Pénurie de carburants en Afrique: le faible nombre de raffineries en activité y est pour beaucoup

DR

Le 09/06/2022 à 18h01, mis à jour le 09/06/2022 à 18h07

Des pénuries et hausses des prix des carburants sont constatées un peu partout en Afrique. Une situation préjudiciable aux économies du continent. Si la guerre Russie-Ukraine est pointée du doigt, le cœur du problème est plus complexe. Le continent manque cruellement de raffineries en activité.

La pénurie et la flambée des prix des carburants touchent presque tous les pays du continent, bien qu'à des degrés différents. De Dakar à Nairobi, de Bamako à Kinshasa en passant par Lagos, le spectacle de longues files d’attente devant les stations-service pour faire le plein d’essence marquent le quotidien de nombreux Africains. Si les hausses des prix des carburants constatées à travers le monde sont logiques dans un contexte de hausse des cours du baril de pétrole et du fret maritime, aggravée par la crise Russie-Ukraine, en Afrique, cette situation s’explique aussi et surtout par le très faible niveau de l’offre de carburants produits sur le continent, dû au nombre réduit de raffineries et de leurs faibles capacités de traitement.

En tout, on compte autour de 48 raffineries de pétrole en Afrique. Mais presque le tiers de ces unités sont à l’arrêt, alors que d’autres fonctionnent très souvent en deçà de leurs capacités de traitement. L’Egypte, avec une dizaine de raffineries d’une capacité totale de traitement d’environ 650.000 barils/jour dispose du parc le plus important du continent, devant des pays comme l’Algérie (6 unités), la Libye (5 unités), le Nigeria (4 unités), l’Afrique du Sud (4 unités) ou encore le Soudan (3 unités). Seulement 15 raffineries du continent ont une capacité de traitement théorique dépassant les 100.000 barils/jour. La production de carburants est donc faible, et ce, en dépit du fait que le continent compte de nombreux producteurs de pétrole.

Toutes les raffineries installées en Afrique subsaharienne ont une capacité de traitement théorique de 1,4 million de barils/jour. Toutefois, elles produisent moins de 30% de cette capacité, pour diverses raisons: arrêts multiples liés à l’entretien des installations, problèmes d’approvisionnement en brut, problème de trésorerie...

Conséquence: le continent africain est très dépendant des importations de carburants, notamment du marché européen. L’Afrique importe ainsi presque 50% de ses besoins en produits pétroliers raffinés. Paradoxalement, de nombreux pays africains exportent du pétrole brut pour importer du raffiné. C’est le cas du premier producteur de pétrole du continent, le Nigeria, qui importe presque la quasi-totalité de ses besoins en carburant (essence, gasoil, kérosène, etc.). C’est aussi le cas de l’Algérie, qui importe une partie de ses besoins en carburant pour satisfaire une demande qui croît beaucoup plus rapidement que sa production de produits raffinés.

A cela il faut aussi ajouter certains pays africains qui sont dépendants à 100% des importations de carburants, faute de ressources pétrolières et de raffineries.

Ensuite, de nombreuses raffineries de pétrole implantées au niveau du continent sont à l’arrêt. C’est le cas de la raffinerie de la Société anonyme marocaine de l’industrie du raffinage (Samir), l’une des toutes premières raffineries de pétrole du continent africain, dont la construction a été achevée en 1961, et l’unique raffinerie du Royaume, à l’arrêt depuis août 2015. En 2012, le raffineur avait inauguré une nouvelle unité de distillation de pétrole brut d’une capacité de traitement de 80.000 barils/jour, portant sa capacité de traitement totale à 200.000 barils/jour.

En faillite du fait de la mauvaise gestion, cela fait bientôt 7 ans que la Samir, mise en liquidation judiciaire en 2016, est à l’arrêt. Or, avant sa mise à l’arrêt, la Samir approvisionnait le marché marocain à hauteur de 64% de ses besoins en produits raffinés (47% pour le gasoil, 60% pour le fuel, 70% pour le super et 80% pour le jet). Le raffineur jouait, en plus, un rôle fondamental dans le stockage des produits pétroliers du fait qu’il détenait plus de 50% des capacités de stockage du pays.

L’Etat marocain a réussi à obtenir de la justice la location des bacs de stockage de la Samir mi-mai dernier. Avec des capacités de stockage de 2 millions de m3, ces 280 cuves permettent au royaume de faire passer son stock stratégique de 30 à 90 jours. Ce qui est essentiel dans le contexte actuel de flambée des cours de l’or noir sur le marché mondial. Parallèlement, la Samir avait commencé à exporter ses produits raffinés en Afrique, notamment au niveau de la région ouest-africaine, avec 1,32 million de tonnes exportées en 2013. Ainsi, depuis l’arrêt de la Samir, le Maroc dépend des importations de produits raffinés, et l’enjeu de la souveraineté énergétique du royaume se pose avec acuité.

Pour sa part, le Nigeria est le pays qui compte le plus de raffineries de pétrole à l'arrêt au niveau du continent; les 4 unités dont dispose le pays sont quasiment à l’arrêt. Le premier producteur de pétrole africain s’est ainsi paradoxalement retrouvé, durant plusieurs semaines, sans carburant. Or, en l’absence d’une production d’électricité suffisante, beaucoup d’unités industrielles et de ménages recouraient au carburant. Conséquence: le prix du litre du gasoil est rapidement passé de 350 nairas avant la crise Russie-Ukraine à 545 nairas, frôlant même les 800 nairas dans certaines régions. Du carburant importé souvent des pays voisins (Bénin, Niger, Tchad…). Même le kérosène a manqué, poussant les entreprises qui approvisionnent le marché à augmenter très fortement leurs prix. En riposte, les compagnies aériennes avaient menacé de suspendre leurs vols.

Les autorités avaient justifié cette pénurie de carburants par l’importation d’une grande quantité de carburant contaminé (frelaté) et le retard des cargos transportant le carburant à cause de la crise en Ukraine. Pourtant, la vérité est ailleurs. La véritable cause de cette pénurie est le quasi arrêt des 4 raffineries de la compagnie nationale des hydrocarbures (Nigerian National Petroleum Corporation, NNPC) -1 à Kaduna, 2 à Port Harcourt et 1 à Warri-, d’une capacité totale de 445.000 barils/jour, en raison du manque d’entretien, de l'obsolescence des installations, de la mauvaise gestion et de la corruption qui gangrène le pays. Or, la consommation d’essence du pays est estimée à environ 40 millions de litres par jour. Autrement dit, le premier producteur africain de pétrole exporte du brut et importe la quasi-totalité de ses besoins en hydrocarbures, ses raffineries ne traitant que 1% de sa production qui dépasse 1,3 million de barils/jour. Notons qu'en 2021, les importations de carburant avaient atteint 9,6 milliards de dollars.

Cette situation a conduit au développement de nombreuses petites raffineries clandestines, très polluantes et surtout très dangereuses. L’explosion de l’une d’entre elles en avril dernier a d'ailleurs fait plus de 100 morts. Afin de mettre fin à la dépendance à l’égard des importations et de réduire les pénuries de produits pétroliers, le gouvernement nigérian a lancé un programme de modernisation des quatre raffineries publiques du pays.

Au Cameroun voisin, l’unique raffinerie, la Société nationale de raffinage (Sonara), a suspendu ses activités en 2019 suite à un incendie qui a ravagé ses installations. Il faut 250 milliards de francs CFA pour reconstruire l’installation. Du coup, le pays importe la totalité de ses besoins en produits pétroliers raffinés. L’Etat a annoncé son engagement à reconstruire la raffinerie dès cette année, et une dotation de 47,88 francs CFA par litre de produits pétroliers consommé à la pompe est prélevé pour soutenir la réalisation du projet. Ce qui a permis d’engranger environ 200 milliards de francs CFA à fin 2021. Et au-delà de l’impact de l’incendie, la Sonara cumulait, à fin décembre 2021, de lourdes dettes vis-à-vis des banquiers (261 milliards de francs CFA) et des traders (371 milliards de francs CFA).

Au Ghana, la raffinerie de pétrole de Tema, d’une capacité de traitement de 45.000 barils/jour, est aussi à l’arrêt suite à l’explosion d’une unité de traitement en 2017.

Néanmoins, la situation devrait évoluer dans les mois à venir. Et la crise Russie-Ukraine devrait pousser de nombreux pays africains à penser davantage à leur souveraineté énergétique. Ceci, d’autant qu’avant même l'avènement du conflit, de nombreux projets de construction de raffinerie avaient été lancés au niveau du continent.

L’Algérie, qui importe du carburant malgré ses 6 raffineries en activité, s’est engagée en 2017 à construire 4 nouvelles unités pour faire face à la demande croissante. La consommation locale est en effet passée de 5,6 millions de tonnes en 2000 à 14,4 millions de tonnes en 2019, soit une croissance annuelle de 5,1% durant cette période, poussant le pays à importer une partie importante de ses besoins en carburants.

Cela est aussi valable pour le second producteur africain de pétrole, l’Angola, qui ne dispose que d’une seule raffinerie de pétrole et qui importe plus de 80% de ses besoins en carburant.

Au Ghana aussi, les autorités, suite aux dernières découvertes de pétrole, ont annoncé le lancement de l’extension de la raffinerie de Tema et la construction d’une seconde raffinerie afin de faire face à la hausse de la demande locale et régionale.

Toutefois, le projet le plus ambitieux, et qui devrait impacter de nombreux pays, reste celui que développe le Nigérian Aliko Dangote. L’homme le plus riche d’Afrique avait lancé la construction d’une très grande raffinerie de pétrole, la plus grande d’Afrique et la 6e plus grande au monde, dotée d’une capacité de traitement de 650.000 barils/jour, soit presque la capacité des 10 raffineries de pétrole que compte l’Egypte.

D’un coût compris entre 15 et 19 milliards de dollars, cette raffinerie permettra de satisfaire la demande en carburant du Nigeria et des pays de la sous-région. Elle devrait démarrer cette année avec une production de près de 540.000 barils de pétrole/jour, avant d'atteindre sa pleine capacité en 2023. De plus, selon la Banque africaine de développement, la raffinerie d’Aliko Dangote devrait ramener les importations africaines de produits pétroliers à 36%, contre 46% actuellement.

Par Moussa Diop
Le 09/06/2022 à 18h01, mis à jour le 09/06/2022 à 18h07