Maires de capitales africaines: pourquoi dérangent-ils autant?

Le maire de Dakar Khalifa Sall risque une lourde peine de prison.

Le maire de Dakar Khalifa Sall risque une lourde peine de prison.. DR/

Le 18/02/2018 à 15h54, mis à jour le 18/02/2018 à 16h45

De nombreux maires de capitales africaines sont débarqués sans ménagement. Si la «faute grave», la «mauvaise gestion» et les «détournements de deniers publics» sont souvent avancés pour justifier ces évictions de maires élus, les calculs politiciens entrent aussi en jeu. Décryptage.

Le procureur de la République du Sénégal, Serigne Bassirou Guèye, n’a pas tremblé lors de son réquisitoire en demandant une peine de 7 ans d’emprisonnement ferme et une amende de 5,55 milliards de francs CFA à l’encontre du maire de Dakar, Khalifa Sall, emprisonné depuis plusieurs mois dans l’affaire de la «Caisse d’avance» de la mairie de la capitale sénégalaise.

Si l’affaire Khalifa Sall est emblématique, notamment du fait du poids du maire de Dakar aussi bien au Sénégal qu’à l’international, il n’est pas le seul maire d’une capitale africaine à être en conflit avec son gouvernement, dans les pays francophones d’Afrique subsaharienne.

S’il est pour le moment le seul à être poursuivi, les maires de N’Djamena (Tchad), de Mogadiscio (Somalie), Niamey (Niger) et de Cotonou (Bénin) ont été quant à eux débarqués sans ménagement. Et ce faire, les dirigeants ont recouru à divers arguments: détournements, fautes graves, mauvaises gestion, etc.

Néanmoins, les calculs politiciens pèsent souvent lors de ces destitutions de maires devenus célèbres. Il faut dire que dans un certain nombre de pays, le poste de maire de la capitale a été un tremplin pour la présidence. En effet, ce poste électif confère de la visibilité et le soutien d’un électorat important. D'où les craintes des chefs d'Etat en place et le fait que certains n'hésitent pas à débarquer les maires qui peuvent leur faire de l'ombre. 

Khalifa Sall: emprisonné pour une affaire de «fonds politiques»

Emprisonné depuis mars 2017 pour «détournement de fonds publics», le maire de Dakar risque de rester longtemps en prison si le juge suit le réquisitoire du procureur de la République Sérigne Bassirou Gueye qui a réclamé une peine de 7 ans d’emprisonnement ferme et une amende de 5,55 milliards de francs CFA. 

Accusé de détournement des deniers publics, avec 7 de ses collaborateurs, pour un montant de plus de 2,7 millions d’euros prélevés sur plusieurs années dans les caisses de la mairie de Dakar, selon la justice, pour Khalifa Sall et ses partisans, il s’agit d’un procès politique résultant de son «refus d’une offre politique» du pouvoir, selon l’édile de Dakar.

Pour ses partisans, Khalifa Sall est simplement victime politique. Au regard de ses nombreux soutiens dans la capitale sénégalaise, beaucoup le voient comme un challenger potentiel au président Macky Sall lors de la présidentielle de 2019. Dissident du Parti socialiste (PS) qui soutient le président Macky Sall dans le cadre de la coalition Benno Boko Yaaka, il n’a cessé de s‘opposer au président, notamment lors du référendum et des législatives de 2017. Il accuse d’ailleurs le président d’être derrière l’enquête et du rapport à l’origine de ses déconvenues dans le but de l’empêcher de se porter candidat à la prochaine présidentielle.

Khalifa Sall a ainsi expliqué que «l’Etat sénégalais a, dès son origine, toléré et même souhaité l’existence de fonds politiques échappant aux règles comptables habituelles au sein de la mairie de Dakar». Pour Khalifa Sall et ses avocats, l’usage des fonds politiques n’a rien d’illégal.

Du côté du pouvoir, on assure que seule la gestion municipale de Khalifa Sall est en cause. Et l’agent judiciaire de l’Etat demande «si les fonds politiques n’ont pas vocation à être justifiés, pourquoi cette tentative de justification via des factures et PV de réception de riz et de mil?». Les pouvoirs publics reposent leur accusation sur ces fausses factures de mil et de riz produits par la mairie pour justifier 30 millions de FCFA attribués à la mairie de Dakar entre 2005 et 2015, donc bien avant l’arrivée de Khalifa Sall à la mairie de Dakar.

Tchad: le maire de N’Djaména révoqué pour «mauvaise gestion»

La mairesse de N’Djaména, Djimet Ibet, désignée en novembre 2016, a été suspendue de ses fonctions par le gouvernement tchadien pour «mauvaise gestion». En cause, l’explosion de la masse salariale de la mairie avec 150.000 euros supplémentaires suite à un «recrutement fantaisiste» effectué par la mairesse depuis sa prise de fonction en novembre 2016. D'autre part, plusieurs malversations financières et des détournements de fonds ont été signalés par les autorités après une mission de contrôle de l’Etat.

Pourtant, pour les partisans de la mairesse, il s’agit d’une volonté des autorités de la remplacer par un candidat plus docile.

Pour eux, la mauvaise gestion est à chercher du côté des dirigeants qui ont dilapidé la manne pétrolière en si peu de temps et laissé le pays dans une situation économique difficile. Ils expliquent que le pouvoir central a dilapidé plus de 700 milliards de francs CFA en 2014, après la découverte du pétrole.

Rappelons qu’au Tchad, la position de maire de N’Djaména est fragile. Depuis les premières élections communales du pays en 2012, N’Djamena a connu 4 maires: Djimet Ibet, Saleh Abdel-Aziz Damane, Ali Haroun et Djimet Ibet Mariam. Tous ont été révoqués pour mauvaise gestion.

Niger: Assane Seydou écarté pour «défaut de salubrité»

Au Niger, c’est devenu une tradition. Après Oumarou Dogari, maire de Niamey, écarté en 2013 par le Conseil du gouvernement, c’est autour d’Assane Seydou de connaître le même sort en juillet 2017. Il a été révoqué par le gouvernement pour «défaut de salubrité», mais aussi pour détournement de deniers publics.

En effet, suite aux inspections lancées par le pouvoir, un déficit de 3 milliards de francs CFA, soit environ 4,6 millions d’euros, a été constaté dans les caisses de la mairie, en plus d’un endettement colossal de 24 milliards de francs CFA. En outre, il lui est reproché également des passations de marchés en violation de textes en vigueur et des consommations injustifiées de carburant (722 millions de francs CFA).

Bénin : Léhady Soglo, démis pour «faute lourde»

Léhady Soglo, fils de l’ancien président béninois, Nicéphore Soglo, a été suspendu en août dernier de sa fonction de maire de Cotonou par le pouvoir central. Et pour justifier cette décision, les autorités du Bénin ont accusé le maire de la capitale de «fautes lourdes». L’accusation « faute lourde » est la seule qui offre au pouvoir la possibilité de mettre fin au mandat d’un maire avant l’échéance de son mandat. En effet, l’article 20 de la loi n°97-028 de janvier 1999, portant organisation de l’administration territoriale, stipule: «le maire ou l’adjoint qui commet une faute lourde peut être révoqué de ses fonctions». Seulement, si cette faute lourde «est constatée par l’autorité de tutelle».

Outre la «mauvaise gestion» de la mairie, il est reproché à Léhady Soglo «l’augmentation de plus de 100% des frais de représentation en 2017 sans délibération du conseil municipal», la «vente non conforme au prix référentiel» d’un domaine public, etc.

Seulement, pour l’intéressé, toute cette affaire est montée par la présidence. «J’ai été tout à tour destitué de la tête de la formation politique et révoqué de la mairie de Cotonou, et ce par la même main invisible qui a télécommandé, disons les opérations, je veux parler du président de la République Patrice Talon», a-t-il souligné, justifiant sa destitution par la fait qu’il ait soutenu lors de la dernière élection présidentielle un autre candidat que l’actuel président.

Du coup, il a déposé un premier recours pour «déni de justice» devant la Cour constitutionnelle pour contester son éviction et une seconde devant la Cour administrative de la Cour suprême pour «excès de pouvoir».

Somalie: Taabit Abdi Mohamed évincé par un décret

Le dernier des épisodes des évictions des maires des capitales africaines a concerné le Somalien Taabit Abdi Mohamed. Celui-ci a été évincé par un décret du président Mohamed Farmajo et les forces de l’ordre ont pris d’assaut ses bureaux à Mogadiscio. Contrairement aux autres maires évincés, aucune raison valable n’a été avancée pour justifier son renvoi et son remplacement par un autre homme, désigné par le président.

Toutefois, pour la presse somalienne, ce limogeage est justifié par les ambitions du maire Taabit Abdi Mohamed qui souhaitait obtenir plus d’autonomie pour la capitale Mogadiscio et sa région, celle de Banadir, au même titre que les autres régions fédérales de la Somalie.

Si ce projet d’autonomie a bénéficié du soutien de la majorité du Conseil municipal, le gouvernement s’est opposé catégoriquement à l'autonomie qui donnerait plus de pouvoir au maire.

Rappelons que ces maires ne sont pas les premiers à subir les foudres de leur gouvernement. Par le passé, Andry Rajoelina, engagé dans un bras de fer avec le régime malgache, avait subi le même sort en 2009. Toutefois, sa destitution par le ministre de l’Intérieur avait entraîné des manifestations qui ont finalement amené Rajoelina à diriger la Haute autorité de la transition de Madagascar entre 2009 et 2013.

Malheureusement, d’autres pourraient suivre. Parmi les plus menacés figure la mairesse actuelle d’Antananarivo, capitale de Madagascar, en conflit ouvert avec son gouvernement.

Ces cas sont révélateurs de la qualité de la gouvernance politique au niveau des pays d’Afrique subsaharienne, notamment les pays francophones. Le problème est que les maires africains sont loin d’être protégés par les textes, du fait des insuffisances en matière de gouvernance politique. En plus, du fait du contrôle administratif exercé par l’Etat, ils ne sont pas à l’abri de révocations. En effet, au niveau des pays africains, la révocation des maires par le pouvoir est conforme à la loi. Seulement, afin d’éviter les abus, il est urgent de renforcer la gouvernance et de mettre fin à la facilité qu’on le président et le Conseil des ministres à révoquer les maires élus des capitales africaines. Malheureusement, on en est encore loin. Et la liste des maires démis par le pouvoir en place risque de s’allonger.

Par Moussa Diop
Le 18/02/2018 à 15h54, mis à jour le 18/02/2018 à 16h45