Abidjan: l’interdiction des deux-roues n’aura duré que 24 heures

Un tricycle dans une ruelle d'Abidjan

Le 20/12/2025 à 09h50

VidéoAvant d’interdire, il faut penser à des solutions de rechange. Tel est l’argument avancé par les livreurs pour stopper la décision du District autonome d’Abidjan d’interdire les grandes artères aux deux et trois roues de ceux, et ils sont nombreux, qui ont fait de la livraison leur source de revenus.

Annoncée pour renforcer la sécurité routière dans le district d’Abidjan, l’interdiction des engins à deux et trois roues, a provoqué une onde de choc sociale. Face aux craintes exprimées par les populations et aux plaintes des acteurs concernés, en partie chez les livreurs à moto, le gouvernement a finalement suspendu la mesure.

À Abidjan, les motocyclistes sont fortement impliqués dans les accidents, représentant une part significative des accidents corporels et des décès, avec des chiffres alarmants montrant qu’ils sont souvent en cause.

Les statistiques récentes de l’Office des transports, montrent une proportion élevée d’accidents impliquant des motos, parfois jusqu’à 68% des accidents sur certains axes, avec des causes principales comme l’excès de vitesse, l’imprudence, et le non-respect du code. Les dégâts sont lourds: 37% des décès routiers à Abidjan impliquent des deux-roues, entraînant des blessures graves et des pertes économiques considérables, justifiant cette mesure d’interdiction de circulation sur certains boulevards.

Pour lutter contre la recrudescence des accidents de la circulation, souvent mortels, l’État de Côte d’Ivoire a annoncé leur interdiction dans le district autonome d’Abidjan. Dans les rues déjà saturées de la capitale économique, l’objectif affiché était clair: réduire les risques, sauver des vies et rétablir un minimum de discipline sur les axes routiers.

Cette annonce avait provoqué une onde de choc chez plusieurs usagers, surtout les livreurs à moto. Très vite, la mesure a suscité des réactions contrastées. Si certains riverains et usagers de la route ont salué une décision «courageuse. L’Etat a raison d’en interdire la circulation dans le district car ils sont réputés pour leur incivisme», explique Mamadou Soumahoro, responsable de syndicat de transporteur. Et ce n’est Toti Charles qui lui donnera tort «je reconnais que nous les motocyclistes, roulons mal…».

Mais beaucoup d’autres y ont vu une menace directe pour leur survie économique, «Interdire aux motos et tricycles de passer sur toutes ces grandes routes que nous empruntons tous les jours, c’est comme leur interdire tout Abidjan. C’est la moto qui me permet de subvenir à mes besoins», confie Kouakou Yao, un livreur rencontré à Yopougon, inquiet à l’idée de voir son activité brutalement stoppée.

À Abidjan, les engins à deux et trois roues ne sont pas de simples moyens de locomotion, mais sont devenus un maillon essentiel de l’économie urbaine.

«Interdire les engins à deux et trois roues à Abidjan au lieu de renforcer la réglementation, de construire des pistes cyclables, d’imposer un contrôle technique effectif et de sanctionner l’indiscipline est une décision injuste et inefficace tout comme l’a été la limitation d’âge à cinq ans pour certains véhicules importés», estime Mamadou Soumahoro, responsable de syndicat de transporteur.

Et d’ajouter, «personnellement ça m’a fait de la peine, parce ce que c’était comme mettre des jeunes, des pères de familles au chômage», confie Fofana Yaya, conducteur.

Selon les estimations, près de 7000 livreurs utilisent quotidiennement motos et tricycles pour assurer la livraison de repas, de colis ou de marchandises diverses dans la capitale. Pour ces jeunes, souvent sans emploi stable, la moto représente bien plus qu’un moyen de transport, c’est un gagne-pain.

Les plaintes et craintes exprimées à travers les médias et sur les réseaux sociaux ont fini par peser. Face à la grogne grandissante, le gouvernement a revu sa position en annonçant la suspension de la décision.

L’annonce de la suspension a été accueillie avec soulagement par les acteurs du secteur. Livreurs et chauffeurs de tricycles ont exprimé leur satisfaction, tout en reconnaissant la nécessité de mieux encadrer leur activité. «Nous sommes contents, mais nous savons aussi que des efforts doivent être faits pour réduire les accidents», admettait un responsable d’association de conducteurs.

Plusieurs propositions donc ont émergé pour concilier sécurité et activité économique dont le renforcement de la formation des conducteurs, l’obligation du port du casque…

«On peut comprendre la volonté du gouvernement de rétablir l’ordre routier et de réduire les accidents impliquant ces engins. Mais interdire purement et simplement ne suffit pas; il faut une véritable sensibilisation, créer des pistes cyclables pour ces engins et imposer un contrôle technique effectif et de sanctionner l’indiscipline», a suggéré Mamadou Soumahoro.

Pour rappel, un plan de circulation des deux-roues et triporteurs est en vigueur à Abidjan depuis septembre 2021. Après la suspension des nouvelles restrictions, le District autonome d’Abidjan en appelle désormais au respect strict du code de la route par tous les usagers.

En attendant une réforme plus consensuelle, la question de la cohabitation entre motos et automobiles sur les grands axes d’Abidjan reste entièrement ouverte.

Par Emmanuel Djidja (Abidjan, correspondance)
Le 20/12/2025 à 09h50