L’embarcation est une «baleinière métallique», moins rapide mais réputée plus sûre que son équivalent en bois, ces longues barges généralement surchargées et déglinguées dont les naufrages font un nombre indéterminé de morts, parce qu’on ne sait jamais combien de personnes elles transportent.
Pour parcourir les 520 kilomètres séparant Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo, de Lukolela, localité de pêcheurs de la province de l’Equateur, le Miracle de Dieu, à bord duquel a voyagé entre fin mars et début avril un photographe de l’AFP, a mis une semaine.
C’est le temps plus ou moins habituel, si on compte une panne de moteur en route et quelques épisodes de pluie tropicale. Selon l’équipage, lors du précédent voyage, un accident avait fait deux morts, lorsqu’une amarre avait lâché et fauché violemment des passagers.
En RDC, grand pays d’Afrique centrale de 2,3 millions de kilomètres carrés, les routes correctes sont rares et les liaisons aériennes ne desservent qu’un nombre limité de villes. Beaucoup de commerçants n’ont pas d’autre choix que la voie fluviale pour acheminer leurs denrées.
Eric Ndungu, un commerçant de 41 ans, marié et père de cinq enfants, a failli perdre la vie en novembre dernier, quand la baleinière en bois dans laquelle il voyageait est entrée en collision avec une autre, venue du Congo-Brazzaville. L’accident a fait au moins 48 morts, dit-il.
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Chaque année, Eric effectue pour son commerce trois voyages aller-retour entre Kinshasa et la province de la Mongala, en amont de l’Equateur. Pour sa sécurité, il a opté cette fois pour un bateau métallique, même s’il est un peu plus cher.
Ce genre de bateau est considéré comme «de luxe», mais au confort très relatif.
Le luxe, c’est d’avoir une place chez le capitaine, le gérant ou les matelots. Et ceux qui ont loué un espace d’une quelconque manière font des tours pour dormir, en espérant constater en se réveillant que la baleinière a fait du chemin.
0% de confort
Les « chambres » sont en grande partie occupées par des marchandises, dont le transport rapporte plus que celui de passagers.
Dieudonné Mokake, 43 ans, commerçant lui aussi, estime que ce type d’embarcation offre «80% d’assurance sur la sécurité humaine», mais «avec un confort de 10%». Il ajoute aussitôt: «pour être honnête, je dirais même 0%».
«Je m’assois à même le sol et je dors dans les mêmes conditions, à la belle étoile, exposé aux intempéries. Parfois, je trouve refuge dans une pirogue accrochée à la baleinière», raconte-t-il.
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«Les marchandises rapportent beaucoup d’argent, mais nos vies valent quand même quelque chose !», s’emporte Dieudonné.
Comme nombre d’autres passagers, il regrette la grande époque de l’Onatra (Office national des transports), créé au début des années 1970 et victime quelques années plus tard de la libéralisation du transport fluvial, qui a permis à tout un chacun de devenir armateur.
Là, affirment les voyageurs, le confort était assuré, il y avait des chambres pour deux personnes, chaque barge avait un restaurant...
Sur le Miracle de Dieu, comme sur les autres bateaux, chacun se débrouille avec ses provisions.
Au début du voyage, c’est boîte de sardines et pain. Ensuite, les «mamans» cuisinent à bord. Bouillie au petit-déjeuner et, au dîner, poisson du fleuve accompagné de foufou ou «chikwangue», mets traditionnels du bassin du Congo faits de farine de manioc ou de maïs.
En octobre dernier, selon un compte rendu du conseil des ministres, le président Félix Tshisekedi a demandé au gouvernement d’élaborer «un plan d’action» afin que le fleuve Congo joue un rôle de moteur du développement économique» du pays.
Encore une fois, il était question de tout faire pour éviter les naufrages aux «lourds bilans humains», d’exiger des transporteurs des contrats d’assurances, de «lutter contre les embarcations de fortune», de renforcer la surveillance du trafic fluvial.