Rien ne va plus entre Bamako et Paris qui entretiennent des relations tendues depuis les premiers contacts entre la junte militaire qui dirige le pays et les forces Wagner russes. Après l’officialisation des contacts entre les deux parties, les menaces de retrait des forces françaises et les accusations d’«abandon» prononcées par le Premier ministre de transition malien Choguel Maïga à la tribune des Nations Unies, les réactions françaises fusent de partout.
Après les ministres français des Affaires étrangères et des Armées, c’est le président français Emmanuel Macron qui a fini par réagir en personne, en qualifiant de «honte» les déclarations du Premier ministre malien. Il s’est dit «choqué» par ces propos «inacceptables» et «inadmissibles». Pour le Président, cette déclaration «déshonore ce qui n’est même pas un gouvernement», issu de «deux coups d’Etat». En clair, le président français tend à nier la légitimité du gouvernement mis en place par la junte militaire.
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Du côté malien, le journal Malikilé explique que «(Paris) n’a peut-être pas compris que quelque chose est en train de changer au Mali». En réalité, la junte militaire n’a fait qu’exécuter la volonté populaire manifestée depuis quelques années face aux forces françaises. En effet, l'armée française, qui a joué un rôle important en stoppant l’avancée des jihadistes en 2012, avait interdit aux forces armées maliennes de s’aventurer à Kidal et ses alentours après la reconquête des régions du nord aux jihadistes en 2012-2013. Ainsi, le nord du pays avait carrément échappé aux Maliens. Ce qui a d’emblée provoqué la méfiance d’une partie des Maliens à l’égard des dirigeants français.
De plus, et malgré la présence d’une importante force militaire française lourdement armée dans le cadre de Barkhane, avec plus de 5.200 soldats et leurs moyens de surveillance, les Maliens n’arrivent pas à comprendre pourquoi le terrorisme gagne du terrain de jour en jour.
Celui-ci, cantonné jadis au nord et au centre du pays est désormais fortement présent au sud. Les dernières attaques contre les camionneurs marocains et un convoi minier sur une route reliant le sud de la Mauritanie à Bamako, la capitale, montre clairement que les terroristes ont gagné du terrain.
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Comment la forte présence des forces françaises, européennes, des casques bleus de l’ONU estimés à 13.000 militaires en armes, les effectifs du G5 Sahel composés essentiellement des forces tchadiennes et des forces armées maliennes n’arrivent pas à venir à bout des terroristes estimés à quelques centaines de membres.
Après une décennie sans succès contre les terroristes, les Maliens souhaitent donc tenter une autre approche qui semble réussir dans d’autres pays (Syrie et Centrafrique). Ainsi, Bamako compte faire venir 1.000 paramilitaires de Wagner pour assurer la sécurité des dirigeants et former l'armée malienne. Toutefois, la formation est surtout un écran pour cacher l'implication de ces milices dans les combats, comme c'est le cas en Centrafrique où elles ont joué un rôle crucial lors de l'offensive lancée par les rebelles sur la capitale Bangui à la veille des dernières élections présidentielles. Elles ont aussi contribué fortement à la récupération de certaines régions occupées jusqu'alors par les dirigeants de groupes armés.
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L'appel aux forces Wagner est d'autant plus justifié que pour beaucoup de Maliens, la France joue un double jeu. Certains vont jusqu’à penser que derrière cette situation chaotique depuis une décennie se cache des velléités non affirmées sur les richesses du sous-sol malien: or, bauxite, phosphate, granite, uranium, pétrole, gaz, fer, terres rares, etc. Si l’or se trouve globalement au sud et représente presque 80% des recettes d’exportations du Mali, les potentiels richesses en pétrole et gaz, fer, phosphate, uranium, terres rares et granite se trouveraient dans le nord du pays.
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De quoi susciter des convoitises entre puissances mondiales. Des potentialités non encore mis à jour à cause des instabilités que connait le nord malien depuis des décennies avec les rébellions touaregs qui provoquent la méfiance des potentiels investisseurs.
Une chose est sûre, avec l’arrivée prochaine des paramilitaires russes, le Mali devient le théâtre de luttes d’influences entre puissances mondiales, et surtout entre la Russie et la France. Et pour les Russes, c’est une aubaine, eux qui sont absents, géopolitiquement et géostratégiquement parlant, de la scène ouest-africaine. D'ailleurs, ils viennent de livrer 4 hélicoptères de type Mi-171, des armes et des munitions.
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Après avoir mis les pieds en Afrique centrale, plus précisément en Centrafrique où les mercenaires de Wagner sont bien implantés dans ce qui était considéré auparavant comme le pré-carré des Français, l’installation des Russes au Mali sera un coup dur pour la France. Et si les forces Wagner arrivent à chasser les terroristes et à ramener la paix, cela risque de faire tâche d'huile pour le reste de cette région et partout en Afrique où les terroristes continuent à faire la loi, comme c’est le cas au Burkina Faso voisin, au Niger, en Somalie…
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Et sur ce point, les Russes de Wagner, soutenus bien évidemment par Moscou, ont des atouts. Outre le fait qu’ils recourent à une guerre non-conventionnelle, comme ce fut le cas en Syrie et en Centrafrique, où leur brutalité fait l’unanimité, les Russes pourront aussi couper les ponts reliant les terroristes à l’Algérie où ils reçoivent soutien et protection en mettant la pression sur leur partenaire du nord du Mali, qui joue aussi un jeu trouble dans l’instabilité de cette zone.
La question qui se pose est de savoir jusqu’où ira Paris face à l’arrivée prochaine des paramilitaires russes. Une chose est certaine, la junte qui bénéficie pour le moment d’un soutien populaire indéniable à ses cartes en main. Et contrairement aux régimes civils faciles à remplacer, il sera difficile de disqualifier les jeunes militaires en place au Mali. Et l’arrivée prochaine des forces Wagner, et donc de la Russie, assurera davantage l’assise des hommes en kaki qui préparent activement la prolongation de la transition démocratique malienne au-delà des 18 mois annoncés au départ. Un délai qui est désormais impossible à tenir, selon le calendrier du gouvernement de Choguel qui a annoncé dernièrement que les élections ne sont pas la priorité de son gouvernement. Les prochaines semaines seront édifiantes…