Libreville. «On transporte nos malades dans des brouettes»: ou comment mourir sur la route de l’hôpital

Ambulance à Libreville

Le 14/06/2025 à 11h01

VidéoÀ Libreville, où les nids-de-poule sont autant de pièges pour véhicules qui circulent sur des voies que les pluies transforment en marécages, certains habitants sont obligés de transporter leurs malades sur leur dos ou dans une brouette. Le360 Afrique s’est rendu au 6ᵉ arrondissement où le SAMU social tente de combler les failles d’un système sanitaire moribond. Reportage.

Merly Yanga habite Montalier depuis plus de cinq ans. Enceinte, cette jeune fille-mère est contrainte aux longs parcours à pied. «Les ambulanciers s’arrêtent souvent au niveau de la route là-bas. Ils ne viennent pas ici. Je suis enceinte et je pars de chez moi pour rejoindre la grande route», se lamente-t-elle.

Marlène Moukouama, sa voisine affirme qu’en cas d’urgence sanitaire à Montalier, le seul recours reste les moyens du bord. «On est obligé de fabriquer les brancards avec des planches pour pouvoir transporter les malades, à dos d’homme ou dans des brouettes. Pire, il y a même des femmes enceintes qui sont obligées de déménager pour aller attendre l’accouchement hors d’ici», explique-t-elle

Cadre d’administration, Orphée Lucrin parcourt près de 2 km chaque jour pour rallier son travail. Il pense que le déficit d’ambulances dans les zones difficiles pose une autre équation: celle de la géolocalisation de plusieurs quartiers de Libreville.

«La situation est d’avantage plus pénible avec des personnes âgées affaiblies par la maladie. Les ambulanciers font ce qu’ils peuvent. Ils ne peuvent pas faire de miracles», dit-il

L’état des routes: un dossier accablant

Derrière cette situation apocalyptique, l’état des routes est pointé du doigt. Selon le ministère des Infrastructures, seulement 10% des 9.170 km de routes gabonaises sont bitumées. À Montalier, moins de 20% des pistes sont praticables en saison des pluies. Les projets de bitumage lancés en 2013 tardent à atteindre les périphéries, où le réseau ressemble à un «champ de cratères» selon de nombreux témoignages .

Pourtant, le Gabon consacre 1.800 milliards de FCFA aux infrastructures routières (2012-2016).

Conséquence, dans des zones inaccessibles, le délai moyen d’intervention des urgentistes est de 4 à 8 heures et 200 décès annuels sont enregistrés sur les routes gabonaises, dont 30% liés aux retards d’évacuation, selon les sources officielles.

Le SAMU Social: le dernier recours des oubliés

Dans ces conditions, le SAMU social devient le dernier recours des oubliés. Patrick Moukagni, chef ambulancier au Samu social, parle l’action de ses équipes. «On est plus sollicité pour les cas de femmes qui sont sur le point d’accoucher la nuit. On improvise: ambulances équipées de civières, brancards… Chaque mois, on perd 20% de notre flotte. Malgré ça, en 2025, on vise 676.000 interventions sur tout le Gabon.»

L’état des routes n’est pas le seul facteur pointé du doigt. À Montalier, aucun centre de santé n’existe à 15 kilomètres à la ronde. Dans l’ombre des grands immeubles de Libreville, Montalier incarne le «double fardeau» gabonais: des richesses naturelles immenses, mais des périphéries sacrifiées.

Alors que le SAMU Social fait ce qui est dans son pouvoir pour assurer les 13.000 consultations hebdomadaires, son directeur, Dr Yaba, résume cette situation: «Notre force? Agir corps et âme là où l’État ne se rend pas. Mais nous ne remplacerons jamais une politique publique

Par Ismael Obiang Nze (Libreville, correspondance)
Le 14/06/2025 à 11h01