Union africaine: la taxe «Kaberuka» loin de faire l’unanimité

DR

Le 30/01/2018 à 17h53, mis à jour le 30/01/2018 à 18h37

Le 30e sommet des chefs d’Etat et de gouvernement qui s’est tenu à Addis-Abeba les 28 et 29 janvier n’a pas permis de trancher sur la solution de financement de l’Union africaine. La «taxe Kaberuka», censée assurer l’indépendance financière de l'institution, n’a pas fait l’unanimité. Détails.

Pour 2018, le budget de l’Union africaine devrait tourner autour de 782 millions de dollars. Sur ce montant, les partenaires étrangers (Union européenne, Chine, Etats-Unis, Banque mondiale, etc.) devraient apporter environ les ¾, le reliquat représentant les contributions des pays membres de l’Union.

A ce titre aussi, cinq pays apportent l’essentiel des contributions. L’Afrique du Sud, l'Algérie, l'Egypte, le Nigeria et l'Angola contribuent à plus de 90% des apports africains, alors que certains membres accumulent des arriérés depuis des années.

En clair, pour son fonctionnement, l’Union africaine dépend des bailleurs de fonds étrangers. Toutefois, depuis quelques années, des voix se sont élevées pour inverser cette situation en mettant l’accent sur la nécessité d’assurer une indépendance financière à l’institution dans le cadre d’une série de réformes.

C’est dans cette optique que les chefs d’Etat africains ont demandé au président rwandais Paul Kagamé de se pencher sur les solutions à mettre en place pour assurer l’indépendance de l’Union africaine en matière de financement. 

La formule a été rapidement trouvée par l’ancien président de la Banque africaine de développement (BAD), Donald Kaberuka. S’inspirant des formules de financement des organismes régionaux, il a proposé, dans le cadre du «Task force» mis en place par le président rwandais, une taxe de 0,2% sur les importations (valeur CAF –Coût assurance fret) des pays africains (hors commerce intra-africain) de certains produits.

Et grâce à cette formule, les contributions des Etats membres de l’Union africaine devraient générer 1,4 milliard d’euros, soit un montant dépassant largement le budget annuel de l’institution.

Du coup, au départ, il y a eu quasi unanimité des pays membres de l’Union africaine. Partant, cette proposition a été entérinée en juillet 2016 à Kigali, au Rwanda, par les chefs d’Etat et de gouvernement. Toutefois, lors de sa concrétisation, l’unanimité a volé en éclat.

Certains pays qui ont des économies extraverties ont soulevé moults questions. C’est le cas notamment de l’Egypte, de la Tunisie, de l’Angola et l’Afrique du Sud.

Du coup, beaucoup de pays n’ont pas adopté le principe. Ainsi, lors de la clôture du 30e sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, le président sortant de l’Union africaine, Alpha Condé, avait expliqué que seuls une vingtaine de pays (*) avait adopté cette mesure. Certains pays ayant montré le peu d’enthousiasme à cette solution. C’est le cas notamment de l’Egypte et de l’Afrique du Sud qui figurent parmi les 4 plus gros contributeurs au financement du budget de l’Union africaine -20,4 millions de dollars chacun. Partant, Condé a proposé des solutions spécifiques pour les pays qui ne sont pas favorables à la «taxe Kaberuka».

Plusieurs raisons sont avancées. Certains parlent de problèmes techniques et juridiques pour mettre en place cette nouvelle taxe. D’autres avancent la non conformité avec les engagements des pays africains vis-à-vis de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui s’oppose à toute discrimination au niveau du commerce international.

Seulement, sur ce point, les pays africains peuvent habiller cette taxe autrement et échapper ainsi à toute qualification discriminatoire. Quant à l’Afrique du Sud, elle évoque l’impossibilité de prélever des taxes pour financer des organisations hors du pays. Enfin, d’autres expliquent que cette taxe renchérit le coût des biens importés et donc le coût de la vie des populations.

En gros, les raisons avancées ne tiennent pas vraiment. Le vrai problème réside dans le fait que certains pays aux économies extraverties pourraient voir leurs contributions croître sensiblement alors qu’ils pensent en avoir déjà assez fait.

Signalons que l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) est en partie financée aujourd’hui par une taxe de 1% sur les importations que lui versent chacun des 8 Etats membres. A ce titre, la Côte d’Ivoire, qui pèse environ 40% du PIB de la région, récolte chaque année entre 5 et 9 milliards de francs CFA au profit de l’UEMOA. Et pour ce pays, la formule est toute trouvée. Désormais, le cinquième de ce montant sera affecté à l’Union africaine.

Bref, si les pays africains souhaitent une indépendance financière, il faudra davantage de sacrifice de la part de certains pays du continent, notamment les leaders, sachant que même avec cette réforme, le continent restera dépendant des aides extérieures pour les opérations de maintien de paix qui sont très gourmandes en ressources financières.

...............................................................................................................................................

(*) : En tout, 20 pays ont adopté le principe de la taxe. 14 Etats ont déà commencé à percevoir et à verser le produit de la taxe sur un compte dédié, selon l’Union africaine. Il s'agit du Kenya, Ethiopie, Rwanda, Tchad, Djibouti, Guinée, Soudan, Maroc, Gambie, Congo-Brazzaville, Gabon, Cameroun, Sierra Leone et Côte d’Ivoire. 4 pays ont mis en place des processus juridiques et administratifs internes pour permettre la mise en œuvre de la taxe. Maurice et Seychelles ont indiqué leur attachement aux principes de la taxe. 

Par Moussa Diop
Le 30/01/2018 à 17h53, mis à jour le 30/01/2018 à 18h37