Le rond-point de Kipé, à Centré-émetteur, vit au rythme de Conakry, entre chauffeurs pressés, vendeuses qui interpellent, passants qui zigzaguent entre les embouteillages. Au milieu de cette cohue, les étals de fruits peinent à attirer les acheteurs.
Le prix, devenu prohibitif, décourage même les plus déterminés. C’est le cas de Boubacar Barry, rencontré au bord de la route, un petit sachet noir à la main contenant seulement deux oranges, «je viens de payer deux oranges à 10.000 francs guinéens. Le marchand m’a proposé quatre à 20.000. Au final, le me suis contenté de deux fruits. Je crois qu’avec ces prix, beaucoup ne pourront plus s’en offrir».
Quelques mètres plus loin, Mamadou Sadjo Diallo observe des pastèques alignées sur une bâche. Il connaît les prix par cœur, «une pastèque ou une papaye s’achète à partir de 30.000, 50.000 voire 100.000 francs guinéens».
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Ces tarifs ne tombent pas du ciel, mais sont l’aboutissement d’une chaîne d’approvisionnement qui se dégrade, et qui fait que les prix d’achat grimpent plus vite que les revenus. Les commerçantes du rond-point s’efforcent de tenir, mais leur marge fond comme neige au soleil.
Au milieu de son étal, Hadjaein Diallo détaille les dépenses qu’elle doit engager. «Nous nous approvisionnons à Mototo. J’achète une ananas à 20.000 francs l’unité, le pied du bananier entre 400.000 et 500.000 francs. Pour pouvoir faire des bénéfices, nous sommes obligés de revendre quatre bananes à 20.000. Un carton de mandarine vaut 280.000, celui de pomme à 450.000 qui sera revendu à 5.000». Face à ces coûts, les bénéfices sont minces.
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Fatoumata Konaté, commerçante expérimentée, se souvient d’une époque où le commerce des fruits permettait de vivre décemment. Aujourd’hui, elle parle d’un métier qui ne rapporte presque plus rien, «les pastèques, nous les prenons à 50.000 ou 60.000 puis les revendons à 55.000 ou 65000. Je n’ai donc que de 5.000 francs de bénéfice. Actuellement, il n’y a quasiment plus d’intérêt à faire ce métier. À l’époque du Général Lansana Conté, nous pouvions nous en sortir. Mais aujourd’hui, les gens n’ont plus d’argent». Lansana Conté, a été président de la république de Guinée de 1984 à sa mort, soit durant 24 années.
Avec l’effondrement du pouvoir d’achat, même des fruits qui étaient abordables sont devenu inaccessibles pour les commerçantes elles-mêmes, incapables de renouveler leurs stocks: «Actuellement, les fruits sont plutôt abordables, mais le problème réside dans l’approvisionnement. Parfois, même avec deux millions de francs guinéens, nous rentrons bredouilles», confie Fatoumata Konaté.
En république de Guinée, le salaire minimum interprofessionnel garanti est passé, en 2022, de 440.000 à 550.000 francs alors que l’inflation est passée de 10,5% en 2022 à 7,8% en 2023.
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Au rond-point de Kipé, les étals clairsemés témoignent d’un marché sous tension. Le fruit, symbole de vitalité, est devenu un produit de luxe dans une capitale où les portefeuilles s’amincissent. Et pour commerçants comme consommateurs, l’avenir reste incertain.
