Côte d’Ivoire: «Les primates sont menacés de disparition», s’inquiète le primatologue Koné Inza

Primate dans le Parc national de Taï, dans le Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire.

Le 09/06/2024 à 13h32

VidéoEspèce animales plus proches de l’homme, les primates jouent un rôle de premier ordre dans la préservation de l’écosystème forestier. Mais le braconnage, l’expansion urbaine et la déforestation les privent de leur habitat naturel qui se réduit comme une peau de chagrin. Un projet de sauvegarde de ce patrimoine génétique a été lancé.

Les primates jouent un rôle crucial dans leurs écosystèmes respectifs. En tant que pollinisateurs et dans l’essaimage de graines, ils contribuent à la régénération des forêts tropicales, vitales pour la biodiversité et le climat mondial. Leur présence et leurs comportements influencent directement la santé et la dynamique des écosystèmes, montrant que leur protection est intrinsèquement liée à la préservation de l’environnement global.

Dans le Parc national de Taï, l’on trouve toutes les 13 espèces de primates du sud-ouest de la Côte d’Ivoire. Également le Parc national du Banco qui malgré sa localisation en pleine agglomération abidjanaise abrite encore une colonie de chimpanzés et plusieurs groupes de mones de Lowe.

Dans le domaine rural, des forêts sacrées abritent des colonies de singes dans l’Ouest, le centre et le Nord-est du pays et la Forêt des Marais Tanoé-Ehy, dans le sud-est de la Côte d’Ivoire est aujourd’hui considéré comme un site hautement prioritaire pour la conservation des primates en Afrique de l’Ouest. Cette forêt est caractérisée par la présence d’un grand nombre d’espèces de primates, soit neuf au total et surtout par le fait que la plupart de ces primates font partie des espèces les plus menacées d’extinction en Afrique de l’Ouest.

Ces derniers temps, sous l’effet de plusieurs menaces dont la principale est la perte de leur habitat, ces espèces animales sont en train de disparaître. La situation est alarmante. Professeur Koné Inza est primatologue, depuis des années il se bat pour la conservation et la survie des primates, aujourd’hui gravement menacés. A l’initiative d’un projet ambitieux: «RASAP-CI», pour la sauvegarde de ce patrimoine, il éveille les consciences sur l’apport des primates dans l’écosystème.

«Les primates sont indispensables à la bonne santé des écosystèmes dans lesquels ils se trouvent. En effet, ils jouent un rôle important pour la régénération des forêts à travers le phénomène de dispersion des graines. Lorsqu’ils consomment les fruits d’un arbre, ils le transportent généralement loin de cet arbre et les graines qu’ils laissent tomber loin de l’arbre parent ont plus de gens de germer et se développer en d’autres arbres par rapport aux graines qui tombent au pied de l’arbre parent», fait savoir Inza Koné, primatologue, enseignant-chercheur en Bio-science à l’Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan.

De nombreuses études démontrent qu’en l’absence des primates non humains, aucune autre espèce animale ne peut jouer ce rôle pour plusieurs espèces de plantes importantes dans les écosystèmes forestiers. Les forêts sans primates sont ainsi moins vulnérables que les forêts avec plusieurs espèces de primates. Alors pour le directeur du Centre Suisse pour la recherche scientifique, protéger ces espèces et lutter pour leur sauvegarde est non seulement un impératif écologique, mais aussi une responsabilité éthique. Il en a fait son affaire.

«La perte des habitats (avec la perte de 70% de son couvert forestier) et le braconnage (très répandu dans toutes les régions du pays pour des raisons économiques et culturelles), explique cette diminution des populations de singes. Cette perte des habitats est provoquée par les expansions agricoles, l’urbanisation, les infrastructures. Toutes ces activités sont extrêmement importantes, mais elles peuvent et doivent se faire en tenant compte de plus en plus des exigences environnementales qui deviennent la norme dans la planification du développement», décrie le primatologue.

Prof Koné Inza décline ses perspectives dans ce combat. «Vu qu’on obtenu, il y a quelques années seulement, le classement de la forêt, il va donc falloir mettre en œuvre un plan d’aménagement et de gestion. Si on réussit à maîtriser les menaces du côté de la Côte d’Ivoire, cela n’est pas. Des gens peuvent venir du Ghana frontalier par traversée du fleuve Comoé assez facilement pour abattre nos primates. Nous travaillerons donc à amener les peuples des deux pays à s’entendre afin d’éviter la destruction de ces animaux», dit-il.

Avant d’ajouter, «Ces plans d’actions permettent de fédérer les acteurs autour d’une vision commune et de faciliter la mobilisation des fonds pour des actions à impacts complémentaires. La Société Africaine de Primatologie soutient aussi toutes les initiatives prises par des primatologues africains dans leurs pays respectifs pour empêcher par exemple la destruction d’une forêt abritant une espèce menacée de primate».

Avec 22 espèces de primates non humains, la Côte d’Ivoire est le deuxième pays avec le plus grand nombre d’espèces en Afrique de l’Ouest après le Nigeria. Quant aux espèces relativement abondantes comme les mones, leur nombre a fortement diminué et il n’y en a même plus dans certains villages ou certaines forêts. Le triste constat est que les espèces très rares n’existent pratiquement plus dans leur aire de distribution historique du fait de la perte des habitats et du braconnage. C’est le cas des chimpanzés dont la Côte d’Ivoire a perdu plus de 90% de la population au cours des 30 dernières années. Au total, 68% des espèces de primates en Côte d’Ivoire sont menacés d’extinction.

Par Emmanuel Djidja (Abidjan, correspondance)
Le 09/06/2024 à 13h32