Cette coiffeuse de 43 ans qui vit dans le quartier d’Idi Mangoro dans le nord de Lagos, la capitale économique du Nigeria, verse le gel, du bioéthanol fabriqué à partir de biomasse, dans la cuisinière avant d’y allumer le feu.
«Il ne noircit pas vos casseroles et marmites, ne sent pas mauvais, ça permet de bien cuisiner. Ça va vite et surtout c’est moins cher que le gaz, qui est à un peu plus de 1.000 nairas» (1,2 dollar), lâche-t-elle.
Avec la flambée du coût de la vie, le gaz de cuisine est devenu hors de prix pour de nombreux ménages nigérians, après la fin des subventions gouvernementales sur les carburants décidée par le président Bola Ahmed Tinubu en mai 2023.
L’inflation a atteint plus de 27% en moyenne sur les 12 derniers mois dans la première économie du continent, selon le Bureau national des statistiques nigérian.
Aujourd’hui, de plus en plus de consommateurs se tournent vers les biocarburants verts, affirme l’Alliance pour la cuisine propre (CCA) au Nigeria.
Le gel de bioéthanol bon marché constitue un combustible propre pour les cuisines où les familles utilisent souvent du bois ou du charbon, dont les émanations de fumée sont délétères pour la santé.
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Chaque année, plus de 93.000 femmes meurent dans le pays de maladies causées par la pollution de l’air domestique, d’après les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
«Sauver des vies»
Femi Oye n’avait que neuf ans lorsque sa grand-mère est décédée des suites d’un cancer des poumons, après avoir inhalé toute sa vie des fumées toxiques.
En 2012, il s’associe avec Lilian Aremu pour «créer des produits qui sauvent des vies» et fonde Kike Technologies. Ils mettent sur le marché cette cuisinière portative fonctionnant au bioéthanol.
Le gel, entièrement biologique, est créé à partir de sources d’énergies renouvelables comme des déchets alimentaires et agricoles ou encore la jacinthe d’eau.
Au Nigeria, les émissions de CO2 pourraient être réduites de plus de 4 millions de tonnes, si tous les ménages utilisaient du bioéthanol pour cuisiner, selon les Nations unies.
Depuis sa création, l’entreprise a reçu plusieurs récompenses pour son impact sur l’environnement et la santé et a vendu au total un million de cuisinières, entre 14 et 21 euros l’unité, principalement au Nigeria, mais aussi dans les pays limitrophes.
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Pour attirer les consommateurs, les cofondateurs s’appuient sur des agents et concessionnaires chargés de la distribution.
Rôle de l’Etat
Mais Lilian Aremu ne se berce pas d’illusions. Pour que sa cuisinière «propre» gagne largement les foyers du pays, l’Etat nigérian doit investir.
«Si nous avons plus de soutien des autorités, nous pouvons réduire les coûts de production et de nombreuses personnes, notamment dans les zones rurales, auront la possibilité d’en bénéficier», assure-t-elle.
Abel Gaiya, responsable énergie à Clean Technology, un grand centre d’innovation énergétique à Abuja, la capitale politique du pays, abonde.
«Avec l’inflation, une minorité de gens se tournent vers le bioéthanol certes, mais beaucoup d’autres se sont remis à utiliser du bois et du charbon, encore moins cher. Il faut que l’Etat s’occupe de ce problème», explique-t-il à l’AFP.
Il insiste aussi sur les bons matériaux à utiliser lors de la manipulation du bioéthanol. «Si la cuisinière est défectueuse, il peut y avoir certains effets négatifs similaires au gaz: des fuites, des explosions et des incendies», énumère-t-il.
A l’échelle régionale, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) travaille à populariser le bioéthanol.
L’organisation envisage prochainement «l’adoption de normes harmonisées de cuisson, de transport et de domestication du bioéthanol au niveau national» ainsi que «l’élaboration de normes et d’étiquetages pour la biomasse» a indiqué à l’AFP Guéi Kouhie, coordonnateur des programmes de bioénergie/cuisson propre à la Cedeao.
Aucune date n’a encore été fixée pour la mise en place de ces mesures.