Le capitaine Ibrahim Traoré, investi le 21 octobre dernier président de la transition au Burkina Faso, est déjà à pied d’œuvre pour faire changer les choses dans son pays. Au lendemain du coup d’Etat qui a renversé le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, qui était devenu lui-même président après un coup d’Etat en janvier 2022, le nouveau numéro 1 du pays des hommes intègres avait promis: «Nous voulons aller vite.» Alors, joignant l’acte à la parole, il a entamé une série de rencontres avec les forces vices de la nation afin de faire jouer à chaque citoyen burkinabè sa part dans ce grand projet.
C’est ainsi qu’il a récemment rencontré la classe politique et les organisations de la société civile. Dans ses propos introductifs, le capitaine Traoré, dans un langage sincère, direct et sans fioritures, comme l’on pourrait en attendre du militaire qu’il est, a pointé du doigt les véritables maux de la nation burkinabè.
Chacun doit prendre ses responsabilités
«Vous êtes les acteurs de la société burkinabè et je pense que l’avenir de ce pays est aussi entre vos mains», a rappelé le président de transition, invitant chacun à «faire un mea culpa à son niveau» et à se demander «qu’est-que j’apporte à cette patrie?». Selon lui, beaucoup ignorent la situation dans laquelle le pays se trouve, car leurrés par la tranquillité des villes. Pourtant, ailleurs dans le pays, la vie est tout autre: «Est-ce que tout le monde est conscient que le territoire est presque perdu?», a-t-il lancé.
«En tant que militaires, nous reconnaissons nos responsabilités, mais qu’est-ce qui a amené l’armée à être comme ça?», a-t-il questionné, dénonçant la politisation de l’armée burkinabè. En effet, a-t-il déploré, «l’armée a été infiltrée et chacun agit en fonction de certains bords politiques. Et si à un moment donné on a eu espoir que ça va cesser, notamment avec les événements du 24 [janvier 2022], ça n’a pas cessé.» C’est ainsi que les événements du 30 septembre sont arrivés, a poursuivi l’officier, prévenant ses interlocuteurs qu’à la sortie de cette rencontre, «chacun sera libre (…) de son action future, soit pour la patrie ou contre la patrie.»
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Les origines du terrorisme
Abordant le sujet du terrorisme, le capitaine Ibrahim Traoré a souligné que la société burkinabè toute entière a contribué à l’avènement de la grave crise sécuritaire dans le pays. Il a souligné avoir marché, lors de son déploiement, à travers le Sahel et qu’il a vu comment les gens vivent dans cette région. «Je l’ai fait il y a environ 10 ans, et c’était prévisible que cette situation allait arriver. Ça veut dire que c’est nous qui avons créé cette situation. On a tout fait pour abandonner certains peuples à cause de nos intérêts égoïstes. On voit que les gens meurent ailleurs, mais à Ouagadougou, on fait la fête. On n’a aucune pitié pour l’autre», s’est indigné le militaire.
Et d’ajouter: «Dans ces zones, je les vois trimballer des bidons, marcher des kilomètres pour aller chercher de l’eau (…). Il n’y a pas de routes là-bas. Comment un camion pourrait-il donc arriver là-bas ne serait-ce qu’avec un peu de tourteau pour que les animaux puissent manger? Qu’avons-nous construit là-bas? Qu’avons-nous fait là-bas? Quel projet de développement? (…) Et qui en est responsable? C’est nous, il faut que chacun accepte cela.
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Nous sommes responsables de notre malheur
«Nous avons toujours le slogan que le Burkina Faso est un pays pauvre, vous avez bien conscience que le pays n’est pas pauvre. C’est parce qu’on est méchants entre nous. Les jeunes n’ont rien à faire. On a des terres cultivables, on a de l’eau. Comment peut-on ne pas vouloir faire quelque chose pour eux?», a poursuivi le militaire. Citant l’exemple de Djibo, qui est liée à Kongoussi par une seule route, le président de transition a expliqué que les camions ne s’y rendent plus, car les ponts datent des années 50 et les véhicules tombent. On y produit des tomates, beaucoup de choses, mais tout pourrit, car les populations n’arrivent pas à vendre.
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir interpellé les autorités sur ce genre de situations: «J’ai écrit un rapport en son temps, afin qu’on puisse au moins réparer cette route. La guerre n’était pas là, mais on n’a rien fait. Qui en est responsable? (…) On a été prévenus, on n’a jamais voulu écouter.»
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Où est la solidarité burkinabè?
Le capitaine Traoré a par ailleurs déploré le fait que la solidarité burkinabè n’est plus qu’une illusion. «Tout le monde roule dans sa voiture, tout le monde vit, on mange le matin, on mange à midi, on mange le soir, on fait ce qu’on veut faire, on est libre de parler de dire ce qu’on veut, c’est la démocratie, c’est le droit. C’est tout ce que nous connaissons à Ouagadougou. Mais allez-y (hors des grandes villes) les voir, les enfants qui ont la peau sur les os, les vieillards qui meurent de faim. Allez voir ces femmes qui ne peuvent plus allaiter parce qu’elles n’ont plus rien dans le sein», a-t-il dénoncé.
L’officier a notamment critiqué ces civils qui, bien qu’ils en aient les moyens, ne daignent pas apporter leur soutien avec des camions «pour qu’on puisse être solidaires de ces populations». «Pour l’instant, on a pu, dans l’armée, quand même mobilisé, avec nos propres moyens, des camions et transporté des vivres vers des populations qui mourraient de faim. Et même dans ça, j’ai vu qu’il n’y a aucune pitié. Des citoyens savaient que c’était pour aller dans ces régions, mais ils sont restés sur leurs tarifs. C’est pour dire que la solidarité a disparu au Burkina».