Les médicaments illicites représentent entre 20 à 60% du marché officiel des pays de la CEDEAO

Le 10/10/2023 à 09h36

L’Afrique de l’Ouest est un maillon essentiel du trafic de produits médicaux illicites. Ces produits qui proviennent de quatre principaux pays, deux africains et deux asiatiques, rapportent plus d’argent que le trafic du pétrole brut et de la cocaïne réunis. Plusieurs facteurs expliquent le développement de ce trafic qu’il urge de combattre, les conséquences étant des plus néfastes sur la santé des populations de la région.

En juin dernier, ce sont 14 tonnes de médicaments illicites qui ont été saisies par la douane ivoirienne à Abengourou, dans l’Est du pays. Ces médicaments frauduleux étaient chargés dans des camions en provenance du Ghana dont les chauffeurs ont présenté des factures d’achat de noix de cajou.

Il ne s’agit pas d’un cas isolé. En octobre 2022, une opération policière d’envergure au niveau du marché Roxy d’Abidjan, le centre névralgique du trafic de médicaments en Côte d’Ivoire, avait permis la saisie de 30 tonnes de faux médicaments.

Il ne se passe pas un mois sans qu’une opération coup de poing ne soit lancée dans un pays de la région ouest-africain et qui ne se traduise pas par la saisie de quantités importantes de médicaments illicites. D’ailleurs, selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), dans un rapport publié fin janvier 2023, jusqu’à 50% des médicaments dans les pays du Sahel sont de qualité inférieure à la norme ou falsifiés.

Les pays de l’Afrique de l’Ouest sont inondés de médicaments contrefaits. Si le phénomène touche de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, la situation est devenue inquiétante au niveau des pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO). Pour preuve de l’ampleur de ce trafic, les médicaments illicites représentent entre 20 et 60% du marché officiel de la région. Pire, dans certains pays, dont le Burkina Faso et la Guinée, cette proportion atteint 80%. Cela revient à dire que seulement 20% des médicaments vendus dans ces pays sont licites.

Selon un rapport de la CEDEAO intitulé: «Le trafic illicite de produits médicaux en Afrique de l’Ouest», la région est au cœur du trafic de produits médicaux illicites, es produits illicites les plus courants sont les antipaludiques. Pour ces produits, on estime à 48% du marché (soit environ 438 millions de dollars) proviennent de sources illicites.

Derrière cette catégorie de médicaments suivent les antibiotiques et les antirétroviraux (Vih/Sida). «Au bas de l’échelle se trouve par exemple le paracétamol générique. Ses coûts de production et de distribution n’étant pas élevés, son prix de marché est relativement faible, y compris sur le marché officiel. Cependant, les vendeurs de rue (le plus bas échelon des acteurs du marché illicite) sont en mesure de réaliser cinq fois le bénéfice des pharmaciens, en vendant les comprimés individuellement plutôt que par boites de dix comprimés», lit-on dans le rapport.

En outre, le facteur de confiance des consommateurs joue un rôle dans le développement de ce commerce frauduleux de médicaments. En effet, dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, les populations n’ont pas confiance aux génériques qu’ils considèrent comme des produits de qualité inférieure «fabriqués uniquement pour les pays africains». Du coup, nombreux sont ceux qui préfèrent acheter des médicaments illicites de «marque» que d’acheter des produits génériques qui coûtent souvent beaucoup moins chers que ces produits illicites.

Il faut souligner qu’en l’Afrique prise globalement, le taux de pénétration des médicaments illicites se situe à 30%, contre 1% dans les pays industrialisés.

Il s’agit d’un trafic qui génère d’importants flux d’argent. Ainsi, selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, la vente des médicaments de contrefaçon au niveau de la région a atteint un milliard de dollars, dépassant la valeur du trafic du pétrole brut et de la cocaïne réunis.

Une situation qui attire naturellement des organisations criminelles spécialisées dans les trafics en tout genre et qui sont présents sur toute la chaine de valeur du médicament. «Du vendeur de la rue au fabriquant, tous les acteurs impliqués dans le marché illicite de produits médicaux sont poussés par le souci de maximiser les bénéfices», souligne le rapport, avec des bénéfices annuels au niveau du marché mondial évalués entre 30 et 75 milliards de dollars.

Ce trafic illicite emprunte des chaînes d’approvisionnement complexes. Toutefois, deux principaux pays sont à l’origine des produits médicaux illicites que l’on trouve en Afrique de l’Ouest: l’Inde et la Chine.

Ces produits sont importés par voies maritime et transitent via les principaux ports de la région, notamment ceux de Conakry, (Guinée), Téma (Ghana), Lomé (Togo), Cotonou (Bénin) et Apapa (Nigeria).

«En général, les fabricants illicites n’exportent pas leurs produits médicaux directement mais utilisent plutôt des intermédiaires comme les compagnies de fret locales liées à la diaspora ouest-africaine, par exemple la diaspora nigériane dans la ville portuaire de Guangzhou en Chine», expliquent les auteur du rapport.

Et pour brouiller les pistes, l’approvisionnement prend parfois des voies tortueuses et durent parfois plusieurs mois avec des zones de transit connues (Dubaï, Egypte…) afin de dissimuler l’origine de la marchandise. Le port de Conakry est le principal point d’entrée des importations de produits illicites en provenance des deux géants asiatiques et le marché Madina de Conakry une importante plateforme de stockage et de distribution de ces produits au niveau de la sous-région.

Outre ces deux géants asiatiques de l’industrie pharmaceutique, de nombreux produits médicaux illicites proviennent de la région. Ainsi, le Nigeria et le Ghana sont de grands producteurs de produits médicaux frauduleux. «Sur 172 fabricants de produits pharmaceutiques basés dans les pays de la CEDEAO, 120 se trouvent au Nigeria et 37 au Ghana», souligne le rapport.

Ces produits connaissent une demande du fait d’un certain nombre de facteurs structurels dont particulièrement le fait qu’ils soient abordables et accessibles. En ce qui concerne l’accessibilité, il faut souligner que dans certains pays de la région, la couverture en pharmacies est faible. A titre d’illustration, selon le rapport, au Burkina Faso et en Guinée, deux des pays les plus touchés par le trafic de médicaments illicites, on compte un ratio de 0,15 pharmacie pour 10.000 habitants, bien en dessous de la moyenne mondiale qui est de 4 et également en dessous de la moyenne de l’Afrique subsaharienne (0,8 pour 10.000 habitants). De ce fait, les populations ont du mal à accéder aux médicaments licites.

Outre le problème de disponibilité, le facteur coût est déterminant. En effet, les produits médicaux illicites, quels qu’ils soient, sont toujours moins chers sur le marché illicite. Ainsi, prenant le cas du Doliprane, les auteurs du rapport soulignent que ce médicament «est vendu 50.000 francs guinéens (5,84 euros) dans les pharmacies, mais peut être acheté au grand marché de Madina à Conakry pour un tiers de ce prix».

A ces facteurs s’ajoutent d’autres. «L’inefficacité de la réglementation, la faible application des lois, la corruption et la pénurie de ressources ont permis au marché illicite de prospérer en Afrique de l’Ouest et sur tout le continent, et les produits médicaux illicites sont un des enjeux principaux du développement», explique le rapport.

A titre d’illustration, en Guinée, un cadre législatif spécifique criminalise le trafic de produits médicaux et prévoit des peines de 5 à 10 ans de prison. Toutefois, les contrevenants sont rarement épinglés et le trafic de médicaments illicites est florissant dans le pays.

Conséquence, dans ce pays qui est au cœur de ce trafic en Afrique l’Ouest, les produits médicaux illicites représentent jusqu’à 80% du marché officiel, selon les estimations des études réalisées au Burkina Faso et en Guinée. Outre l’impact du port et des entrepôts de stockage de Conakry, le rôle de la Guinée dans ce commerce sous-régional s’explique aussi par l’ampleur de la corruption au niveau des administrations portuaires facilitant les fausses déclarations au point d’entrée, en créant de fausses étiquettes (rebranding). Une fois que les produits quittent le port, plusieurs canaux sont utilisés pour les écouler dans les pays limitrophes en utilisant divers moyens de transport (camions, voitures, cars, train, motos, pirogues, vélo…) et en fragmentant les expéditions et en les mélangeant à d’autres produits licites. Sur les routes également, la corruption permet de faciliter la circulation des produits médicaux illicites d’un pays à un autre.

En conclusion, selon les auteurs du rapport, «la corruption joue un rôle crucial en permettant au marché illicite de prospérer, malgré les contre-mesures prises par les autorités nationales et régionales». En plus, les implications et les ingérences de certains décideurs politiques et sécuritaires nuisent à la lutte contre ce fléau. A ce titre, le rapport donne en exemple la Guinée où en 2019, «le service des douanes a saisi plus de 10 camions de produits médicaux illicites appartenant au frère du ministre de la Défense sous le président de l’époque, Alpha Condé. Après intervention de ce dernier, l’auteur de l’infraction a été libéré, avec tous ses produits, et à même bénéficié d’une escorte de gendarmes».

A cause de ces nombreux facteurs, la région Afrique de l’Ouest est devenue le cœur de ce trafic. Et pour lutter contre ce phénomène, il ne suffit pas simplement réaliser une à deux opérations coup de poing avec un renfort de publicité et des effets d’annonces sur les tonnes de médicaments illicites saisies.

Pour une lutte efficace, il faut agir sur les causes principales du phénomène (disponibilité des médicaments, accessibilité aux produits, lutte contre la corruption…), mettre en place des lois criminalisant ce trafic et les respecter scrupuleusement. Il faut également mettre l’accent sur la sensibilisation des populations aux méfaits de ces médicaments illicites via des campagnes de communication empruntant divers canaux (radio, télé, visites de terrain…).

Par Moussa Diop
Le 10/10/2023 à 09h36