L’assassinat vendredi dernier d’un témoin devant la Commission judiciaire d’enquête sur la criminalité, l’ingérence politique et la corruption dans le système de justice pénale, a provoqué une onde de choc en Afrique du Sud et relancé en même temps la controverse sur la protection des lanceurs d’alerte.
Marius van der Merwe (41 ans), qui utilisait le pseudonyme « Témoin D », devant ladite Commission, a été abattu par deux balles devant son épouse près de son domicile à Brakpan, dans l’Ekurhuleni, aux environs de Johannesburg.
Il avait récemment attiré l’attention après avoir révélé des cas de corruption au sein de la police métropolitaine (EMPD), du temps où il était officier de police, avant de démissionner pour fonder sa propre compagnie de sécurité en 2022.
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Son témoignage comportait une allégation choquante concernant la dissimulation orchestrée d’un meurtre en 2022, au cours duquel il avait reçu l’ordre du chef de l’EMPD, Julius Mkhwanazi, de se débarrasser d’un corps dans le barrage de Spaarwater.
Van der Merwe, également connu sous le nom de « Vlam », a signalé l’affaire à l’unité d’élite Hawks, ainsi qu’à la Direction indépendante d’enquête sur la police, une allégation que Mkhwanazi, aujourd’hui suspendu, a niée devant la Commission.
Le président Cyril Ramaphosa a condamné son assassinat, assurant que le gouvernement redoublera d’efforts pour protéger les lanceurs d’alerte, y compris les témoins devant la Commission Madlanga, « car ils servent la nation avec bravoure face aux menaces criminelles ».
La Commission Madlanga, du nom d’un juge retraité de la Cour constitutionnelle, a été créée par Ramaphosa en juillet 2025, pour enquêter sur la collusion présumée entre responsables politiques, hauts gradés de la police et réseaux criminels.
Le Congrès National Africain (ANC) à Ekurhuleni a appelé les forces de l’ordre à agir rapidement pour appréhender les meurtriers présumés de van der Merwe, se disant choqué par ce qu’il qualifie d’assassinat calculé d’un témoin clé de la Commission.
Le parti a exhorté la Commission Madlanga et la Commission ad hoc du Parlement à poursuivre leurs travaux et à ne pas se laisser intimider par ces meurtres, ni à permettre à la violence ou à la criminalité de faire dérailler le travail de l’enquête.
Glynnis Breytenbach, porte-parole de l’Alliance démocratique (DA), a qualifié ce meurtre d’attaque directe contre la justice en Afrique du Sud, estimant que « ce type de comportement mafieux, où les lanceurs d’alerte sont abattus pour avoir dit la vérité, est quelque chose que notre pays n’a jamais connu à une telle échelle ».
« C’est terrifiant, c’est effronté et c’est clairement destiné à envoyer un message d’intimidation pure », a-t-elle ajouté.
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Le premier vice-président du Congrès des syndicats sud-africains (COSATU), Mike Shingange, a décrit ce meurtre comme un mauvais signe pour « l’état terrible de notre démocratie », estimant que « nous ne pensons pas que ce soit pour cela que les gens se sont battus ».
Le porte-parole du MK Party, Nhlamulo Ndhlela, a qualifié l’assassinat de Van der Merwe d’acte accablant qui illustre l’incapacité du gouvernement à fournir une protection adéquate.
Pour les Combattants pour la liberté économique (EEF, extrême gauche), cet « assassinat est un message calculé destiné à intimider la Commission, à réduire au silence les témoins et à protéger les syndicats criminels et les cartels de la drogue profondément enracinés dans les agences de sécurité sud-africaines ».
La députée d’ActionSA, Dereleen James, a souligné la nécessité urgente pour le Comité ad hoc du Parlement et la Commission Madlanga de garantir une protection adéquate à toutes les personnes mises en danger par leur témoignage.
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Le secrétaire général du Good Party, Brett Herron, a déploré les risques liés au témoignage, affirmant que l’anonymat ne garantit pas la sécurité. Il a soutenu que le témoignage des lanceurs d’alerte « peut conduire à leur identification, ce qui pourrait être le cas ici ».
Lizette Lancaster, de l’Institut d’études de sécurité (ISS), a déclaré qu’il était profondément préoccupant et tragique qu’une personne ayant parlé avec autant de courage ait été tuée.
« Il fait partie des nombreuses personnes tuées pour avoir dit la vérité, et il est clair que nous avons besoin d’un meilleur système, avec davantage de ressources pour protéger les témoins, car nous parlons de centaines de personnes tuées pour avoir tenté de faire ce qui est juste », a-t-elle expliqué.
L’analyste politique, André Duvenhage, a affirmé que le meurtre de Van der Merwe correspond clairement aux dérives d’un État mafieux et révèle l’un des échecs du système de justice pénale.
« Cela montre aussi que nous ne pouvons pas protéger l’identité des témoins, et lorsque le message se répand qu’un témoin a été tué, les autres ont peur de se manifester », a-t-il ajouté.
Alors que la ministre de la Justice, Mmamoloko Kubayi, a assuré que la Commission a fait tout ce qui était en son pouvoir pour protéger les lanceurs d’alerte, des témoins ont déclaré à la presse que, sans aucune protection, « ils vivent l’enfer » et que « tout comme pour Van der Merwe, nous commençons à sentir que c’est notre tour, quoi qu’il arrive ».
Le Centre d’opérations NATJOINTS, une des équipes organisationnelles interministérielles de sécurité les plus expérimentées du pays qui a récemment supervisé la sécurité des chefs d’État lors du Sommet du G20, a tenu une réunion à Pretoria en vue d’améliorer le plan opérationnel de sécurité de la Commission.
Dans l’entretemps, des organisations de la société civile ont organisé, dimanche soir à Johannesburg, une cérémonie aux chandelles en hommage à van der Merwe pour ne pas permettre, disent-elles, que « ceux dont les vies ont été perdues soient morts en vain ».
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La veuve inconsolable de Van der Merwe a, quant à elle, publié sur les réseaux sociaux un post émouvant sous le titre « Comment dire au revoir ? » qui a totalisé en peu de temps des milliers de vues et de commentaires, alternant indignation et colère, mais aussi de condoléances et sympathie.



