Véhicules d’occasion: quand l’Europe fourgue ses poubelles à l’Afrique

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Le 23/09/2019 à 15h36, mis à jour le 23/09/2019 à 15h38

Entre 5 et 6 millions de véhicules de seconde main sont importés en Afrique chaque année. Des voitures poubelles qui sont souvent sources de pollution, d'accidents, de maladies, tout en plombant le développement des industries automobile du continent. Certains pays commencent toutefois à réagir.

Si le marché des véhicules neufs se chiffre autour de 1 million d’unités vendues par an en Afrique, dont 45% sur le marché sud-africain, celui des véhicules d’occasion, au contraire, connaît une dynamique certaine.

En effet, entre 5 et 6 millions de véhicules d’occasion sont vendus cahque année en Afrique, soit 5 à 6 fois le marché du neuf.

Hormis les marchés sud-africain et marocain, presque pour tous les autres pays, le marché de ces véhicules de seconde main se positionne de loin devant celui du neuf. 

C’est notamment le cas du marché de la première puissance économique du continent, le Nigeria.

Les véhicules particuliers d’occasion y représentent plus de 90% des ventes annuelles de voitures.

Ce sont ainsi entre 450.000 et 600.000 voitures de seconde (voire de troisième main) qui entrent annuellement dans ce pays. Plus de 50% des véhicules d’occasion vendus au Nigeria sont de la marque Toyota.

Toutefois, on y trouve aussi des voitures françaises, comme les Renault Megane Turbo de 1999 ou encore les Peugeot 405, dont la production est arrêtée en France depuis 1997, voire des Allemandes, telles les Audi 100 de 1993, etc. 

Idem pour le Kenya où 85% des achats de véhicules concernent des voitures d’occasion importés. Au Sénégal, pour un marché de 33.000 véhicules vendus en 2014, seulement 3.000 étaient neufs, soit à peine 10% des achats de voitures de l’année.

Pour les voitures d’occasion venant du marché européen, soit 3 à 4 millions de véhicules par an, le quart de ce commerce passe par le port d’Anvers, la Belgique étant devenue une plaque tournante de ce commerce entre l’Europe et l’Afrique, où les vides règlementaires permettent d'importer un peu partout en Afrique des véhicules aux technologies obsolètes et très polluantes.

Plusieurs facteurs expliquent l’ampleur de ce marché. D’abord, il y a l’existence d’une forte offre européenne et asiatique de voitures d‘occasion.

Dans ces pays, les règlementations sur l’âge des véhicules en circulation et les politiques de renouvellement des parcs mis en place par les constructeurs font que les vieilles voitures n’y ont plus qu'une seule place: la casse.

En conséquence, certains trouvent qu'il est plus lucratif d’expédier ces vieux véhicules en Afrique, où le taux de motorisation est encore faible: à peine 50 voitures pour 1.000 habitants.

En Suisse, chaque année, ce sont plus de 40.000 véhicules destinés à la casse qui disparaissent de manière mystérieuse après leur retrait de la circulation.

Ils se retrouvent presque tous sur les routes africaines, où ils sont parmi les plus prisés, car étant généralement bien préservés, grâce à l’état des routes helvétiques et à leur entretien.

C’est ainsi que s’est développé tout un réseau de trafic de voitures d’occasion avec la bénédiction des autorités de certains pays qui en ont fait un véritable business, et une source de recettes pour certains Etats africains.

Au Bénin, par exemple, 25.000 véhicules d’occasion arrivent au port de Cotonou chaque semaine en provenance d'Europe et d'Asie, avant d’être répartis dans l'ensemble de la sous-région: au Nigeria, au Niger, au Tchad, au Mali, au Burkina Faso, ou encore, et entre autres, en Centrafrique.

Ce business florissant, entre les mains des cartels des Libanais et Yorubas (une ethnie présente au Nigeria et au Bénin), génère jusqu’à 10% du PIB du pays. 

Ensuite, il y a le faible pouvoir d'achat de la population, qui fait que la population ne peut acquérir de véhicules neufs, par définition coûteux.

Par ailleurs, le système de crédit bancaire avec des offres dédiées à l’automobile n'est pas développé, et les taux pratiqués par les banques sont souvent très élevés, donc prohibitifs.

Enfin, l’absence d’une industrie automobile au niveau du continent est un facteur non négligeable.

Hormis l’Afrique du Sud et le Maroc, qui produisent quasiment 90% des véhicules montés en Afrique, la production de voitures est négligeable dans tous les autres pays africains.

A titre d’exemple, le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique avec environ 200 millions d’habitants, ne produit pas plus de 30.000 véhicules par an.

L’Afrique est donc aujourd’hui inondée par les véhicules d’occasion: presque 9 voitures sur 10 circulant sur le continent sont des voitures achetées de seconde main d’Europe, d’Asie, voire d’Amérique.

Les conséquences de ces importations sont désastreuses: ces voitures, qui ont roulé plus d’une décennie sur un autre continent, parfois plus, et qui étaient censées aller à la casse sont, ni plus ni moins, de véritables poubelles ambulantes. 

Elles sont donc à l’origine de nombreux accidents, et font des morts sur les routes d'Afrique, à cause de la vétusté de ce parc automobile visiellisant. Elle sont aussi sources d'une pollution inquiétante dans les grandes métropoles africaines, mais aussi de maladies liées à la qualité de l’air, du faiut de leurs émanations. 

Selon le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), basé à Nairobi, au Kenya, «le trafic routier est à l’origine de 90% de la pollution de l’air dans les villes en pleine explosion démographique». C’est d'ailleurs notamment le cas de la capitale kenyane, dont la population augmente rapidement, et pourrait atteindre entre 8 et 12 millions d’habitants d’ici 2030, et dont le parc automobile augmente annuellement de 12%.

Par ailleurs, les importations de voitures de seconde main ont tué l’industrie automobile naissante de plusieurs pays.

C’est, par exemple, le cas du Nigeria. Alors que ce pays assemblait environ 150.000 unités par an jusque dans les années quatre-vingt, les importations de véhicules d’occasion en provenance du Japon, notamment, ont réduit à néant l’industrie locale naissante.

Aujourd’hui, toutes les unités de montage du pays ont bien du mal à sortir de leurs chaines à peine 30.000 unités, à cause d’un marché inondé par les véhicules d'occasion, notamment venant des pays voisins, particulièrement le Bénin, qui s'est entre-temps spécialisé dans l'importation de véhicules de seconde main revendus au Nigeria.

Les Etats africains font face à la pression des grands constructeurs automobiles mondiaux, notamment européens et asiatiques (BMW, Renault, Volkswagen, Nissan, Toyota, et bien d'autres), qui, à travers l’Association of african automotive manufacturers, leur demandent de réduire les importations de véhicules d’occasion.

Certains Etats d'Afrique, devant cette situation, ont commencé à agir: de nombreux pays ont ainsi décidé de limiter durant ces dernières années l’âge maximum des véhicules d’occasion importés.

Et globalement, de nombreux pays interdisent désormais l’importation de véhicules d’occasion ayant circulé plus de 5 ans en Europe.

En Côte d’Ivoire, depuis le 1er juillet 2018, les voitures d’occasion de plus de cinq ans sont interdites d’entrée sur le territoire.

Le gouvernement kenyan prévoit, de son côté, de réduire les importations de voitures de plus de 3 ans à l’horizon 2021, à l’exception de certains modèles de voitures de tourisme, équipés d’un moteur d’au moins 1,5 litre. Cette mesure réduit, de fait, les importations de ces "véhicules poubelles", très polluants.

Ensuite, pour décourager les importateurs de véhicules d’occasion, et donner un coup de pouce aux marchés des véhicules neufs, plusieurs pays ont mis en place des taxes prohibitives à l’import.

Ainsi, au Nigéria, depuis 2014, le gouvernement applique une taxe de 70% sur le prix d’achat d’une voiture importée.

Au Sénégal, après avoir limité l’âge maximum des véhicules d’occasion importés à 8 ans, l’Etat est revenu à la charge en annonçant des pénalités sur les véhicules importés dont l’âge est compris entre 5 et 8 ans, dans l’optique de porter la taxe sur ces véhicules à hauteur de 60%.

En contrepartie de mesures contraignantes vis-à-vis des importations de véhicules d’occasion, les constructeurs automobiles mondiaux envisagent d’implanter des unités de montages de petites dimensions dans les pays africains.

Ces mesures commencent à porter leurs fruits. De nombreux constructeurs commencent à envisager de nouvelles implantations d’unités de montage de véhicules. C’est ainsi le cas, par exemple, de Renault (Nigeria, Algérie, etc.), de PSA (Maroc, Nigeria, Algérie, etc.), de Honda (Nigeria), de Volkswagen (Nigeria, Rwanda, Algérie, etc.), de Toyota (Nigeria, Ghana, Côte d’Ivoire, etc.).

Autant de nouvelles implantations de constructeurs automobiles mondiaux lesquelles, s’ajoutant aux anciennes, peuvent contribuer à inverser la tendance du marché des véhicules vendus en Afrique au profit du neuf.

En effet, selon les constructeurs automobiles, le potentiel du neuf dans le marché africain est estimé entre 3 et 4 millions d’unités, contre un peu plus d’un million de véhicules neufs vendus sur tout le continent.

Cela représente environ 1% des ventes mondiales de voitures neuves de tourisme.

Le Maroc est un des rares pays à avoir d'ores et déjà inversé cette courbe.

Grâce à la limitation de l’âge des véhicules d’occasion importés, à des droits de douane prohibitifs, au développement de la production de voitures économiques accessibles à la classe moyenne et au développement de formules de crédits automobiles, le marché de l'occasion a été presque abandonné au profit du neuf.

Le marché des véhicule d'occasion importés est aujourd’hui un marché résiduel, essentiellement porté par les Marocains résident à l’étranger (MRE) retraités (13.321 unités d’occasion importées dont plus de 8.000 par les retraités MRE). Le Maroc importe aujourd'hui, chaque année, 143.489 véhicules neufs et fait monter localement 168.000 voitures. Un exemple à suivre, pour le reste de l'Afrique. 

Par Moussa Diop
Le 23/09/2019 à 15h36, mis à jour le 23/09/2019 à 15h38