Abidjan veut se «débarrasser» des vendeurs ambulants, des charrettes et des mendiants, mais le coût social fait débat

Des charretiers et des vendeurs ambulants.

Le 13/04/2024 à 15h51

Les rues et grandes artères de la capitale économique ivoirienne, Abidjan, seront désormais débarrassées de toutes sortes de désordre urbain, notamment le commerce ambulant, la mendicité et l’usage des charrettes à bras. Ces activités ont été formellement interdites sur toute l’étendue du district par le ministre gouverneur.

C’est une démarche engagée à la veille de la récente CAN en Côte d’Ivoire. Dans le cadre de l’assainissement de la ville d’Abidjan, le nouveau gouverneur a initié une vaste opération de nettoyage des rues et grandes altères de la ville vitrine du pays. Ainsi plusieurs quartiers se sont vus réduits en poussières.

Le cap est désormais mis sur le commerce ambulant, la mendicité sur toutes ses formes et l’usage des charrettes à bras communément appelées wotro.

Cette interdiction est perçue comme une avancée vers une ville plus propre, ordonnée et sécurisée. La mendicité, le commerce ambulant et les charrettes à bras sont souvent associés à des problèmes tels que la délinquance, l’insalubrité, voire même l’exploitation de personnes vulnérables. «Je suis tout à fait d’accord avec cette décision. Pour moi qui réside à Cocody où la circulation est plus ou moins fluide, quand j’arrive à Adjamé, je remarque que ces gens créent beaucoup d’embouteillages», dit Konan Mathurin, habitant de Cocody.

C’est à juste titre que le ministre gouverneur a indiqué que ces nouvelles résolutions visent à «assainir le cadre de vie des populations, à assurer davantage la sécurité des personnes et des biens, ainsi qu’une meilleure fluidité routière mais surtout restaurer l’image d’Abidjan, capitale économique du pays», a déclaré Cissé Bakongo.

Cette décision du ministre gouverneur du district autonome d’Abidjan est sans doute la bienvenue pour certains d’autant plus que cette opération contribuera à assainir la capitale économique du pays, lui donner une fière allure digne d’une ville métropole. Cependant la mesure ne fait pas le choux-gras de tous.

Pour d’autres, cette décision soulève des inquiétudes quant à son impact social. La mendicité est souvent le dernier recours de personnes en situation de précarité, notamment des enfants et des personnes âgées. L’interdiction risque donc de les priver d’une source de revenus vitale, sans pour autant proposer des solutions alternatives pour les aider à subvenir à leurs besoins. De même, de nombreux petits commerçants dépendent du commerce ambulant pour leur subsistance quotidienne. L’interdiction pourrait les priver de leur gagne-pain et les plonger dans une situation financière précaire.

Les concernés s’en plaignent car disent-ils n’ont aucun point chute s’ils abandonnaient leurs activités. «Cette décision ne nous arrange pas. Nous sommes livrées à nous-même et on doit nourrir nos enfants et nos familles. Nous ne comptons pas sur l’aide de petits amis. Nous n’avons pas envie de circuler entre les véhicules pour vendre, mais nous sommes obligées de le faire. Qu’allons donc nous devenir si on abandonne nos activités? Nous implorons leur clémence, que l’Etat nous vienne en aide», implore Sali Konaté, vendeuse ambulante d’eau dans la commune d’Adjamé.

Plus mesurées, des personnes en appellent par conséquent à des mesures d’accompagnement pour ces personnes qui font de ces activités désormais interdites, leur source de revenus.

«C’est bien de les déguerpir, mais où vont-ils après? Puisque qu’ils ne vivent que de ces activités» questionnent-elles. Et Youssouf Habib d’ajouter, «il faut les encadrer, leur trouver un site où ils pourront continuer leurs activités sans toutefois ternir l’image de la ville. Concernant les mendiants, l’Etat pourrait allouer un fonds pour leur prise en charge et suivi. Il faut également moderniser et structurer l’activité des wotrotigui (pousseurs de charrettes, ndlr) en leur créant une gare dans les communes où ils exercent parce que quoiqu’on dise, l’on a besoin d’eux. En tout état de cause tout cela participe à l’économie du pays. L’essentiel est de lutter contre la pauvreté et non contre les pauvres», explique cet opérateur économique.

Notons que les charrettes à bras sont souvent utilisées pour le transport de marchandises dans plusieurs quartiers où les véhicules motorisés ne peuvent pas accéder facilement et aussi dû aux coûts jugés excessifs des taxis. Leur interdiction pourrait entraver la circulation des biens et avoir des répercussions sur l’économie locale.

Dès son accession à la tête du district autonome d’Abidjan, le ministre gouverneur a fait de la lutte contre le désordre urbain l’un des projets majors et s’y atèle notamment avec la vaste opération de déguerpissement en cours et cette décision d’interdiction de la mendicité, du commerce ambulant et l’usage des charrettes à bras qui ne sont pas sans impacts social et économique. Il est donc primordial que les autorités prennent en compte les préoccupations et proposent des solutions équilibrées pour assurer le bien-être de tous les citoyens.

Par Emmanuel Djidja (Abidjan, correspondance)
Le 13/04/2024 à 15h51