Le «serou rabal» en wolof est bien connu des femmes sénégalaises. Dans la valise ou l’armoire de toutes les grands-mères, il est là, souvent gardé pendant de nombreuses années. L’odeur d’ancienneté qui s’en dégage montre qu’il se transmet de génération en génération sans jamais subir l’effet du temps.
"A chaque étape de notre vie, nous retrouvons le pagne tissé. De la naissance à la mort en passant par le mariage, le baptême ou la circoncision il est omniprésent", indique Dame Dieng (conteur traditionnel).
A la naissance, il est recommandé d'envelopper le nouveau-né dans un pagne tissé offert par la tante paternelle (la Ndieuké), explique Dieng, notant que ce pagne sera la première couverture du nouveau-né et celui qui servira à la mère pour le porter.
Ainsi le nouveau-né sera bien protégé contre les mauvais esprits, mais il sera également un adulte "digne de respect".
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D'ailleurs, les Sénégalais aiment à rappeler qu'ils ont été portés dans des pagnes tissés, un moyen pour eux de se valoriser socialement, rappelle Dieng, ajoutant que "même ceux qui n’ont pas eu ce privilège le revendiquent parce que tout enfant porté avec un pagne tissé sera considéré comme digne et responsable".
S’il est d’avis que la tradition a été un peu atténuée chez les Wolofs pour le rite funéraire, Dieng souligne que le pagne tissé reste toujours "la dernière couverture pour le dernier voyage".
"Enveloppé dans le linceul après le bain, le mort est recouvert du pagne tissé avant la lecture de la prière mortuaire et l’acheminement vers le cimetière", précise-t-il, notant que le pagne ne sera retiré qu’au moment de mettre le corps dans la tombe.
"A cet instant précis, le pagne est retenu aux quatre extrémités, au-dessus de la tombe, par quatre hommes le temps que le corps soit complètement enseveli", explique encore Dieng.
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Ce pagne à titre symbolique sert également à la nouvelle mariée conduite au domicile conjugal, explique Ndella Faye, une sexagénaire, connue comme une gardienne de la tradition. Un rituel qui permettra, selon les croyances locales, de donner au nouveau ménage toutes les chances de réussite.
Le pagne tissé serait également un moyen d’attirer la chance et de conjurer le mauvais sort, selon les mêmes croyances.
Aïda Mbaye, vendeuse d’étoffes au marché central de Rufisque dans les environs de la capitale Dakar, affirme à ce propos, que le pagne tissé est un talisman efficace contre le célibat prolongé.
" Lorsqu’une femme peine à trouver un mari, il lui est recommandé de mettre pendant trois jours d’affilée un pagne tissé", assure-telle, notant que le port du pagne devra, toutefois, être accompagné par des formules mystiques prononcées par le griot de naissance (communicateur traditionnel) de l’intéressée.
"Si le processus est bien suivi, la femme en question aura rapidement une bonne nouvelle", ajoute-t-elle.
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L’historien Malick Seck rappelle de son côté que le pagne tissé a de tout temps été "l’étoffe de prestige" par excellence, d’où son omniprésence lors de toutes les cérémonies importantes.
Habillement confectionnée par des tisserands, principalement de l’ethnie Njaago (ce qui lui vaut même l’appellation de seurou njaago), cette étoffe lourde et souple est faite de motifs et de couleurs attrayantes.
D’où l’engouement qu’il suscite chez des stylistes de renommée comme Collé Ardo Sow et Adama Paris, deux Sénégalaises qui ont fini par faire du pagne tissé traditionnel leur tissu de prédilection pour fabriquer diverses tenues, boubous, chaussures et sacs à main.
Colobane (Dakar), le coin des tisserands
Être tisserand est un héritage chez les peuples Njaago. On se passe le flambeau de père en fils. Parfois le métier à tisser qui est utilisé peut facilement avoir une trentaine d’années. L’apprentissage du métier commence très tôt: d’abord comme assistant (arranger les fils, porter les rouleaux, ranger les pagnes, etc.), avant de faire ses preuves et avoir droit à son propre métier à tisser.
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Pour chaque métier à tisser, au moins quatre personnes travaillent en chœur. L’un étale le fil sur le métier, un autre aide à passer le peigne, un autre aide à passer les navettes ou l’ensouple. Ce travail à la chaîne permet ainsi de faire un pagne en 48 heures maximum selon la longueur et les motifs choisis.
Autrefois, seuls les pagnes étaient commercialisés, mais aujourd’hui, les artisans se sont aussi lancés dans la confection d’écharpes. Les écharpes simples et les patchées sont très prisées par les femmes qui les utilisent comme accessoires.
Les prix ici varient en fonction du travail que demande la création. Les écharpes coûtent entre 8.000 et 20.000 FCFA. Quant au pagne, il se vend entre 15.000 et 35.000 FCFA.
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À Colobane, où se trouve une dizaine de métiers à tisser, on travaille du matin au soir pour faire face à la forte demande. Les femmes d’affaires sont les clientes les plus assidues, viennent ensuite les stylistes et enfin les clientes ordinaires.
Les stylistes sont friands de ce pagne, car il est rare et les collections sont minimales. Sur le marché, un vêtement en pagne tissé vous coûtera très cher.
Mais si les artisans ne chôment pas, ils se sentent un peu floués dans ce business, car la vente de leurs produits profite surtout à leurs clientes. Ces travailleurs qui sont dans l’informel ne connaissent ni les rouages de l’exportation ni les marchés porteurs pour écouler leurs produits. Une aubaine pour les revendeurs qui achètent au prix bas et revendent parfois cinq fois plus cher, surtout à l’étranger. Le pire, disent-ils, c’est que les exportateurs se font aussi passer pour les créateurs. Les artisans n’ont même pas le plaisir d’être reconnus pour leur talent.
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Kabanta Nanki, qui gère les tisserands de Colobane, a hérité de cette passion de son père et sait que les revenus sont loin de valoir le travail abattu: «Les prix que nous pratiquons sont très en deçà de tout le travail que demande la confection de ces pagnes. Tout est fait à la main, le travail est minutieux et prend du temps. Alors, quand nous nous rendons compte que certains gagnent trois ou quatre fois plus grâce à notre sueur, ce n’est pas très motivant», assure-t-il.
Certaines clientes sont très fidèles et viennent depuis des années s’approvisionner pour ensuite expédier leur marchandise à l’étranger. «J’ai une dame qui vient ici presque tous les deux mois pour acheter des pagnes et des écharpes. Au début, elle venait en car rapide et aujourd’hui, elle roule en gros 4x4. J’ai appris qu’elle vend nos pagnes entre 60 et 70.000 FCFA et qu’elle dit que c’est elle qui les fabrique. On se sent un peu utilisés pour enrichir les autres».
Le combat aujourd’hui pour ces artisans serait donc de se professionnaliser pour pouvoir se lancer dans l’exportation de leur production.