Voitures d’occasion. Un exemple à suivre: comment le Maroc s'est débarrassé des poubelles ambulantes

Un marché de voitures d'occasion en Côte d'Ivoire.

Un marché de voitures d'occasion en Côte d'Ivoire.. DR

Le 29/09/2019 à 16h35, mis à jour le 30/09/2019 à 08h38

Le Maroc a aujourd’hui un des parcs de voitures particulières les plus jeunes d’Afrique. Contrairement aux autres pays du continent, où le véhicule d’occasion règne en maître, au Maroc, le marché de l’occasion est devenu résiduel. Voici les ingrédients d'une réussite, que l'Afrique devrait suivre.

C’est incontestable, l’’Afrique dans sa globalité, et l’Afrique subsaharienne en particulier, est la terre de prédilection des voitures d’occasion importées d’Europe, d’Asie et des Amériques.

En effet, en Afrique subsaharienne, globalement, le marché de l’occasion pèse entre 90 et 95% des ventes annuelles de véhicules.

L’ampleur de ce marché de vente de véhicules de seconde, voire de troisième ou quatrième main, est tel, qu’aujourd’hui, hormis le Maroc et l’Afrique du Sud, les deux premiers marchés de véhicules neufs du continent, et l’Algérie, qui a purement et simplement interdit l’importation de véhicules d’occasion et qui vient de nouveau de l’autoriser, les ventes de véhicules neufs sont marginales en Afrique, rapportées à celles des véhicules d’occasion importés.

Les importations de ces véhicules, dont certains ont circulé durant des décennies avant d’être importés, et qui constituent ainsi de véritables poubelles, dangereux, de surcroît, dont le destin logique ne pourrait être que la casse, ont les conséquences néfastes que l'on sait, sur l’environnement, la santé des Africains, et donc sur les économies des pays du continent.

De plus en plus de pays africains, soutenus par des constructeurs automobiles, tentent de trouver des solutions pour limiter ces importations de véhicules d’occasion.

Un pari difficile, quand on sait que dans plusieurs pays d'Afrique, notamment en Afrique subsaharienne, plus de 9 véhicules sur 10 importés sont des voitures d’occasion.

Inverser cette situation n’est pas impossible et le Maroc a d'ores et déjà réussi ce défi.

Alors que les voitures d’occasion qui ont plus de 5 ans d’âge représentaient 70% des voitures importées par le royaume en 2000, ce pourcentage a fortement chuté deux décennies plus tard, et la vente de véhicules d'occasion est devenue très résiduelle.

Ainsi, en 2017, ce nombre est tombé à 13.321 voitures d’occasion, selon les données de l’administration marocaine des Douanes, en baisse de 10% par rapport à l’année précédente.

De plus, 8.000 de ces véhicules, soit 60% des importations de voitures d’occasion, ont été ramenés par des Marocains résident à l’étranger (MRE) retraités, définitivement de retour dans leur pays natal, et qui bénéficient à ce titre de certains avantages à rapatrier le véhicule qu'ils utilisaient dans leur pays d'adoption.

En clair, en 2017, le nombre de véhicules d’occasion réellement importés au Maroc se situe aux alentours d'un peu plus de 5.000 unités, si l'on ne tient pas compte de ceux ramenés par les MRE retraités.

On est ainsi, au Maroc, désormais très loin des 70.000 véhicules d’occasion importés en 1990, et des 56.000 unités de 2010.

Parallèlement, les voitures neuves importées se sont établies à 143.489 unités et la production locale a globalement atteint, à cette date, 168.000 véhicules exportés.

Les voitures d’occasion ne représentent donc, aujourd'hui, qu’un peu plus de 9% des voitures importées.

En tenant compte des voitures montées localement, les ventes totales de voitures d’occasion importées ramenées aux véhicules neufs vendus (importés et montés localement) représentent moins de 7% des ventes de véhicules au Maroc.

Comment le royaume a-t-il réussi à faire de l’occasion un marché résiduel dans la vente de véhicules?

C’est là le résultat d’une combinaison de plusieurs leviers, dont plusieurs peuvent être immédiatement activés par les pays d’Afrique subsaharienne, qui souhaitent rajeunir leur parc automobile et éviter ainsi les effets néfastes que génèrent la circulation sur leur sol des voitures d’occasion.

D’abord, le volet règlementaire est essentiel. Pour freiner la hausse des importations de véhicules d’occasion, le Maroc a, en 2010, interdit l’importation de véhicules dont l’âge dépasse 5 ans, à l’exception de ceux des retraités MRE rentrant définitivement au Maroc, lesquels sont assujettis à un régime spécial.

De plus, les voitures d’occasion de moins de 5 ans d’âge sont aussi très taxées. En 2010, la moyenne des droits et taxes sur les voitures d’occasion est d’un peu plus de 44.000 dirhams, contre une moyenne de 33.000 dirhams par véhicule neuf importé.

Cette règlementation est d'ailleurs de plus en plus suivie au cours de ces dernières années par un certain nombre de pays d'Afrique qui souhaitent éviter l’entrée d'épaves sur roues, polluantes à souhait, et à l’origine de nombreux accidents de la route sur leur sol.

En Côte d’Ivoire, depuis le 1er juillet 2018, les voitures d’occasion de plus de 5 ans sont interdites d’entrée sur le territoire ivoirien.

Le gouvernement kenyan prévoit de réduire les importations de voitures de plus de 3 ans à l’horizon 2021.

Au Sénégal, après avoir limité l’âge maximum des véhicules d’occasion importés à 8 ans, l’Etat souhaite désormais abaisser celui-ci à 5 ans en mettant en place une nouvelle taxe pour les véhicules dont l’âge est compris entre plus de 5 ans et 8 ans.

Ensuite, l’autre facteur qui favorise la vente de véhicules neufs au Maroc est celui du montage de véhicules dans le pays même, et tout particulièrement les véhicules dits "économiques" (type la "Uno" de Fiat ou encore la "Dacia" de Renault).

Ces voitures coûtent nettement moins cher et répondent précisément à une demande de la classe moyenne. Elles ont donc contribué à rajeunir le parc automobile en réduisant la part des voitures d’occasion importées.

Aujourd’hui, d’autres véhicules sont montés localement, avec l’implantation du constructeur automobile PSA, qui a rejoint Renault au Maroc.

Bien moins coûteuses que ceux de même catégorie importés, ces véhicules constituent aujourd’hui le gros lot des ventes de véhicules neufs au Maroc.

En effet, dans le Top des ventes de véhicules neufs au Maroc figurent les voitures montées localement.

Ainsi en 2018, 43,6% de parts de marché des ventes de véhicules neufs au Maroc concernent les marques Dacia (29,5%) et Renault (14,1%) du Groupe Renault, dont une partie est localement montée.

L’implantation de Peugeot (6,9% des ventes automobiles), dont la production a débuté cette année, devrait faire croître encore plus les ventes de voitures neuves produites au Maroc.

Grâce à l’implantation des deux constructeurs français, le royaume est ainsi devenu le second producteur automobile du continent, juste derrière l’Afrique du Sud. Le Maroc est, en sus, le premier producteur de voitures particulières du continent.

Le secteur automobile marocain compte porter sa production à 1 million d’unités à fin 2020, et exporter sa production vers 80 pays.

En 2018, le nombre de voitures produites par les unités de montage de Renault Maroc, basées à Tanger et Casablanca, s’élevait à 402.000 unités, dont une grande partie est destinée aux marchés européens, asiatiques et d’Afrique.

Cette production locale a fortement contribué à rajeunir le parc automobile, et à réduire les importations de véhicules d’occasion.

L’exemple marocain ne peut naturellement être suivi par l'ensemble les pays du continent, mais certains d'entre eux ont déjà tous les atouts en main pour suivre ce modèle.

C’est ainsi le cas du Nigeria, autrefois second marché de montage automobile du continent, qui assemblait jusqu’à 150.000 unités au milieu des années quatre-vingt, avant que les importations de véhicules d’occasion ne tuent son industrie automobile naissante.

Aujourd’hui, le Nigeria et sa population, de plus de 190 millions d’habitants, et, de fait, première puissance économique du continent, assemble annuellement à peine un peu plus de 30.000 véhicules. 

Notons qu’en contrepartie de mesures visant à limiter les importations de véhicules d’occasion, de nombreux constructeurs européens et asiatiques promettent des implantations dans un certain nombre de pays africains.

C’est le cas de Toyota qui annonce des implantations au Ghana et en Côte d’Ivoire, de Volkswagen dans de nombreux pays africains (Rwanda, Namibie, Nigeria, Algérie, etc.), mais aussi de PSA (Nigeria, Algérie, etc.). 

Toutefois, tous les pays n'ont pas encore l'environnement adéquat pour que les constructeurs automobiles s’implantent chez eux.

Mais au Maroc, s’il y a un facteur qui a joué un rôle-clé dans le développement des ventes de véhicules neufs, au détriment de l’occasion, et qui peut booster ces ventes dans la plupart des africains, c’est indéniablement le crédit automobile, dont les offres alléchantes et accessibles ont permis aux citoyens marocains, notamment à ceux de la classe moyenne, de pouvoir acquérir des voitures neuves.

Au Maroc, les banques et les sociétés de financement offrent de nombreux produits «crédit auto»: financement classique, location en option d’achat (LOA, ou leasing) ou encore des produits alternatifs.

Parfois même, en partenariat avec les constructeurs automobiles implantés, ces institutions financières offrent des formules de crédit automobile très attractives.

Ces financements peuvent porter sur l’intégralité du prix TTC (Toutes taxes comprises) ou sur une partie du prix du véhicule, l’acheteur s’assurant dans ce dernier cas d’un apport compris généralement entre 5 et 50% du prix TTC de la voiture.

Les taux appliqués au crédit automobile ont fortement baissé au Maroc, du fait de la forte concurrence entre sociétés de financement, mais aussi entre sociétés de financement et banques, ces dernières offrant généralement les taux les plus bas ne dépassant généralement pas les 6,5% à 7%.

Les sociétés de financement offrent des taux promotionnels pouvant débuter autour de 5,20% et des durées de remboursement pouvant s’étaler sur 3 ans, 5 ans, et même jusqu’à 7 ans.

Le montant du prêt automobile varie énormément fonction du client, et du type de véhicule neuf acheté. Il peut aller jusqu’à 1.000.000 de dirhams, soit environ 91.000 euros.

Et contrairement à la donne marocaine, plus au sud, dans les pays d'afrique subsaharienne, les crédits automobiles ne sont pas développés, à cause du marché de l’occasion, de la faiblesse des offres des institutions financières et de la cherté du crédit automobile.

En effet, dans plusieurs pays, les taux des crédits tournent autour des 20%, sans parler des garanties demandées aux clients, alors qu’au Maroc, des polices d'assurance couvrent un éventuel risque.

Les banques marocaines (Attijariwafa bank, BMCE Bank of Africa et Banque centrale populaire), fortement implantées en Afrique de l’ouest et centrale, pourraient être les locomotives de demain, pour des lancements d’offres de crédit automobile avec des taux à même de répondre aux besoins de la classe moyenne de pays d'Afrique, et ainsi dynamiser le marché des ventes de véhicules neufs.

Les ingrédients qui ont permis au Maroc de réduire la part des véhicules d’occasion à un niveau résiduel peuvent très bien être adoptés et adaptés par les pays africains, avec bien entendu de bonnes volontés politiques. Le but ultime étant de réduire le parc des voitures d’occasion, qui porte préjudice aux économies d'Afrique. 

Par Moussa Diop
Le 29/09/2019 à 16h35, mis à jour le 30/09/2019 à 08h38