Afrique. Quand le terrorisme sahélien fait cap vers le Sud

Le 06/06/2019 à 18h27, mis à jour le 06/06/2019 à 18h29

En "mission" de reconnaissance depuis plus de 18 mois, les Groupes terroristes armés (GTA) sont de plus en plus présents sous diverses formes dans les pays du Golfe de Guinée. C'est l'avis d'Ahmedou ould Abdallah, ex-secrétaire général adjoint de l'ONU.

Partis du Sahel, les Groupuscules terroristes armées (GTA) progressent dangereusement vers le Sud du continent en direction du Golfe de Guinée, selon Ahmedou ould Abdallah, ancien chef de la diplomatie mauritanienne, ex-secrétaire général adjoint de l’Organisation des Nations Unies (ONU), qui fût représentant spécial dans plusieurs pays et régions d’Afrique (Burundi, Afrique de l’Ouest, Somalie).

S’exprimant à travers un entretien exclusif publié jeudi dernier par Sputnik-News, ce haut diplomate à la retraite, qui avait fait quelques révélations en rapport avec ce sujet il y a quelques mois, explique comment la violence djihadiste s’étend en Afrique de l’Ouest jusqu’aux Etats côtiers d'Afrique centrale.

Le président du Centre d’analyse et de prospective «4S» établi à Nouakchott, fournit des détails sur le mode opératoire, suivant lequel le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), dirigé par Iyad Ag Ghali (émir d’Ansar Dine, lié à Al Qaida au Maghreb Islamique) et l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS), sont actuellement en train de réaliser leur objectif d'implantation dans le sud du continent africain.

Une menace qualifiée de plus en plus «sérieuse» par les spécialistes des services de renseignements de la région.

«Ces organisations sont déjà présentes dans le Sud depuis au moins 18 mois pour préparer le terrain. Elles sont à la frontière entre la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Liberia, également au Nord du Ghana et au Nord du Bénin. Pendant la saison des pluies, les cellules restent dormantes et se fondent dans les populations en profitant des ressources locales plus abondantes que dans la partie sahélienne. Cela ne veut pas dire que GSIM et EIGS vont quitter pour autant le Sahel qui leur sert de base arrière», soutient Ahmedou ould Abdallah.

Un fait récent donne du poids à cette analyse, avec l’assassinat d’un guide, et l’enlèvement, le 1er mai dernier, de deux touristes français, dans le parc de la Pendjari, l’un des trésors touristiques du Bénin, situé au Nord de ce pays niché au cœur du Golfe de Guinée.

Ces otages, amenés au Burkina Faso, ont finalement été libérés par une opération des forces spéciales françaises, qui ont perdu 2 hommes au cours des combats les ayant opposé aux ravisseurs.

Remontant aux racines du mouvement sur le terrain, Ahmedou ould Abdallah rappelle que «la crise ouverte que nous connaissons actuellement a commencé au Mali en février-mars 2012, avec l’occupation du Nord par des groupes radicaux. Sans l’intervention de la force française (Serval), Bamako serait certainement aujourd’hui, entre leurs mains. La présence terroriste perdure et devient désormais contagieuse jusqu’au Nord du Bénin en passant par le Burkina Faso et le Niger, qui gère plutôt bien la situation, mais aussi sur le pourtour du lac Tchad. Seul le Sénégal, qui reste très vigilant ou des pays ayant passé des alliances tacites, ont échappé jusqu’à présent à cette recrudescence».

Le président du Centre «4S» de Nouakchott s’insurge par la suite contre «le tribalisme et le favoritisme dans les armées d’Afrique de l’Ouest».

Face à cette situation, Ahmedou ould Abdallah plaide en faveur d’un front intérieur uni, qui commence par «une réforme des armées», avant de faire une fracassante révélation.

«Savez-vous que rares sont les armées africaines avec des bulletins de salaire informatisés? Tout le monde sait pourquoi, parce qu’ainsi, on peut payer des subsides à des tiers. Donc, j’estime qu’au moins les salaires dans les armées du G5 Sahel doivent être informatisés», a-t-il révélé. 

Les développements sécuritaires récents montrent que les Groupes terroristes armés (GTA) se servant des territoires du Mali et du Burkina Faso comme bases de repli ont désormais des capacités d’action dans les pays côtiers.

Faudrait-il alors élargir le G5 Sahel, au sein duquel on retrouve la Mauritanie, le Niger, le Tchad, le Burkina Faso et le Mali?

Pour Ahmedou ould Abdallah, «quand on a un ennemi extérieur, il faut des front intérieurs solides les plus inclusifs possibles, en incluant les partis politiques et la société civile. Et pas seulement des élections qui peuvent être plus ou moins démocratiques... C’est dans le renforcement de la cohésion intérieure que viendra la meilleure défense.[contre le terrorisme, Ndlr] en mettant fin, aussi, à la corruption arrogante qui règne chez nous, parce qu’illimitée. Beaucoup d’Etats du Sahel sont exposés à cette forme de corruption», affirme-t-il, alors qu’ailleurs la presse et d’autres contre-pouvoirs servent à limiter un tel phénomène.

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 06/06/2019 à 18h27, mis à jour le 06/06/2019 à 18h29