L’Afrique devrait-elle s’inquiéter du retour de Donald Trump?

Donald Trump: 45ᵉ président des États-Unis, du 20 janvier 2017 au 20 janvier 2021, et élu 47ᵉ président des États-Unis le 5 novembre 2024.

Le 11/11/2024 à 10h03

Échanges commerciaux, financements, aide au développement, sécurité, climat, diplomatie... En Afrique, les motifs de craintes, suite à l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, ne manquent pas. Cependant, si certaines appréhensions peuvent paraître légitimes, en revanche, le realpolitik et le business devraient finir par s’imposer.

L’Afrique doit-elle s’inquiéter du retour de Donald Trump à la Maison Blanche? La question taraude hommes politiques, médias, observateurs… depuis l’élection écrasante pour un second mandat de Trump face à Kamala Harris, pourtant donnée favorite par les sondages.

Après l’élection du 47e président des États-Unis, partout dans le monde on s’interroge sur quoi on devrait s’attendre avec le retour de l’homme qui a fait du slogan «Rendre à l’Amérique sa grandeur» son crédo. En Afrique, les craintes sont nombreuses. Elles concernent l’avenir de l’Agoa (African growth and opportunity act), la migration, notamment depuis l’arrivée sous l’œil un peu bienveillant de l’administration sortante de centaines de milliers d’Africains via le Nicaragua.

Onze pour Bush, sept pour Obama, zéro pour Trump... pour le moment

Au niveau diplomatique, l’Afrique n’a pas vraiment compté lors du premier mandat de Donald Trump. L’ancien et futur locataire de la Maison Blanche n’a effectué aucun déplacement en Afrique, contrairement à ses deux prédécesseurs George Bush (11 fois) et Barack Obama (7 fois). Même son Secrétaire d’Etat d’alors, Mike Pompeo, n’a effectué qu’un voyage au Sénégal et en Éthiopie, en fin du premier mandat de Trump. Durant son premier mandat, Trump n’avait reçu que deux chefs d’État africains: Muhammadu Buhari (Nigeria) et Uhuru Kenyatta (Kenya).

Même l’actuel locataire de la Maison Blanche, Joe Biden, n’a visité aucun pays africain durant ses quatre ans à la tête de la première puissance économique mondiale. Par contre, son épouse, Jill Biden, la vice-présidente Kamala Harris, candidate malheureuse à la présidentielle, Antony Blinken, Secrétaire d’État, Linda Thomas-Greenfield, ambassadrice auprès des Nations unies, et Janet Yellen, Secrétaire au Trésor, ont visité le continent. Certains d’entre eux à plusieurs reprises dans le but de contrer l’influence grandissante de la Chine et de la Russie en Afrique.

Reste que la conjoncture internationale a beaucoup évolué. Dans un environnement marqué par la guerre d’influence qui bat son plein en Afrique, le second mandat de Trump à l’égard de l’Afrique pourrait évoluer plus favorablement sur le plan diplomatique.

Par ailleurs, l’un des points saillants de la diplomatie de Trump durant son premier mandat a été la reconnaissance de la marocanité du Sahara. Sur ce point, son retour à la Maison Blanche, coïncidant avec la reconnaissance française de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental et du plan d’autonomie sous souveraineté marocaine comme seule solution viable, pourrait contribuer à solder définitivement ce problème qui continue de polluer les relations entre le Maroc et l’Algérie qui se dit pourtant simple observateur.

En effet, en reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara et en promettant d’installer une représentation diplomatique à Dakhla, dans les provinces du Sud du Maroc, Trump avait fait un acte symbolique fort en faveur du Maroc, un geste qui a résonné bien au-delà de la région et qui a poussé d’autres puissances à emboîter le pas aux États-Unis comme l’Espagne et plus récemment la France.

En outre, étant moins interventionniste, la diplomatie de Trump pourrait améliorer les relations difficiles entre certains pays africains et les États-Unis. Ainsi, certains pays sanctionnés par les démocrates au pouvoir pour des raisons liées à leur opposition à l’homosexualité et aux revendications LGBT, comme l’Ouganda, pourraient bénéficier du retour de Trump qui partage la même vision sur ce point. De même, il est probable que les questions liées aux droits de l’homme et de démocratie en Afrique soient reléguées au second plan sous le règne de Trump.

La délocalisation taxée à 200%

Au niveau économique, l’une des priorités de Donald Trump est de revenir au protectionnisme. Il préconise une augmentation des droits de douane de 10 à 20% sur les produits importés avec des cibles de 25% pour les produits venant du Mexique et 60% pour ceux importés de Chine, et ce dans le but de protéger le marché américain et donc de développer le «Made in America». En plus, il compte taxer à 200% les entreprises américaines qui délocalisent leur production.

Ce faisant, la question des relations commerciales entre les États-Unis et l’Afrique ne manquera pas de se poser. Et pour cause, cette approche protectionniste, qui ne cible pas spécifiquement l’Afrique, devrait impacter les pays africains qui exportent leurs produits vers les États-Unis, notamment ceux qui expédient textiles, véhicules, vins, viandes… À noter que 6% des exportations du continent concernent les États-Unis.

Mais la plus grande crainte à trait à l’Agoa, un programme commercial offrant des avantages douaniers aux pays africains. Il s’agit d’un important accord commercial multilatéral voté par le Congrès américain en 2000 sous la présidence démocrate de Bill Clinton, et qui vise à ouvrir le marché américain aux produits exportés par les pays africains, sans droits de douane, mais sous certaines conditions: économie libérale, valeurs démocratiques et respect des droits humains. Cet accord concerne plus de 6.000 produits. En 2024, 32 pays africains ont bénéficié de l’Agoa.

Seulement, cet accord expire en 2025. Des négociations sont en cours en vue de sa prolongation pour une durée de 16 ans. Pour y arriver, il faut l’accord du Congrès américain désormais contrôlé par les Républicains. Ce sera le premier grand test de la future administration américaine vis-à-vis du continent.

Au cours de son administration précédente, Trump avait clairement déclaré que le programme ne serait pas renouvelé. Toutefois, lors de la campagne à l’élection présidentielle, bien qu’il ne soit pas favorable à l’Agoa, Trump a reconnu que si les États-Unis voulaient contrer l’influence économique croissante de la Chine en Afrique, ils devaient maintenir un certain niveau de partenariat.

C’est dire que malgré le protectionnisme prôné par Trump, il y a une probabilité à ce que cet accord soit renouvelé. D’autant plus que certaines exportations africaines, notamment les produits agricoles et les minerais, entrent dans la production de produits finis américains et donc contribuent à la compétitivité de certains secteurs américains.

Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que la première administration Trump est derrièrecune initiative économique avec les pays africains: «Prosper Africa» qui vise à accroître les échanges commerciaux et les investissements entre l’Afrique et les États-Unis. Selon le site de Prosper Africa, «depuis juin 2019, le gouvernement américain a contribué à la conclusion de 2.498 transactions dans 49 pays pour une valeur totale estimée à 120,3 milliards de dollars.» Cette initiative visait à contrer l’influence de la Chine et avoir un accès aux minerais stratégiques du continent.

À ce titre, il est fort probable que le retour aux affaires de Donald Trump soit marqué par la reprise des dossiers stratégiques entamés avant sa défaite de 2020 et visant à contrer l’influence chinoise. Ainsi, les États-Unis pourraient chercher à renforcer leurs investissements en Afrique afin d’en évincer les Chinois.

Il ne faut pas oublier non plus que c’est sous Trump, en 2019, que les agences américaines d’aide au développement ont été repensées pour plus d’efficacité sous l’égide de l’US International Development Finance Corporation (DFC), et porter les couleurs d’une stratégie offensive vers les pays à revenu faible et intermédiaire, notamment africains.

Trump alloue un budget de 60 milliards de dollars et nomme à la tête de l’institution un homme d’affaires avec un agenda offensif sur l’Afrique. Sa non-réélection pour un second mandat en 2020 avait retardé cette expansion. Les démocrates qui lui ont succédé ont attendu la fin de leur mandat pour commencer à matérialiser l’implantation de DFC en annonçant l’ouverture de bureaux au Kenya, en Côte d’Ivoire et au Maroc, après celle d’un premier bureau à Johannesburg, en Afrique du Sud, en 2020 sous Trump. Sa défaite en 2020 l’avait empêché de dérouler son programme.

Une chose est sûre, la politique commerciale de l’ère Trump sera marquée par la rivalité avec la Chine au niveau du continent africain. En conséquence, il est fort peu probable que son administration délaisse l’Afrique au profit de la Chine, après avoir mis en place tant d’initiative.

Reste qu’une guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, avec une forte augmentation des droits de douane, peut avoir des dommages collatéraux sur les économies africaines qui sont de plus en plus dépendants des importations chinoises, notamment en ce qui concerne les minéraux. Une forte hausse des droits de douane appliquée aux produits chinois risque de réduire les échanges entre les deux grandes puissances et se répercuter négativement sur la demande chinoise de matières premières africaines.

Au-delà de l’homme politique, Trump raisonne aussi et surtout en homme d’affaires. Sur ce point, personne ne connait mieux que lui l’importance de l’Afrique en termes de débouchés, d’opportunités, mais aussi et surtout de source d’approvisionnement en ressources naturelles, notamment les matières premières et particulièrement les minerais et terres rares, essentiels pour réduire la dépendance américaines vis-à-vis de la Chine.

Migration et visas

C’est l’un des domaines où Trump fait plus peur en Afrique. En effet, il n’a jamais caché sa volonté d’expulser les migrants clandestins entrés aux Etats-Unis, dont de nombreux Africains. En effet, au cours de ces dernières années, des dizaines de milliers de migrants africains sont entrés aux États-Unis via le Nicaragua et le Mexique. Or, la question migratoire est l’un des points-clés de la campagne et de l’élection de Trump. Du coup, l’une de ses promesses de campagne est très défavorable à l’Afrique, un continent dont les revenus dépendant également de sa diaspora établie dans les pays riches.

Toutefois, de nombreux observateurs se posent la question de la faisabilité de cette politique de «déportation» massive des migrants clandestins. Il s’agira certainement d’actions à portée médiatique qui vont concerner quelques milliers d’expulsions et bien évidemment la fermeture des points de passage des migrants.

Il faut dire que l’économie américaine a aussi besoin de migrants, notamment dans les secteurs qui ont besoin d’une main-d’œuvre peu qualifiée et bon marché. Un départ massif des migrants risque de se traduire par une perte de compétitivité de certains pans de l’économie américaine et porter un coup dur à certains secteurs de la première économie mondiale.

Par ailleurs, comme lors de son premier mandat, il y a fort à parier à ce que Trump mette en place des restrictions de visas à l’égard de certains pays africains dans le cadre de l’initiative «Travel Ban» et ce pour diverses raisons: migration, sécurité… Ces restrictions avaient touché de nombreux pays dont la Libye, le Soudan, la Somalie, le Ghana, le Tchad, le Nigeria… Suite à ces décisions, les arrivées des étudiants d’origine africaine vers les universités américaines avaient été quasiment divisées par deux sous l’ère de Trump.

Santé, climat, humanitaire...

Il est probable que la future administration réduise le budget de l’aide au développement, notamment celle destinée à la santé. Les pays bénéficiaires des financements américains pour de nombreux programmes, dont ceux liés à la lutte contre le SIDA, craignent la fin des subventions. Parmi les plus grands bénéficiaires africains de ces financements figure le Kenya, un État clé de la diplomatie américaine en Afrique. La suppression de ces fonds aura des répercussions négatives sur les systèmes de santé de nombreux pays.

On se rappelle du souhait de Trump de suspendre le financement américain à certains organismes onusiens dont l’Organisation mondiale de la santé (OMS), allant jusqu’à annoncer sa volonté de retrait américain de cette institution.

Toutefois, face aux réticences du Congrès d’alors, il avait maintenu le budget des aides allouées tout en le réduisant de 28% baissant de 8 à 5 milliards de dollars. Et les budgets des agences américaines pour le développement international (Usaid), très présentes sur le continent, ont été fortement réduits.

Dans le même sens, Donald Trump, climatosceptique, pourrait couper les subventions dont bénéficient certains pays africains. Mais vu les effets des changements climatiques sur les pays africains qui sont les moins pollueurs au monde, on peut craindre une nouvelle sortie des États-Unis des Accords de Paris signés en 2015. Il est à craindre que les financements US au profit des pays africains ne fondent comme neige au soleil. Aujourd’hui, plus de 110 millions d’Africains font face à des problèmes climatiques et humanitaires.

En conclusion, le retour de Trump à la Maison Blanche ne devrait pas se traduire par d’importants changement vis-à-vis du continent africain, en dehors des questions liées à la migration, aux visas et à certaines aides publiques du fait notamment de la compétition intense qui se joue avec la Chine et d’autres pays des BRICS ou émergents sur le continent.

Une situation qui fait que les craintes ne sont plus les mêmes que celles du premier mandat de Trump (2017-2021). Une situation que résume le Kenyan et candidat à la présidence de la Commission de l’Union africaine, Raila Odinga, qui a déclaré que «Si Trump ne veut pas travailler avec l’Afrique, l’Afrique a d’autres amis

Par Moussa Diop
Le 11/11/2024 à 10h03