En Mauritanie, l’inédite enquête préliminaire liée à des faits présumés «de corruption et de prévarication» pendant la décennie de règne de l’ancien président, Mohamed ould Abdel Aziz (2008/2019), déclenchée sur la base des conclusions d’un rapport établi par les députés, touche à sa fin.
Après plus de 2 mois d’investigations, un volumineux document contenant de multiples auditions croisées menées par les limiers de la police chargée de la répression des infractions à caractère économique et financier devrait être déféré devant un parquet anti corruption composé de 3 procureurs. Une échéance proche, voire imminente, selon l’avis concordant de nombreux spécialistes.
C’est dans cette ambiance de timing final qu’on note une reprise de «la guerre» politique et médiatique entre les avocats français de l’ancien président de la République, et l’impressionnant collectif de 60 conseils qui s’est constitué pour défendre les intérêts de l’Etat mauritanien.
Un affrontement dans lequel les attaques sont légion et où l'on oublie les règles de déontologie, suscitant des réactions nourries dans le camp adverse par quelques phrases «assassines». Ainsi se soldent les comptes dans les médias avant l'affrontement dans le prétoire.
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Solidement agrippés à l’article 93 de la Constitution, comme à bouclier garantissant l’impunité et autorisant toutes les turpitudes porteuses de gouvernance nauséabonde, les avocats français de l’ancien chef d’Etat ont en effet décidé de mener la bataille sous les projecteurs des médias avec des armes pas forcément classiques du point de vue de la procédure.
Mohamed Cheikh El Ghazouani, chef d’orchestre «d’une parodie»
Les conseils de l’ancien chef de l’Etat ont en effet écrit au président Mohamed ould Cheikh El Ghazouani, pour dénoncer toutes les tares et «violations» de la procédure d’enquête préliminaire, en utilisant des termes qui le confinent dans le rôle peu glorieux de commanditaire d’une parodie nourrie par des calculs politiques contre son ami de 40 ans, frère d’armes, à qui il doit en partie son fauteuil, acquis dès le premier tour d’un scrutin présidentiel organisé le 22 juin 2019.
Le bataillon d'avocats issus des barreaux de Brest, Paris et Marseille «attire l’attention» du locataire du Palais de la République «sur les conséquences du traitement dont fait actuellement l’objet» son client Mohamed ould Abdel Aziz.
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S’adressant «au Gardien du pacte social fondamental de la Nation», ces robes noires relèvent «que la plupart des conseils choisis par l’Etat semblent avoir fait, par le passé, la démonstration de leur partialité et nous ne pouvons que supposer que leurs interventions servent uniquement à tenter de protéger les exactions dont notre client est actuellement victime. Sur le fonds, il est particulièrement consternant de constater que ces 60 avocats, pourtant a priori munis des outils juridiques de réflexion optimum compte tenu de leur nombre, ne parviennent pas à interpréter de manière stricte et intelligente la Constitution de Mauritanie».
Dans la lancée et au sujet de la compétence juridictionnelle, les avocats brandissent l'article 93 de la loi fondamentale, rappelant sa phrase-clé à savoir que «"le président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison", ce qui implique par définition qu’il n'y a pas d’autres responsabilités prévues et possibles devant quelques juridictions que ce soit. Le parallélisme avec la Constitution française de 1958, dont est inspirée directement la Constitution mauritanienne, notamment son article 93, est d’ailleurs particulièrement éclairant sur ce point et devrait vous convaincre définitivement de l’erreur d’analyse commise par vos conseils» (les avocats de l’Etat mauritanien seraient-ils les conseils du président de la République dans le traitement de cette affaire?).
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Poursuivant ses explications, le collectif qui défend le président met un coup de rétroviseur sur la législation en France, pour dire «qu’avant 2007, le président de la République n’était responsable que des actes commis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. L’ensemble de la doctrine juridique française et internationale, à juste titre, concluait alors que le président bénéficiait d’un privilège de juridiction, car il ne pouvait être mis en cause que devant la Haute Cour de Justice (HCJ) en cas de Haute Trahison. Ce texte en vigueur alors correspondait mot pour mot au texte actuellement valide en Mauritanie».
Avocats ou administrateurs coloniaux, arrogants et condescendants
Répondant à l’arrogance, aux prétentions et autres affirmations gratuites de ces avocats français, le collectif de l’Etat n’a pas fait dans la dentelle.
Dans un communiqué rendu public lundi soir, Maître Brahim Ebetty et ses compagnons démontent «une correspondance insolite adressée à son Excellence, le président de la République.
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Un document «d’une rédaction déplorable, cette lettre confirme la volonté délibérée de ses auteurs de s’affranchir des règles élémentaires, légales et déontologiques qui gouvernent l’exercice du ministère d’avocats par des étrangers en Mauritanie: refus d’élire domicile auprès du cabinet d’un confrère mauritanien, absence délibérée de visite au procureur de la République et au bâtonnier de l’ordre des avocats... Persistant dans leur ligne de conduite méprisante et condescendante, ils s’en prennent ouvertement à toutes les autorités et institutions publiques (président de la République, Parlement, ministre de l’Intérieur, procureur de la République… Ainsi que tous les confrères qui ne partagent pas leurs opinions subjectives. Se considérant en pays conquis, Rajjou et Brigant, n’hésitent pas à donner des leçons à tous et à chacun, interpellant les uns et les autres, sommant tout le monde d’agir suivant leurs propres vues et interprétations déformées des faits et du droit applicable, aussi bien en Mauritanie qu’en France, qu’ils citent avec surabondance. Sans oublier les accusations "d’antisémitisme" et "néo-colonialisme" qu’ils tentent d’imputer aux adversaires de leurs clients».
Le communiqué des avocats de l’Etat raille «une lettre ouverte politicienne donnant une idée de la légèreté avec laquelle y sont traitées les questions juridiques liées au statut de l’ancien chef de l’Etat face aux graves soupçons de corruption qui pèsent sur lui».
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Au sujet de l’article 93 de la Constitution mauritanienne du 20 juillet 1991, ancien article 68 de la Constitution française, le collectif des avocats de l’Etat soutient qu’en défendant une immunité absolue de leur client, les conseils français de Mohamed ould Abdel Aziz «confondent l’inviolabilité, qui est inhérente à la qualité du président de la République et dont ne bénéficie qu’un chef d’Etat en exercice pendant la durée de son mandat, et l’immunité fonctionnelle de l’article 93 qui ne protège un ancien chef d’Etat que pour les actes qu’il a accomplis dans le cadre de la fonction présidentielle. Strictement cantonnée à ces actes, elle n’empêche pas les autorités de poursuites qui retiennent, à la charge d’un ancien chef d’Etat, des infractions détachables de la fonction présidentielle, de prendre à son encontre toute mesure de contrainte autorisée par la loi».
Au-delà de cette mise au point, «il faut faire la part entre les actes accomplis dans le cadre de la fonction présidentielle, qui sont couverts par l’immunité fonctionnelle et les actes détachables pour lesquels l’ancien président peut être poursuivi, comme n’importe quel citoyen. Or, cet exercice passe souvent, comme le montre la jurisprudence dans divers pays, dont la France, par un examen du fond du litige par le juge saisi. C’est lui, qui au cas par cas, peut dire en cas de doute, au terme de la qualification des faits qu’il aura opérés, si les actes, objets de poursuites pénales sont des actes de fonctions, c'est-à-dire des actes ayant un rapport direct avec la conduite des affaires de l’Etat, ou seulement des actes accomplis à l’occasion de l’exercice de la fonction présidentielle, mais qui ont plus à voir avec les affaires privées».
Illustrant ce propos par un exemple concret, le communiqué de maître Brahim ould Ebety et ses compagnons enchaîne sur un cas précis de prévarication sans rapport avec la mission d’un président de la République «lorsqu’un président de la République se fait réaliser par une société d’Etat une adduction d’eau et une piscine dans son ranch privé, qu’il mène par lui-même ou personnes interposées, des activités commerciales parallèles à celles de président de la République et qu’il commet des délits dans ce cadre, ou encore, lorsqu’il ouvre des comptes bancaires à l’étranger et qu’il ne déclare en violation de la réglementation des changes, ou qu’il utilise une fondation privée comme moyen de blanchiment, pour nous limiter ces exemples, l’immunité fonctionnelle de l’article 93 de la Constitution n’a pas vocation à jouer, pour la bonne et simple raison que ces actes n’ont pas de rapport direct avec la conduite des affaires de l’Etat».
Par ailleurs, la déclaration réaffirme avec force la compétence de la justice ordinaire pour connaitre des infractions commisses par un ancien chef d’Etat «point sur lequel les affirmations des avocats d’Abdel Aziz feront de leurs auteurs la risée des constitutionnalistes en France».