Mauritanie: âpre débat sur la garde à vue prolongée de l'ex-président, sur les médias et dans les réseaux sociaux

Mohamed ould Abdel Aziz, ancien président de la République Islamique de Mauritanie.

Mohamed ould Abdel Aziz, ancien président de la République Islamique de Mauritanie. . DR

Le 24/08/2020 à 08h43, mis à jour le 24/08/2020 à 15h06

L'ancien président Mohamed ould Abdel Aziz est en garde à vue depuis à présent une semaine, dans d'une affaire de "soupçons de corruption". Une situation qu'un de ses avocats français juge "illégale", des propos tenus devant les médias, qui choquent les magistrats et les hommes de loi mauritaniens.

Alors que l'ex-président mauritanien se trouve à présent dans une cellule de prison dans la capitale depuis une semaine, une véritable guerre médiatique s'est déclenchée en Mauritanie depuis quelques jours, entre la défense de l’ancien chef de l’Etat mauritanien et une partie de l’opinion publique, à coups de déclarations dans les médias et sur les réseaux sociaux. 

A l'origine de cette polémique, un avocat français, qui est venu renforcer le comité des avocats de la défense de Mohamed ould Abdel Aziz: maître David Rajju, avocat au barreau de Rennes en France, est l’auteur d'une d'une déclaration qui a mis le feu aux poudres, alors qu’avant lui, ses collègues mauritaniens avaient qualifié «d’illégale» la mesure qui frappe l’ancien homme fort de Nouakchott.

Après une visite rendue à son client, l’avocat français a dénoncé «une farce judiciaire, car il n’y a absolument aucune justification pour maintenir Mohamed ould Abdel Aziz en détention, si ce n’est la volonté de faire pression sur sa personne. Une démarche inacceptable du point de vue judiciaire. Ce pays est un Etat de droit, qui dispose d’une constitution solide, de lois et d’un Code de procédure pénal (CPP). L’arrestation de mon client est une violation de ces différents textes».

En Mauritanie, le délai de garde à vue est de 48 heures, renouvelable une fois, sur autorisation du procureur de la République près la juridiction compétente afin de pouvoir statuer sur le cas de la personne arrêtée. Cependant, une loi anti-corruption, adoptée en 2016, autorise deux renouvellements de la mesure sur autorisation expresse du chef du Parquet, souffle un juriste, au fait des lois mauritaniennes. 

Arrêté lundi dernier en fin de journée, l'ancien chef de l’Etat mauritanien a bouclé hier, dimanche 23 août, sa première semaine de garde à vue, dans les locaux de la Direction générale de la sûreté sationale (DGSN) de Nouakchott. 

Cette mesure rentre dans le cadre d’une enquête préliminaire pour des soupçons «de corruption» suite à la transmission à la justice, le 5 août dernier, d’un rapport de plusieurs centaines de pages, établi par une Commission d’enquête parlementaire (CEP), dénonçant «des irrégularités» dans l’attribution de 109 marchés publics et de nombreux autres faits de prévarication.

La thèse défendue par cet avocat français se base sur l’article 93 de la constitution mauritanienne, promulguée le 20 juillet 1991, qui confère l’immunité au président de la République «pénalement irresponsable», sauf dans les cas de haute trahison, et dont la compétence de traitement relève de la Haute cour de justice (HCJ).

Les propos tenus par maître David Rajju, l'avocat rennais, ont entraîné une première réplique, venue du Pr Lô Gourmo Abdoul, enseignant en France, avocat au barreau de Nouakchott, et vice-président de l’Union des Forces de Progrès (UFP, opposition).

Le professeur universitaire a déploré «l’attitude de ces avocats français, qui croient faire du tourisme juridique tropical. Ils menacent de dénoncer le Procureur général de Mauritanie, auprès des autorités françaises, parce que ce dernier n’a pas voulu "les auditionner" -le terme que l’un d’eux a utilisé. Il précise qu’une telle audition est une coutume, une règle de courtoisie, et dit qu’ils viennent apporter une certaine liberté de parole dans le traitement de ce dossier et qu’ils ne vont pas s’en priver».

Le Pr Lô Gourmo Abdoul a donc dénoncé «la suffisance et l’arrogance de ces Messieurs, qui ne peuvent débarquer comme des extraterrestres dans ce pays, n’ayant même pas l’intelligence de faire une visite de courtoisie au barreau mauritanien, représenté par un bâtonnier, et exiger d’être reçu par le Procureur général».

Pour sa part, Khalil ould Teyib, figure connue du nationalisme arabe, ancien député et ex-allié de Mohamed ould Abdel Aziz, a exigé «l’expulsion» pure et simple des défenseurs français de l’ex-président.

Quant à un mystérieux «Mohamed Yayha ould Heiba», très suivi sur les réseaux sociaux, il a jeté un énorme pavé dans la mare, avec un texte largement diffusé, dans lequel Mohamed ould Abdel Aziz est accusé d’avoir voulu «mettre le pays à feu et à sang» dans le cadre d’un scénario d’apocalypse fait de troubles, de tirs dans les rues et d'explosions à Nouakchott.

Un scénario qui aurait permis à l'ex-président de «reprendre le pouvoir». Une action que Mohamed ould Abdel Aziz aurait menée avec la «complicité» de groupuscules terroristes présents dans la sous-région, selon les dires de ce profil, qui agit sous un nom d'emprunt, et dont l'identité n'est pas connue. 

Quoi qu’il en soit, ces accusations formulées sous le couvert de l'anonymat sont conformes à certains discours tenus dans les salons de Nouakchott, et relèvent d’une piste jamais encore évoquée dans l’enquête officielle, qui s'en tient aux faits de corruption présumés dont est accusé Mohamed ould Abdel Aziz. 

Cependant, le fait que l'ancien chef de l'Etat soit, jusqu'ici, la seule personne ayant fait l'objet d'une mesure de garde à vue prolongée dans le traitement de ce dossier anti-corruption entraîne encore de nombreuses interrogations, tant sur les réseaux sociaux, que dans les conversations entre Mauritaniens. 

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 24/08/2020 à 08h43, mis à jour le 24/08/2020 à 15h06