Alors qu’on s’attendait à une annonce de réduction des forces françaises de Barkhane, le président Emmanuel Macron a annoncé la fin de cette opération Barkhane au Sahel, dans le cadre d’une «transformation profonde» de la présence militaire de la France dans la région. Une annonce intervenue au lendemain d’une importante réunion du conseil de défense. Le calendrier et les modalités de la fin de l’opération seront annoncés fin juin, selon le président français, lors d’une conférence de presse à l’Elysée.
Pourtant, lors d’un récent sommet, tenu mi-février 2021 à N'Djamena avec les partenaires du G5 Sahel qui regroupe le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad, le président Macron avait repoussé la décision de retrait des forces françaises en annonçant que la France ne comptait pas réduire ses effectifs «dans l’immédiat».
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Pourquoi Paris a changé radicalement son programme? Plusieurs facteurs ont joué un rôle important dans cette décision. D’abord, depuis quelques années, l'Etat français souhaitait réduire ses effectifs, en impliquant davantage les pays du G5-Sahel et d'Europe. Toutefois, l’absence d’engagements, aussi bien des partenaires européens que des pays sahéliens, avait poussé la France a augmenté ses effectifs afin de faire face à la montée des attaques djihadistes.
Ensuite, il y a l’impopularité grandissante de la force Barkhane, qualifiée de plus en plus de force d’occupation au Mali. Si les forces françaises des opérations Serval, puis Barkhane ont permis de récupérer et de garder dans son giron la partie nord du pays, les Maliens n’excusent pas les Français d’avoir permis aux rebelles touaregs de contrôler la ville de Kidal. En plus, malgré la présence de plus de 5.100 soldats français, les attaques djihadistes semblent connaître une certaine recrudescence, en dépit des résultats obtenus avec les éliminations de nombreux dirigeants djihadistes.
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Par ailleurs, avec l’approche des élections présidentielle de 2022, le président Macron annonce la fin d’une opération au Sahel qui est coûteuse en vies humaines avec 50 soldats tués depuis 2013, très lourde financièrement et qui suscite des interrogations croissantes en France. La raison électorale n’est pas à écarter.
Toutefois, l’élément qui semble avoir pesé sur la balance est l’annonce de l’arrivée des forces russes au Mali. Beaucoup d’indices semblent le corroborer. D’après des sources bien informées, les négociations entre les autorités militaires de la Transition et les Russes seraient l’une des raisons du coup de force qui a permis d’évincer les autorités civiles de la Transition qui n’y étaient pas favorables.
En effet, constatant l’échec de la lutte contre les djihadistes depuis une décennie, malgré la forte présence des armées occidentales, les autorités militaires maliennes semblent vouloir se tourner vers la Russie, à l’instar de la Centrafrique. A ce titre, il est question de l’arrivée d’environ 2.000 soldats ou para-militaires russes au Mali afin de soutenir les autorités dans la sécurisation du pays, sachant que jusqu'à présent, les stratégies adoptées ont échoué et ce, malgré la présence des forces française de Barkhane, de la Minusma de l’ONU et des forces tchadiennes.
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C’est cette éventuelle arrivée des Russes dans ce pré-carré français qui aurait poussé les autorités françaises a annoncé dans un premier temps, la suspension des opérations militaires conjointes avec l’armée malienne, avant d'annoncer ce jeudi 10 juin, la fin de l'opération Barkhane, même si le président Macron a justifié cette décision autrement. Il a déclaré le 29 mai, au Journal du dimanche, qu’il: «ne resterai pas aux côtés d’un pays où il n’y a plus de légitimité démocratique, ni de transition». Certains observateurs y avaient vu le préambule du retrait des soldats français du Sahel.
En clair, après la Centrafrique où les Russes sont en train de «chasser» les Français, la France semble décider à prendre les devants et à mettre les autorités de la Transition malienne devant leurs responsabilités, sachant qu’un retrait des forces françaises pourrait semer le chaos dans certaines régions du fait de l’incapacité des forces maliennes à faire face aux djihadistes.
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Rappelons que depuis le début de la coopération militaire entre le gouvernement centrafricain de Faustin-Archange Touadéra, il y a trois ans, la Russie est de plus en plus présente dans le pays. Les Russes assurent la protection des mines, l’instruction militaire et la sécurité de la présidence. En gros, ils ont proposé un package sécuritaire au président centrafricain en déployant un millier de soldats dont essentiellement des membres de la société militaire privée Wagner appartenant à un proche de Vladimir Poutine, Evgueni Prigojine.
En tout cas, l’arrivée des Russes a permis au gouvernement de Bangui de stopper la tentative d’une coalition de rebelles centrafricains de s’emparer de la capitale, Bangui, en décembre dernier. Elle a permis aussi aux forces gouvernementales de reprendre du terrain aux groupes armées et la liquidation de quelques dirigeants de groupes rebelles.
Une situation qui arrange aussi les Russes en compétition avec les Français sur de nombreux fronts: Soudan, Centrafrique,... et bientôt au Mali.
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A travers ces présences, la Russie, qui a marqué son retour économique et politique en Afrique, après plusieurs décennies de quasi absence suite à la dislocation de l’Union soviétique, souhaite également disposer de présences militaires visibles sur le continent. Ainsi compte-t-elle installer des bases militaires dans au moins 5 pays africains.
Il faut dire que les les Russes disposent d'atouts qui intéressent les dirigeants maliens, notamment l’expertise sécuritaire. Et presque la moitié des ventes d’armes russes durant la période 2014-2019 sont allées à l’Afrique, avec l’Algérie comme premier client.
En contrepartie, Moscou pourraient exploiter les mines dont certains pays africains regorgent sans possibilité de les exploiter eux-mêmes, à cause de l’insécurité. C’est le cas de la Centrafrique et du Mali. La Centrafrique a ainsi déjà accordé des permis d’exploitation minière (or et diamant) à la Russie.
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Le même scénario pourrait se reproduire au Mali avec l'octroi de permis d’exploitation de mines d’or et d’autres minerais qui ne sont pas exploités depuis une décennie à cause de la situation sécuritaire.
Avec la Centrafrique et bientôt le Mali, Paris craint la fin des relations exclusives avec certains pays de ce que l’on appelle le pré-carré français. Mécontente, la France a fini par geler son aide budgétaire et suspendu sa coopération militaire à la Centrafrique. C'est au tour du Mali,...