Faux médicaments: les États africains décident enfin de criminaliser ce trafic

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Le 20/01/2020 à 11h59, mis à jour le 21/01/2020 à 10h04

Alors que 42% des médicaments vendus en Afrique subsaharienne sont des faux, ces pays de cette région vont enfin sévir. Réunis le samedi 18 janvier dernier à Lomé, au Togo, les présidents de pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale ont décidé de criminaliser ce trafic.

Il était temps. Les chefs d’Etat africains ont pris la pleine mesure de l’impact qu’a l’important trafic de faux médicaments (*) dans les pays qu’ils dirigent. Réunis le samedi 18 janvier dernier à Lomé, capitale du Togo, lors d’un sommet exclusivement dédié à ce fléau et à ses conséquences sur la santé des habitants de leur pays, les chefs d’Etat de 7 pays africains –le Togo, le Congo (Brazzaville), l’Ouganda, le Niger, le Sénégal, le Ghana et la Gambie– se sont engagés à criminaliser, de manière plus harmonisée, ce trafic. 

L’objectif affiché de cette rencontre, qui s’est tenue sous l’égide de la Fondation Brazzaville, une ONG indépendante dont le siège se trouve à Londres, était d’inciter ces pays d’Afrique à apporter une réponse collective en vue d’endiguer ce trafic.

Selon la Fondation Brazzaville, l’Initiative de Lomé, nom du document entérinant les décisions prises lors de cette rencontre, «aboutira à la signature, par les chefs d’Etat du Congo, de la Gambie, du Ghana, du Niger, de l’Ouganda, du Sénégal et du Togo, d’une déclaration politique et d’un accord-cadre légalement contraignant».

A l’issue de cette rencontre, le communiqué final précise justement que cette Initiative de Lomé «donne mandat à nos gouvernants de travailler à la finalisation de l’accord-cadre sur la criminalisation du trafic des produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés». 

Si le trafic de faux médicaments a pris une telle ampleur en Afrique, c’est que contrairement à celui des stupéfiants, lequel est lourdement sanctionné, ce trafic demeure encore largement impuni sur le continent: il est actuellement considéré comme étant un simple délit de violation de la propriété intellectuelle.

Jean-Louis Bruguière, célèbre juge antiterroriste français, est membre du Conseil consultatif de la Fondation Brazzaville. Ce magistrat, qui s’est rendu lui aussi à cette réunion de Lomé, en sa qualité de «membre du Comité de pilotage sur les médicaments de qualité inférieure et falsifiés», a indiqué qu’«une des missions de cet accord-cadre sera de créer des infractions nouvelles, assorties de peine plus lourdes». 

Mais la lutte contre le trafic de faux médicaments, à cause de l’ampleur qui le caractérise désormais, relève aujourd’hui d’un combat de longue haleine.

En effet, ce trafic qui était générait, en 2010, près de 85 milliards de dollars dans le monde, devrait rapporter, en 2022, 500 milliards de dollars à ses trafiquants, selon des estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). 

Il s’agit donc bel et bien là d’un fléau mondial, selon l’OMS, qui précise que 10 à 15% des produits pharmaceutiques vendus dans le monde sont falsifiés. Les pathologies concernées par ce trafic sont diverses, selon l’organisation onusienne, qui cite, entre autres classes de médicaments, les antibiotiques, les anticancéreux, les antipaludiques, voire, pour les animaux, des produits vétérinaires.

Il convient en outre de préciser que 42% des faux médicaments saisis dans le monde depuis 2013 l’ont été sur le continent africain. Dans certains pays d’Afrique subsaharienne, les faux médicaments peuvent représenter jusqu’à 90% des médicaments vendus. 

C’est donc logiquement en Afrique que ce trafic fait le plus de ravages parmi les populations. Selon l’ONG internationale American society of tropical medicine, qui réunit un collège de scientifiques du monde entier, en Afrique, ce sont près de 120.000 enfants, âgés de moins de 5 ans, qui meurent chaque année à cause d’antipaludéens falsifiés.

De son côté, l’OMS avance que le trafic de faux médicaments est la cause près de 200.000 décès par an sur le continent, alors que pour l’Institut international de recherche anti-contrefaçon de médicaments (IRACM), estime quant à lui que 700.000 personnes décèdent chaque année en Afrique après avoir ingurgité des faux médicaments. 

A ces chiffres, il faut ajouter aussi ceux qui tombent malades après avoir pris ces faux remèdes, qui ne soulagent bien évidemment en rien leur maladie. 

Cette situation s’explique par plusieurs facteurs: la faiblesse des systèmes de santé, la pauvreté, l’importance des marchés parallèles, la corruption du personnel en charge de la lutte contre ce trafic, un certain laisser-aller dans les administrations en charge de la régulation de l’industrie pharmaceutique, l’absence de contrôles sanitaires, les techniques, de plus en plus abouties, utilisées par les trafiquants de médicaments contrefaits, qui se développent à tel point qu’il devient difficile de distinguer un produit contrefait d’un vrai produit, et, enfin, la grande rentabilité de ce trafic, qui pousse à la prolifération des faux médicaments. 

Selon les résultats d’une étude menée par la Fondation Chirac pour l’accès à une santé et à des médicaments de qualité, «investir» 1.000 dollars dans le trafic de cocaïne peut rapporter 20.000 dollars, un «capital» qui peut monter à 40.000 dollars dans le trafic de cigarettes, et, dans le trafic de médicaments, ce «capital» somme toute modeste, peut rapporter entre 200.000 et 450.000 dollars.

Un calcul édifiant, confirmé par la Fédération internationale de l’industrie du médicament (FIIM), qui a pu démontrer, de son côté, dans le cadre d’une autre étude, qu’un investissement de 1.000 dollars dans le trafic de médicaments contrefaits, peut générer un bénéfice de 500.000 dollars. 

En clair, la prolifération que connaît le trafic de faux médicaments s’explique aussi, et surtout, par son extrême rentabilité. La lutte pour l’éradiquer sera donc longue, et nécessitera une véritable volonté des dirigeants africains. 

Rappelons que plusieurs pays africains ont lancé au cours de ces dernières années plusieurs actions afin de lutter contre ce phénomène. C’est le cas actuellement en Mauritanie, où de nombreuses pharmacies ont été fermées après que les autorités y ont découvert des faux médicaments. C’est également le cas de la Côte d’Ivoire, où des opérations de saisies sans précédent de faux médicaments ont été effectuées.

En novembre 2019, 200 tonnes de faux médicaments ont ainsi été saisis dans le pays, en l’espace d’une semaine, et se sont soldées par une série d’arrestations de ressortissants chinois, mais aussi d’Ivoiriens impliqués dans ce trafic. 

En plus de ces efforts dans la lutte contre ce trafic, les pays d’Afrique devront régler le problème de l’accès des populations de ces pays à des médicaments sûrs, et à des prix abordables.

Le Togo est, à cet égard, un des pionniers dans cette lutte, en ayant pris la décision d’amender, dès 2015, des articles de son code pénal. La peine encourue par les trafiquants de faux médicaments s’élève désormais à 20 ans de prison, et à des amendes qui peuvent atteindre la somme de 50 millions de francs CFA (76.200 euros). Ces mesures coercitives, à effet dissuasif, sont à même de faire réfléchir les trafiquants et d’éloigner, pour longtemps, ceux qui ont été arrêtés.

La décision finale de l’Initiative de Lomé, prise par les chefs d’Etat de 7 pays du continent est donc à saluer, mais il n’en demeure pas moins que l’absence du chef d’Etat du Nigéria, alors que ce pays est un grand pourvoyeur de faux médicaments au reste des pays de la région, remet partiellement en cause l’efficacité du dispositif prévu.

Toutefois, le ministre togolais de la Santé assure qu’une mission de plaidoyer s’attellera à sensibiliser l’ensemble des pays d’Afrique afin qu’ils rejoignent ce premier groupe, pour une lutte accrue et efficace contre ce trafic. 

En plus du Nigeria, considéré comme la plaque tournante du trafic de faux médicaments, ce «commerce» est surtout alimenté par des réseaux chinois, mais aussi indiens, qui confectionnent ces produits à partir de matières premières détournées.

Cette lutte, qui doit nécessairement être commune, permettra de réduire la mortalité dans de nombreux pays africains, ainsi que les maladies causées par ces faux remèdes (des cas de cancer, de tension artérielle, d’insuffisance rénale, etc., ont été répertoriés). La vente de médicaments sûrs, issus de laboratoires pharmaceutiques reconnus et exerçant dans les normes, permettra aussi, et surtout, de contribuer au développement de l’industrie pharmaceutique en Afrique. Mais aussi de contribuer aux échanges intra-africains.

(*) Un faux médicament est défini comme un produit qui a l’apparence d’un médicament, mais qui n’en est pas un. Il peut contenir de bons ingrédients, mais en quantités insuffisantes ou excessives, ou de mauvais ingrédients. Il est ainsi, au mieux inefficace (pas, ou peu, de principe actif) et au pire mortel (s'il contient un produit toxique).

Par Moussa Diop
Le 20/01/2020 à 11h59, mis à jour le 21/01/2020 à 10h04