En informatique, quand le nombre 0.1 suit le nom d'un logiciel, c'est qu'il s'agit de la version d'essai dudit programme. En matière économique, mais également concernant la géopolitique régionale et l'affaire du Sahara marocain, c'est là où en est l'Algérie.
Pascal Lamy, ancien DG de l'Organisation mondiale pour le commerce (OMC) et actuellement à la tête du think tank Jacques Delors, n'y va pas avec le dos de la cuillère, dans son analyse concernant les maux qui minent l'Algérie.
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C'est un journaliste du site Tout sur l'Algérie (TSA) qui l'interpelle sur le fait que le Maroc a "su se défaire de la géopolitique qui paralyse le développement économique du Maghreb (principalement à cause du dossier du Sahara occidental) pour élaborer une stratégie marocaine en Afrique et se rapprocher de l’Union africaine". Pendant ce temps, l'Algérie est victime de son immobilisme. Perche tendue ou question ouvrant un débat ? Peu importe, Pascal Lamy tranche dans le vif.
Deux versions différentes d'un logiciel
"C’est une question de logiciel, de culture, qui a mené les deux pays, le Maroc et l’Algérie, sur deux chemins différents", affirme-t-il, avant d'expliciter son propos et d'évoquer, tour à tour, la malédiction du pétrole dont l'Algérie est victime et la grande stabilité, qui est l'un des points forts du Maroc. En effet, pour lui, "le Maroc n’a pas de rente énergétique, ce qui, d’un certain point de vue, lui a bien servi". C'est ce qui explique l'approche volontariste du royaume chérifien pour développer "pas à pas une approche stratégique faite de géoéconomie, de l’ouverture, et de géopolitique européenne au nord, et africaine au sud". Devant l'inanité du Maghreb, aujourd'hui le Maroc s'oriente vers la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) comme la Tunisie vers le Marché commun de l'Afrique de l'Est et l'Afrique Australe (COMESA).
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Quant à l'Algérie, assise sur une confortable rente pétrolière, elle n'a pas su faire comme son voisin d'Afrique du Nord en diversifiant son économie et en misant sur une ouverture. L'Algérie pense-t-elle, peut-être, que son autarcie lui permettra de se tirer d'affaire? Pour, l'expert de l'économie internationale la différence entre le Maroc et l'Algérie ressemble à s'y méprendre avec celle entre l'Allemagne et la France. Car, la France se pose en victime de la mondialisation, alors que l'Allemagne apprend à en tirer profit. La France "est le pays dans le monde qui est le plus réticent à la globalisation". Ajoutant que, "l’attitude française à l’égard de la globalisation consiste à dire que le problème c’est le monde et non la France". Cependant, si elle traîne un taux de chômage autour de 10%, contre 5% pour l'Allemagne, ce n'est certainement pas la faute de la mondialisation, estime-t-il.
Sahara: un raisonnement hérité de la colonisation
Il y a également un autre point qui fait une grande différence, entre le Maroc et l'Algérie. Il s'agit notamment, de la stabilité politique. Certes, comme partout, les tensions politiques existent au Maroc, mais elles n'ont jamais "dégénéré en déflagration comme en Algérie".
L'interview ne saurait se terminer sans que Pascal Lamy ne soit invité à parler du problème du Sahara. Pour lui, ce problème est une aberration héritée de la France coloniale. Cela laisse clairement entendre que les dirigeants algériens sont restés prisonniers d'une idéologie des colons français qu'ils ont eux-mêmes combattus. "L’affaire du Sahara occidental, cette idée que l’Algérie a besoin d’un accès à l’atlantique, est une idée héritée de la France coloniale", dit clairement Pascal Lamy.