des avantages notables.
Au contraire, les dépréciations ont plusieurs conséquences néfastes. D’abord, les fortes dépréciations sont des sources inflationnistes au niveau de ces pays en ce sens que les importateurs des pays concernés doivent dépenser plus en monnaie locale pour acheter des dollars nécessaires aux importations des biens (plus des deux tiers des importations du continent sont libellées en dollar) avant de répercuter ces hausses sur les consommateurs.
Ensuite, ces dépréciations ont tendance à entretenir la persistance d’un marché parallèle de change avec des gaps de taux de change élevés.
Par ailleurs, les dettes des pays africains étant grandement libellées en dollar américain, les dépréciations des monnaies locales se traduisent par des renchérissements des services de la dette exprimés en monnaies locales.
De même, les dépréciations des taux de change se traduisent aussi par des baisses des richesses des pays exprimées en dollars. Ainsi, le Nigeria a perdu sa place de première économie africaine à cause de la forte dépréciation de sa monnaie vis-à-vis du dollar, au détriment de l’Afrique du Sud dont la monnaie à mieux résisté face au billet vert.
Lire aussi : Vins et spiritueux: le Nigeria dévalue sa monnaie, Pernod Ricard trinque
Enfin, ces fortes dépréciations des monnaies de certains pays finissent par décourager les investisseurs étrangers qui voient leurs bénéfices chuter fortement à cause des pertes de changes considérables. Une situation qui explique de nombreux désinvestissements enregistrés au Nigeria ces deux dernières années.