Mauritanie: quand l'or devient un leurre

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Le 10/05/2016 à 18h30

Quelques semaines après le début de l'immense ruée vers l’or de plusieurs milliers de candidats ayant abandonné leurs activités habituelles au profit de la recherche du métal jaune, beaucoup sont revenus bredouilles et déçus. Une grosse colère s'empare les orpailleurs qui parlent d'arnaque.

Sur une centaine de candidats à l’orpaillage traditionnel, activité fraichement réglementée et autorisée par les autorités mauritaniennes, impossible pour l’heure de se hasarder à avancer un chiffre désignant le nombre de ceux qui auraient seulement aperçu la couleur du métal jaune.Par rapport à l’interrogation, une seule certitude, il y a eu «beaucoup d’appelés, mais peu d’élus» pour reprendre la formule d’un célèbre adage.Au-delà de cette question centrale, une certitude. Juste une toute infime minorité de chercheurs aura jusque-là trouvé quelques pépites précieuses dans la région de l’Inchiri.Cette zone abrite le site aurifère de Tasiast-exploitée par une entreprise du même nom, filiale à 100% de la société canadienne Kinross.Au cours des dernières semaines, plus de 20.000 candidats ont pris d’assaut le service public des mines chargé de la délivrance des permis de recherche ouvrant droit à l’orpaillage traditionnel.Ils ont versé au trésor public mauritanien 100.000 ouguiyas chacun, pour l’obtention du «précieux» document administration appelé agrément, et déboursé une autre somme pour l'achat d'un détecteur de métaux dont les prix ont flambée pour dépasser les 2 millions d’ouguiyas (plus de 5000 dollars) et qu'il faut dédouaner à 300.000 ouguiyas.Il faut ajouter à ces dépenses la location des véhicules 4x4 pour aller dans une zone désertique et sablonneuse difficile d’accès. Il y a également le prix du carburant à la pompe, figé au même niveau, malgré les baisses successives du baril de pétrole sur les marchés mondiaux et des mesures de réduction du coût de l’essence et du gasoil dans les pays voisins. En plus, dans cette région reculée, les prix de tous les produits (eau, cigarettes, pain, etc.) ont été multipliés par 5 voire 10.Sur le terrain, les candidats étouffent sous une canicule d’enfer, habituelle pour la saison. Un regroupement monstrueux d’individus sur une surface réduite qui rend «aléatoire l’accomplissement des besoins naturels les plus élémentaires», témoigne «un rescapé» de l’odyssée aurifère dont le rêve se termine en eau de boudin.Du coup, la colère monte du côté des apprentis orpailleurs. Mohamed, un autre revenant du Nord, peste contre «une véritable arnaque». Il accuse l’administration de l’avoir «ruiné» en engloutissant toutes ses économies. Idem chez Baba, qui pense que «tout l’or de la Mauritanie est déjà dans l’escarcelle de Tasiast/Kinross».Un sentiment qui pousse certains d’entre eux à se rapprocher désormais de la mine exploitée par le géant canadien, provoquant au passage l’inévitable réaction des forces de l’ordre.Tous ces facteurs réunis nourrissent la colère des déçus de l’orpaillage en Mauritanie qui n’hésitent plus à pointer du doigt l’Etat qui, lui, se frotte les mains. En effet, l’agrément et le dédouanement du détecteur auraient rapporté au Trésor et à la douane mauritanienne plus de 7 milliards d’ouguiyas, selon certaines sources.Une bonne bouffée d’oxygène au plan fiscal en ces temps de vaches maigres marqués par une chute drastique des cours internationaux de minerais de fer et de l’or, principales exportations de la Mauritanie.De là à voir dans cette opération une arnaque de l’Etat, il n’y a qu’un pas que certains n’ont pas hésité à franchir.Une déception générale illustrée par un éditorial publié à travers la dernière livraison de l’hebdomadaire «Le Calame», qui invite les candidats à la recherche de l’or à s’armer «d’un détecteur de mensonges» à la place de celui des métaux précieux.

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 10/05/2016 à 18h30