Au marché de Sénou à quelques encablures de Bamako, Hawa Coulibaly est venue acheter des haricots, qu’elle va préparée pour le dîner, à la boutique de Setiki Doumbia. Une fois la commande faite, une conversation très animée s’engage entre Hawa et Setiki. «Coulibaly, tu es venue acheter les ingrédients du plat de tes ancêtres ?», lui lance le marchand, faisant référence à la traditionnelle recette de ragoût de haricots que l’on attribue à ceux qui mangent sans retenue. L’allusion est claire pour les cousins à plaisanterie. Du coup, Awa rejette l’accusation: «moi, je ne sais pas de quoi tu parles, je suis juste venue acheter des haricots pour agrément la sauce du dîner. Les plats de haricots sont plutôt la spécialité des Coulibaly et non pas des Doumbia». Elle renchérit: «les Doumbia ne se contentent pas du plat, ils boivent même l’eau ayant servi à laver les haricots, tellement ils en raffolent».
De telles conversations sont très fréquentes aux pays de l’ancien empire du Mali qui partagent tous cette même culture consistant à opposer dans la plaisanterie des ethnies ou au sein d’un même groupe des noms de familles.
A la Pyramide du souvenir, une place très fréquentée de Bamako, on assiste à une scènce identique entre deux cousins: un Bwa et un Peul. Pour le Bwa, Seydou Patrice Dembélé, son vis-à-vis, «n’est pas un vrai Peul compte tenu de son poids». Il lui fait ainsi remarquer qu’il ne sait pas se retenir en mangeant, ce qui se reflète sur sa physionomie.
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«Un vrai Peul ne pèse que 32kg», dit-il non sans une certaine exagération dans ses propos. A ce coup irrégulier porté contre les Peuls, Diallo répond que «les Bwa sont leurs serviteurs».
En effet, les plaisanteries tournent généralement autour du rang social et de la nourriture, mais aussi du niveau d’intelligence, du courage, du dévouement au travail, etc., chacun voulant volontiers s’attribuer les meilleures qualités pour laisser à son interlocuteur les mauvaises.
Mais les cousins sont tenus de ne jamais mal prendre les reproches ou critiques qu’on leur porte. Dès qu’il savent qu’ils partagent ce lien social, ils acceptent tout venant de l’autre. Ainsi, le cousinage à plaisanterie est un instrument qui facilite le vivre ensemble en étant un formidable catalyseur.
Pour Seydou Patrice Dembélé, «c’est l’outil de règlement des conflits dans la société malienne qui a été utilisé contre les Maliens eux-mêmes par l’Occident. Il estime qu’«un vrai Dogon ne tirerai jamais sur un Peul à cause du pacte social qui les unit». Ajoutant que: «les cousins à plaisanterie ne peuvent rien se refuser l’un à l’autre, peu importe ce qui peut les opposer et la seule certitude, c’est qu’ils ne rentreront pas dans un conflit ouvert».
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A en croire, certains chercheurs, la Charte de Kurukan Fuga, connue pour être la Constitution de l’Empire du Mali, continue de régir tous les peuples ayant appartenu au grand Manding du moins pour ce qui est de l’organisation de la société, la gestion des conflits, la division du travail, l’hospitalité, la coexistence pacifique et la tolérance.
En conséquence, le cousinage à plaisanterie est perçu au Mali comme une pratique culturelle qui vise à maintenir la paix et la cohésion sociales. Selon nos interlocuteurs, le cousinage à plaisanterie ou sinanguya est sacré car, disent-ils, il fait appel aux liens de sang entre certaines couches sociales et interdit le mariage entre elles. Exemple, le mariage entre les hommes de caste et les Peuls est formellement interdit, de même entre un Bozo ou Somono et un Dogon.